À l'issue d'une matinée passée successivement à voter au sein de la Commission des finances du Sénat américain, où sa voix a été prépondérante, à présider une audience pour la ratification de la nomination d'un candidat à un important poste gouvernemental et à participer à un débat sur un projet de législation sur le tabac, le sénateur James Jeffords s'est précipité à un important déjeuner à quelques rues du Capitole.
Il ne se rendait pas dans un restaurant chic pour y rencontrer des membres d'un groupe de pression ou des administrés influents, mais allait passer une heure dans la bibliothèque d'une école primaire du quartier pour y retrouver une fillette de dix ans avec laquelle il allait partager un déjeuner de la cantine scolaire et son amour de la lecture.
M. Jeffords et sa jeune protégée, Sherryl Grant, élève de quatrième année à l'école primaire Robert Brent, se retrouvent ainsi chaque semaine à la même heure et au même endroit. Ils lisent des livres, parlent de l'école et discutent des projets d'avenir de Sherryl. Le sénateur affirme qu'il s'agit pour lui de l'un des rendez-vous les plus importants d'un calendrier très chargé.
« J'ai eu beaucoup de mal, aujourd'hui, à m'échapper un moment du Congrès, compte tenu de toutes les activités qui figuraient à mon programme. Mais cette heure est très reposante pour moi et extrêmement enrichissante », a-t-il dit.
Quelque quatre cent quarante fonctionnaires du Congrès et une douzaine de sénateurs consacrent ainsi une heure par semaine à des élèves de l'enseignement primaire du District de Columbie, dans le cadre du programme « Everybody Wins » (Tout le monde est gagnant). Sur les deux cent vingt élèves que compte l'école Robert Brent, cent quatre-vingts participent à ce programme avec les sénateurs. Les autres bénévoles se répartissent dans neuf autres écoles publiques de la capitale fédérale.
« Everybody Wins », qui en est à sa troisième année d'existence à Washington, met des fonctionnaires et des hommes d'affaires en contact avec des écoliers qu'ils conseillent et auxquels ils donnent l'occasion de lire à haute voix. Ses bénévoles interviennent également auprès des parents pour leur souligner l'importance de la lecture à la maison.
Au Sénat, M. Jeffords préside la Commission du travail et des ressources sociales, qui s'intéresse également à l'éducation. Il a lancé ce programme dans la capitale fédérale après avoir entendu parler du succès qu'il avait connu à New York. C'est le directeur d'une société textile, M. Arthur Tannenbaum, qui a créé « Everybody Wins » après avoir appris avec consternation la grave insuffisance des compétences de lecture des élèves de l'enseignement public de la ville de New York. M. Tannenbaum contacta le directeur d'une école située près de son bureau et lui demanda si plusieurs de ses collaborateurs et lui-même pourraient consacrer régulièrement du temps aux écoliers et leur faire la lecture. Il proposa l'heure du déjeuner, qui lui semblait être le meilleur moment de la journée étant donné que cela n'obligerait pas les enfants à quitter la salle de classe.
Le programme de M. Tannenbaum a pris de l'ampleur depuis sa création. Il compte maintenant deux mille bénévoles répartis dans quelque deux douzaines d'écoles de New York. Dans cette ville comme à Washington, les hommes d'affaires locaux qui y participent financent en partie le salaire du personnel chargé de gérer le programme, y compris celui d'un coordonnateur par établissement.
Les bénévoles se consacrent avec assiduité à ce programme. « Everybody Wins » exige d'eux qu'ils s'engagent à rendre une visite hebdomadaire à l'élève dont ils ont la charge, et cela tout au long de l'année scolaire. La plupart des bénévoles partagent un élève avec l'un de leurs collègues pour que leur service puisse être assuré sans faute chaque semaine.
Pendant que M. Jeffords retrouvait Sherryl Grant, le sénateur Edward Kennedy aidait de son côté sa jeune partenaire, Jasmine Harrison, à dresser la liste des livres qu'elle avait lus dans l'année. C'est avec fierté qu'il parle du nombre de mots nouveaux que chacun de ces livres a incité Jasmine à apprendre et notamment de ceux qu'elle avait retenus après ne les avoir lus qu'une seule fois.
« Ces séances de lecture m'apportent encore plus qu'à Jasmine, déclare M. Kennedy. Je viens ici impérativement chaque mardi. »
L'attachement manifesté par le sénateur Kennedy à ce programme a incité Mme Mary Landrieu, qui vient d'être élue au Sénat, à y participer, elle aussi. Elle a recruté un membre de son secrétariat pour la seconder auprès de sa partenaire, Kishell Alexander, lorsqu'elle se trouve dans l'impossibilité de se libérer. « Je ne manquerais pas cette heure de lecture pour tout l'or du monde, affirme-t-elle. Parmi les choses que l'on accomplit en tant que parlementaire, il y en a dont on ne voit jamais le résultat, alors que lorsque je viens ici voir Kishell, je peux chaque semaine constater ses progrès. »
Cette jeune élève de première année était intimidée quand on lui a demandé de parler d'elle-même et de ce qu'elle aimait lire. Elle s'est couvert la bouche de la main et s'est bornée à répondre par un sourire gêné. Mais dès qu'elle a commencé à lire pour Mme Landrieu, son enthousiasme et sa confiance sont aussitôt apparus.
----------
Kathleen Kennedy Manzo est rédactrice pour la publication Education Week. Cet article est abrégé et reproduit avec l'autorisation de Education Week, vol. 17, no. 24, 4 mars 1998.
La Société
américaine
Revue électronique de l'USIA, volume 3, numéro
2, septembre 1998