L'OTAN face aux nouvelles menaces :
d・is et possibilit・


Richard Kugler, professeur et ma・re de recherche


Institut d'・udes strat・iques nationales
National Defense University



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photo of Richard L. Kugler

« Le Sommet de Prague, qui aura lieu en novembre 2002, sera l'occasion d'inaugurer une nouvelle ・e de r・ormes ?l'OTAN. Il ne fait aucun doute que l'application de cet important ordre du jour modifiera les horizons strat・iques de l'OTAN ainsi que les relations transatlantiques », affirme le professeur Richard Kugler, de la National Defense University (Universit?de la d・ense nationale). « Mais les nouvelles menaces rendent cet ordre du jour indispensable car, autrement, l'OTAN s'effriterait et ses membres seraient en danger. Cet imp・atif d・init ?la fois les d・is et les possibilit・ futurs. »

En s'attaquant aux nouvelles menaces que constituent les terroristes et les armes de destruction massive, l'OTAN rel・e l'un de ses plus grands d・is depuis des ann・s. Cependant, une occasion unique s'offre ?elle. Comme le montrent les ・・ements du 11 septembre et la lutte actuelle contre le terrorisme, le probl・e consiste ?d・ouer les dangereuses menaces qui pointent loin des fronti・es de l'OTAN, mais compromettent gravement la s・urit?de l'Am・ique du Nord et de l'Europe. L'OTAN a l'occasion de se r・ormer afin de mieux se d・endre contre ces menaces et de les conjurer. L'OTAN a commenc??appliquer ce programme mais, jusqu'?pr・ent, les critiques qualifient sa r・ction d'h・itante et d'incompl・e. On ignore si l'OTAN r・gira avec d・ermination, mais ce que l'on peut dire, c'est que, pendant toute sa longue histoire, elle a prosp・?en tant que meilleure alliance de d・ocraties parce qu'elle s'est toujours montr・ ?la hauteur des circonstances et qu'elle a su ・oluer avec le temps. Dans l'int・・ de tous ses membres, elle doit le faire de nouveau.

Les nouvelles menaces de l'・e de la mondialisation

Ne nous y trompons pas, le terrorisme des temps modernes et la prolif・ation des armes de destruction massive sont des menaces relevant de l'article 5, pour reprendre le jargon de l'OTAN. Les menaces couvertes par l'article 4 sont dirig・s uniquement contre les int・・s communs de ses membres au-del?des fronti・es de l'OTAN : les guerres ethniques dans les Balkans en sont un bon exemple. Mais les nouvelles menaces sont susceptibles de p・・rer les fronti・es de l'OTAN et de frapper les soci・・ de tous ses membres ainsi que leurs forces militaires, ce qui correspond ?la d・inition des menaces tombant sous le coup de l'article 5, qui entra・ent l'application de l'engagement de d・ense collective de l'OTAN. Contrairement ?leurs pr・・esseurs, les nouveaux terroristes sont capables d'infliger des d・・s catastrophiques. Les attentats dirig・ contre les ・ats-Unis le 11 septembre ont tu?plus de trois mille personnes innocentes originaires de nombreux pays - soit plus de victimes que l'attaque de Pearl Harbor en 1941. De futures attaques sont non seulement possibles, mais probables. Pourtant, ces menaces semblent insignifiantes compar・s aux d・・s plus consid・ables que pourraient causer des attaques aux armes nucl・ires, biologiques et chimiques. Les ・ats-Unis vivent aujourd'hui en ・at de si・e. L'Europe est-elle loin derri・e ?

Pourquoi ces menaces surgissent-elles ? Elles ont pour cause directe les intentions malveillantes de gens pr・s ?infliger des destructions massives ?leurs victimes, aux membres de l'OTAN et ?d'autres pays. Mais leurs vraies racines sont plus vastes et plus profondes. La nouvelle g・politique - c'est-?dire les nouvelles formes de rivalit?entre ・ats et les id・logies politiques adopt・s par des groupes transnationaux comme les terroristes - en est une. Une autre cause est la mondialisation, ?savoir l'acc・・ation du volume d'・hanges commerciaux, financiers et technologiques, ainsi que l'essor des communications, qui rapproche des r・ions autrefois distantes les unes des autres, cr・nt des r・eaux de liens interd・endants. ?l'origine, la mondialisation ・ait consid・・ comme uniform・ent positive parce qu'elle offrait des possibilit・ de croissance ・onomique et de d・ocratisation ?toutes les r・ions du globe. Mais elle est vite apparue comme une hydre car elle met ?rude ・reuve des r・ions qui ne sont pas pr・es ?entrer dans l'・e de l'information, de la modernisation et d'une forte concurrence sur les march・ mondiaux. La mondialisation produit un monde bipolaire. Certes, elle continue ?enrichir les d・ocraties d・?prosp・es et en aide d'autres ?progresser. Mais elle alimente ailleurs de venimeuses id・logies hostiles ?l'Occident et suscite une profonde col・e chez les terroristes nihilistes et dans les pays d・id・ a acqu・ir des armes de destruction massive qu'ils sont pr・s ?utiliser contre les d・ocraties occidentales et les autres pays qu'ils ont jug・ responsables de leur sort.

Ces nouvelles menaces apparaissent simultan・ent et se renforcent mutuellement. Leurs auteurs ont acc・ aux syst・es et techniques modernes de l'information qui leur permettent de frapper ?de tr・ longues distances, d'un continent ?l'autre. De plus, ces menaces exacerbent la tension et le chaos dans une vaste zone d'instabilit?qui s'・end du Proche-Orient au littoral asiatique et dans laquelle vivent la plupart des terroristes. Cette tendance rend rapidement caduque la vieille distinction de l'OTAN entre les articles 4 et 5. M・e si les nouvelles menaces surgissent hors de l'Europe, elles mettent en danger les int・・s strat・iques, les valeurs d・ocratiques et la s・urit?physique des membres de l'OTAN.

L'・aboration d'une r・onse politique et strat・ique

Comme le reconna・ la politique am・icaine, les d・ocraties occidentales doivent mettre au point une r・onse politique et strat・ique ・ergique face aux dangers croissants qui risquent, si on ne les ma・rise pas, de faire dispara・re en fum・ le d・ut du XXIe si・le. Il est clair que cette r・onse doit viser ?doter d'une meilleure gestion administrative, d'une ・onomie de march?et de soci・・ modernes les r・ions pauvres situ・s dans la zone d'instabilit?susmentionn・ et ailleurs, notamment en Afrique subsaharienne. Il est ・alement ・ident que cette r・onse doit aussi viser ?d・ouer la double menace du terrorisme international et de la prolif・ation des armes de destruction massive. Les ・ats-Unis et leurs alli・ europ・ns doivent se prot・er contre ces graves dangers, qui doivent d'abord ・re ・imin・ si l'on veut assurer le succ・ des efforts d・loy・ pour amener le progr・ ?ces r・ions en difficult? Dans le monde actuel, la recherche de la s・urit?doit aller de pair avec celle du progr・. En fait, la premi・e est l'une des conditions de la seconde.

Les ・ats-Unis joueront un r・e de premier plan dans la r・ction ?ces menaces dans le domaine de la s・urit? mais ils ne peuvent en assumer seuls le fardeau et on ne devrait pas s'attendre ?ce qu'ils le fassent. Il est normal qu'en sa qualit?de principal organe de s・urit?de l'Europe, l'OTAN aide ?pr・arer la contribution de l'Europe, ?l'organiser et ?l'harmoniser avec les initiatives des ・ats-Unis. Au lendemain des attentats du 11 septembre, l'OTAN a envoy?des avions radars AWACS pour aider ?d・endre l'espace a・ien am・icain, elle a affect?des forces navales pour patrouiller la M・iterran・ orientale, accru les ・hanges de renseignements, proc・??un inventaire des ressources nationales pour les urgences civiles et renforc?la coordination multilat・ale des mesures polici・es visant ?d・usquer les cellules terroristes. Lorsque les forces am・icaines ont d・lench?leurs op・ations militaires en Afghanistan, des troupes britanniques se sont jointes ?elles et d'autres pays europ・ns ont offert leur aide. Par la suite, plusieurs pays europ・ns, dont l'Allemagne et la France, ont envoy?des troupes pour mener les op・ations de maintien de la paix en Afghanistan et leurs forces sp・iales ont pris part ?l'op・ation Anaconda contre les derniers bastions d'Al-Qa・a.

Maintenant que les ・ats-Unis ・endent ?d'autres r・ions la lutte contre le terrorisme et qu'ils se pr・arent ?affronter des responsables de la prolif・ation des armes de destruction massive comme l'Irak, la situation exige que les Europ・ns et l'OTAN fassent de nouveaux efforts. S'il est vrai que les ・ats-Unis ne doivent pas agir unilat・alement quand le multilat・alisme a des chances de r・ssir, les Europ・ns ne doivent pas rester sur la touche et se contenter de critiquer au lieu d'apporter de l'aide. R・giront-ils de fa・n constructive ? Cela d・endra principalement des dirigeants europ・ns et de l'existence d'un dialogue transatlantique salutaire. Du fait de la pol・ique actuellement en cours en Europe, les critiques en doutent. Pourtant, les vives controverses n'ont rien d'inhabituel ?l'OTAN. Dans le pass? elles ont toujours ・?le pr・ude ?un vaste consensus en faveur de r・ctions politiques et strat・iques conformes aux exigences de temps difficiles. Ce fut notamment le cas durant la guerre froide, o?les dangers ・aient graves et les probl・es politiques tout aussi ・ineux. Esp・ons que le pass?sera le prologue.

Le nouvel ordre du jour

La r・onse strat・ique de l'OTAN doit couvrir tous les moyens d'action : politiques, diplomatiques, ・onomiques et militaires. Cet ordre du jour astreignant n・essite que, tout en s'・argissant par l'admission de nouveaux membres et tout en poursuivant le dialogue avec la Russie, l'OTAN ne se permette pas de devenir un vague pacte de s・urit?collective d・u?de mordant et de punch strat・ique. En plus de renforcer la s・urit?nationale de ses membres de part et d'autre de l'Atlantique, l'OTAN doit am・iorer sa capacit?de mener des op・ations de s・urit?en dehors de l'Europe car elle ne sera pas en mesure de faire face aux nouvelles menaces si elle limite son rayon d'action ?la d・ense des fronti・es de ses membres. L'OTAN ne doit pas devenir une alliance mondiale, mais elle doit pouvoir agir fermement et judicieusement sur d'autres terrains.

Des arguments convaincants militent en faveur de la n・essit?pour l'OTAN de refondre ou de r・iser son concept strat・ique actuel, adopt?en 1999, afin d'・ablir un consensus sur de nouvelles orientations qui lui permettront de faire face aux nouvelles menaces. Un tel consensus ne devrait ni demander aux Europ・ns de soutenir machinalement les initiatives des ・ats-Unis ni leur donner le moyen de bloquer les d・arches de ces derniers. Il devrait plut・ ・ablir un dispositif commun permettant aux ・ats-Unis et ?l'Europe de prendre en collaboration des mesures ・ergiques. L'harmonisation de points de vue diff・ents exige un dialogue patient, mais cette m・hode a port?ses fruits dans le pass?et elle peut encore s'av・er efficace. Il se peut que les ・ats-Unis et certains pays europ・ns ne soient pas toujours d'accord sur certaines mesures, mais la compatibilit?de leurs int・・s et objectifs fondamentaux devrait normalement leur permettre des approches communes.

L'OTAN doit ・alement continuer ?agir en tant qu'alliance entre membres ・aux. Comme durant la guerre froide, ses futures actions dans des domaines pr・is devront ・re men・s par des coalitions de forces engag・s et comp・entes. Ces coalitions pourront parfois agir en dehors de la structure de l'OTAN, avec le soutien de l'Alliance. Mais l'OTAN devrait se garder de toute « division du travail » qui fragmenterait l'Alliance en blocs distincts. Cette mise en garde s'applique ?la politique et ?la diplomatie, mais elle est particuli・ement valable pour les op・ations militaires. L'OTAN ne devrait pas s'attendre ?ce que les ・ats-Unis et la Grande-Bretagne agissent en « mauvais gendarmes » tandis que les autres joueraient le r・e de « bons gendarmes » en cherchant ?r・oncilier des adversaires par des moyens pacifiques. De m・e, les ・ats-Unis et la Grande-Bretagne ne devraient pas se charger syst・atiquement de missions combattantes intensives tandis que les autres membres de l'OTAN sont rel・u・ au maintien de la paix. Les ・ats-Unis ne devraient pas non plus se borner ?accomplir des missions a・iennes de haute technologie pendant que les autres membres de l'OTAN combattent sur le terrain. Un partage sans faille des responsabilit・, accompagn?d'un traitement souple des cas particuliers, est la meilleure solution.

Enfin, l'OTAN et les Europ・ns doivent am・iorer leurs capacit・ militaires pour les missions dirig・s contre les nouvelles menaces. Les forces militaires europ・nnes actuelles sont plus importantes et plus fortes qu'on ne le pense g・・alement, avec 2,4 millions d'hommes en service actif et des d・enses de 150 milliards de dollars pour la d・ense. Mais du fait qu'ils continuent ?se concentrer sur la d・ense de leurs fronti・es, les pays europ・ns n'ont pas les moyens de projeter leur puissance ?de longues distances, l?o?se trouvent les nouvelles menaces. En outre, ils risquent de prendre encore du retard sur les forces militaires am・icaines tandis que ces derni・es se transforment avec de nouvelles doctrines et technologies op・ationnelles, notamment des syst・es d'information, des d・ecteurs et des munitions modernes. Si le foss?actuel d'interop・abilit?continue ?se creuser, les forces europ・nnes et am・icaines risquent de ne pas pouvoir combattre ensemble, m・e si les dirigeants europ・ns ne souhaitent pas rester passivement sur la touche.

Un renforcement acc・・?de la d・ense n'est pas n・essaire, mais les Europ・ns doivent former une partie de leurs troupes en vue d'une projection rapide de leur puissance et de frappes high tech en collaboration avec les forces am・icaines. Afin de faciliter cet effort, l'OTAN pourrait remplacer son actuelle « Initiative sur les capacit・ de d・ense » par une transformation plus cibl・ visant ?acqu・ir des capacit・ prioritaires. Initialement, cette transformation pourrait consister ?cr・r une force europ・nne d'intervention rapide pleinement interconnect・, compos・ de quelque 60.000 soldats d'infanterie auxquels s'ajouteraient plusieurs escadrilles de combat ・uip・s de munitions autoguid・s et des forces navales dot・s de missiles de croisi・e. Un tel dispositif serait semblable ?la force de l'Union europ・nne pour les missions Petersberg mais, ?l'OTAN, il aurait pour but de compl・er les forces similaires que la nouvelle strat・ie am・icaine est en train de mettre sur pied. Si les Europ・ns cr・nt une telle force, leur utilit?dans la nouvelle ・e cro・ra plus rapidement que les critiques ne le jugent possible.

Conclusion

Le Sommet de Prague, qui aura lieu en novembre 2002, sera l'occasion d'inaugurer une nouvelle ・e de r・ormes ?l'OTAN. Il ne fait aucun doute que l'application de cet important ordre du jour modifiera les horizons strat・iques de l'OTAN ainsi que les relations transatlantiques. Mais les nouvelles menaces rendent cet ordre du jour indispensable car, autrement, l'OTAN s'effriterait et ses membres seraient en danger. Cet imp・atif d・init ?la fois les d・is et les possibilit・ futurs.

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Les opinions exprim・s dans l'article ci-dessus sont celles de l'auteur et ne refl・ent pas n・essairement les vues ou la politique du gouvernement des ・ats-Unis.

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