L'OTAN en pleine ・olution depuis le 11 septembre


Philip Gordon

Sp・ialiste de politique ・rang・e
Directeur du Centre sur les ・ats-Unis et la France
Brookings Institution



ligne bleue

photo of Philip H. Gordon

« L'Alliance reste le principal vecteur d'implication des ・ats-Unis dans les affaires europ・nnes de s・urit? Par son processus d'・argissement, elle joue un r・e essentiel d'unification d'un continent qui ・ait divis?depuis pr・ de 50 ans », dit Philip Gordon, de la Brookings Institution. « Elle a apport?la paix dans les Balkans, o?elle continue de d・loyer des dizaines de milliers d'hommes, faute de quoi la r・ion risquerait fort de rebasculer ?br・e ・h・nce dans les horribles conflits des ann・s 90. »

Moins de 24 heures apr・ les attaques terroristes du 11 septembre, les ・ats membres de l'Organisation du trait?de l'Atlantique Nord (OTAN), alli・ des ・ats-Unis, se r・nissaient pour invoquer la garantie pr・ue par l'article 5 du Trait?et pour consid・er que cette « attaque contre un » ・ait une « attaque contre tous ». Cependant, lorsque l'heure est venue de mettre en ・uvre cette garantie dans le cadre de la campagne militaire men・ par les Am・icains en Afghanistan, l'OTAN n'a pas ・?utilis・. Les Am・icains ont d・id?de ne pas demander une intervention de l'OTAN pour des raisons militaires autant que politiques : seuls les ・ats-Unis disposaient de l'・uipement n・essaire pour d・loyer des forces militaires ?l'autre bout du monde, et Washington ne tenait pas ?se heurter ?des interf・ences politiques des 18 alli・.

De ce fait, certains observateurs ont commenc??se demander si l'OTAN avait encore un r・e quelconque ?jouer. Et il y a effectivement de s・ieuses raisons de s'inqui・er pour l'avenir de l'Alliance si les dirigeants des deux c・・ de l'Atlantique ne prennent pas les mesures n・essaires pour adapter celle-ci ?l'・olution des circonstances. La campagne en Afghanistan a r・・?l'existence d'・arts significatifs entre les capacit・ op・ationnelles des ・ats-Unis et celles de leurs alli・, et a renforc?la perception chez certains ?Washington qu'il ・ait plus facile de mener les op・ations seuls qu'avec des alli・ qui avaient peu ?offrir sur le plan militaire et qui risquaient de freiner les m・anismes d・isionnels. De plus, la d・ision prise par les ・ats-Unis dans la foul・ des attaques terroristes d'augmenter leur budget de la d・ense de quelque 48 milliards de dollars pour 2003, augmentation plus substantielle que le budget total de la d・ense de tout pays europ・n, ne fera que creuser cet ・art de capacit・. Dans la mesure o?la guerre contre le terrorisme am・era les ・ats-Unis ?lancer des op・ations militaires dans d'autres r・ions ・oign・s et o?les Europ・ns se refuseront d'y participer ou se montreront incapables de le faire, l'OTAN verra son r・e se r・uire et elle s'・oignera de la place centrale qu'elle occupait.

Il serait toutefois erron?de conclure que l'OTAN n'a plus aucun r・e important ?jouer simplement parce qu'elle n'a pas ・?utilis・ dans une mission pour laquelle, de toute fa・n, elle n'avait pas ・?con・e. L'Alliance reste le principal vecteur de l'implication des ・ats-Unis dans les affaires relatives ?la s・urit?europ・nne. Par son processus d'・argissement, elle joue un r・e essentiel d'unification d'un continent qui ・ait divis?depuis pr・ de 50 ans. Elle a apport?la paix dans les Balkans, o?elle continue de d・loyer des dizaines de milliers d'hommes, faute de quoi la r・ion risquerait fort de rebasculer ?br・e ・h・nce dans les horribles conflits des ann・s 90. Par l'entremise de son Partenariat pour la Paix (PPP), l'OTAN a tendu la main ?ses partenaires en Asie centrale et favoris?la coop・ation militaire avec eux, gr・e ?quoi certains ont apport?des contributions essentielles ?la campagne en Afghanistan. Le PPP continue ・alement de remplir la fonction importante qu'est la promotion de l'interop・abilit?entre les Alli・, ce qui permet ?ceux-ci de coop・er entre eux m・e lorsque l'Organisation elle-m・e n'est pas associ・ aux activit・, comme ce fut le cas pendant la guerre du Golfe en 1990 et 1991 et dans le cadre de certaines interventions li・s aux op・ations en Afghanistan. En bref, si la guerre contre le terrorisme indique effectivement que l'OTAN n'est plus l'institution g・politique centrale qu'elle ・ait durant la guerre froide, conclure que sa mission est achev・ et qu'elle n'a plus de r・e ?jouer ?l'avenir serait porter un jugement h・if et ?extr・ement courte vue. Au lieu d'abandonner l'OTAN, les Alli・ nord-am・icains et europ・ns devraient profiter de son prochain sommet, qui se r・nira ?Prague en novembre 2002, pour continuer de l'adapter aux probl・es de s・urit?actuels les plus importants. A l'instar des ・・ements pr・・ents, tels que la fin de la guerre froide ou les conflits dans les Balkans, qui ont oblig?l'OTAN ?s'adapter, les ・・ements du 11 septembre et le conflit qui en est d・oul?obligeront les responsables de l'Organisation ?r・l・hir avec hardiesse et de mani・e cr・tive aux moyens de conserver ?celle-ci sa pertinence.

Comment l'OTAN devrait-elle s'adapter lors du Sommet de Prague ?

Les responsables de l'OTAN devraient tout d'abord faire savoir clairement que les nouvelles menaces, par exemple le terrorisme international, sont au c・ur des pr・ccupations des ・ats membres et de leurs populations. D・? dans le Concept strat・ique de 1991, les dirigeants de l'OTAN reconnaissaient que « la s・urit?de l'Alliance doit aussi s'envisager dans un contexte global » et que « les int・・s de s・urit?de l'Alliance peuvent ・re mis en cause par d'autres risques ?caract・e plus g・・al, notamment par la prolif・ation des armes de destruction massive, la rupture des approvisionnements en ressources vitales et les actes relevant du terrorisme et du sabotage. » 1 Ils reprennent essentiellement ce m・e point dans le Concept strat・ique de 1999, en pla・nt cette fois les actes de terrorisme en t・e de liste des autres risques. 2 Cela ne signifie pas que tout acte de terrorisme ou toute menace visant l'alimentation en ・ergie peuvent ou doivent ・re trait・ comme relevant de l'article 5 et obligeant tous les Alli・ ?contribuer des troupes. Cela signifie toutefois que tous les Alli・ reconnaissent que leurs valeurs et leurs int・・s communs peuvent ・re menac・ par des ・・ements mondiaux, point illustr?de mani・e dramatique par les attaques sur Washington et New York. M・e si l'invocation de l'article 5 ne se traduit plus n・essairement par une op・ation officielle de l'OTAN sous commandement de l'OTAN, le concept selon lequel une « attaque arm・ » de l'・ranger doit faire jouer la solidarit?entre les ・ats membres est un d・eloppement important qui doit ・re maintenu et renforc?

En second lieu, ?la lumi・e de la nouvelle campagne, les membres de l'OTAN, et en particulier les Alli・ europ・ns, doivent acc・・er le processus d'adaptation de leurs capacit・ militaires aux nouvelles missions. Lors du sommet de l'OTAN d'avril 1999, les Alli・ ont adopt?une Initiative sur les capacit・ de d・ense(DCI) con・e pour am・iorer l'aptitude au d・loiement, la mobilit? la durabilit? la surviabilit?et l'efficacit?des forces alli・s. 3 Ce processus a permis d'identifier quelque 58 domaines dans lesquels il a ・?demand?aux alli・ d'apporter des am・iorations concr・e ?leurs forces afin de combler des lacunes sp・ifiques. Mais ce processus n'a jamais b・・ici?d'une r・lle visibilit?politique et rares sont ceux de ses objectifs qui ont ・?r・lis・. ?Prague, les membres europ・ns de l'OTAN devraient envisager de r・uire cette longue liste pour la ramener ?3 ?5 cat・ories essentielles, par exemple les munitions ?guidage de pr・ision, les transports a・iens, les communications de s・urit?et le ravitaillement en vol, et s'engager v・itablement ?r・liser leurs objectifs. Les Europ・ns doivent d'une part am・iorer s・ieusement leurs capacit・ s'ils veulent participer de mani・e efficace ?la campagne antiterroriste avec les ・ats-Unis. D'autre part, les m・anismes de l'Union europ・nne (UE) doivent ・re pleinement int・r・ ?l'OTAN, faute de quoi les probl・es d'interop・abilit?actuels ne feront que s'aggraver. Les Europ・ns se sont plaints ?juste titre de ne pas avoir ・?pleinement associ・ aux premi・es phases des op・ations militaires en Afghanistan, mais une telle association ne pourra devenir que de plus en plus difficile si les capacit・ militaires am・icaines et europ・nnes continuent de diverger.

En troisi・e lieu, l'OTAN devrait poursuivre son processus d'・argissement, parce qu'il lui permet d'acqu・ir des alli・ puissants, capables de contribuer aux objectifs communs et de renforcer l'int・ration de l'Europe centrale et orientale. Le nombre exact de candidats qu'il conviendra d'accepter ?Prague d・endra en partie de leur aptitude ?maintenir leurs r・ormes politiques, ・onomiques et militaires d'ici au sommet, mais l'OTAN devrait au minimum accueillir les candidats qui ont d・ontr?qu'ils sont ?pr・ent des d・ocraties stables attach・s aux valeurs des autres ・ats membres de l'Organisation. Les nouvelles relations qui s'・ablissent entre la Russie et le monde occidental, en partie sous l'effet de la lutte commune contre le terrorisme, devraient permettre d'・iter que l'・argissement de l'OTAN, en particulier l'int・ration des ・ats baltes, ne sape les relations de l'Organisation avec ce pays.

En quatri・e lieu, le Sommet de Prague devrait servir ?promouvoir une coop・ation accrue entre l'OTAN et la Russie. Des progr・ significatifs ont d・?・?r・lis・ ?cet ・ard, comme le d・ontre l'attitude apparemment nouvelle du pr・ident Poutine concernant l'・argissement de l'OTAN et l'accord qu'il a conclu avec le secr・aire g・・al de l'Organisation, George Robertson, d'・ablir un nouveau forum pour amplifier la coop・ation OTAN-Russie. Autre mesure marquant un changement radical : Moscou a accept?de requ・ir l'aide de l'OTAN pour restructurer ses forces arm・s, ce ?quoi les cadres conservateurs de la d・ense russe r・istaient depuis longtemps. C'est l?un domaine o?l'OTAN a beaucoup ?offrir, comme le montre l'aide fournie par l'Organisation ?d'autres ・ats de l'ex-bloc sovi・ique. L'OTAN devrait s'attacher ?tirer parti de cette nouvelle donne et proposer une coop・ation de port・ encore plus vaste qui pourrait transformer les relations entre la Russie et l'Ouest. Cette coop・ation pourrait comporter des ・hanges d'information en mati・e de d・ense civile (o?les deux c・・ ont beaucoup ?apprendre l'un de l'autre), la coop・ation entre les forces sp・iales des membres de l'OTAN et de la Russie et la formation mutuelle de ces forces, la participation russe aux programmes collectifs d'armements, et des man・uvres militaires communes OTAN-Russie. Au lendemain des trag・ies du 11 septembre, la perspective de voir la Russie consid・er qu'elle fait partie du monde occidental, au lieu de se sentir menac・ par lui, est une possibilit?qu'il faut se garder de laisser passer.

Enfin, l'OTAN doit renforcer sa capacit?de faire face ?la probl・atique du terrorisme, processus auquel ont longtemps r・ist?les Alli・ europ・ns peu enclins ?donner ?l'Alliance un r・e « mondial » ou « politique » trop important. Il existe en fait de nombreux ・・ents qui limitent le r・e que l'OTAN peut et doit jouer dans ce domaine, telles que les questions d'application des lois, d'immigration, de contr・es financiers et de renseignement national qui d・assent de beaucoup le champ des comp・ences de l'OTAN et qui doivent ・re abord・s par d'autres voies, notamment celles qui ont ・?・ablies entre les ・ats-Unis et l'UE (et qui ont d'ailleurs ・?consid・ablement renforc・s depuis le 11 septembre). N・nmoins, les membres de l'OTAN peuvent et devraient partager des informations sur les armes nucl・ires, biologiques et chimiques et sur les programmes de missiles balistiques, d・elopper la d・ense civile et la gestion pr・isionnelle des cons・uences, mettre au point la d・ense de th蛯tre antimissile et assurer une meilleure coordination des forces sp・iales des ・ats membres qui seront appel・s ?jouer un r・e cl?dans la campagne antiterroriste. L'Alliance devrait m・e envisager la cr・tion d'un nouveau Commandement de projection des forces, qui aurait pour attributions sp・ifiques de planifier les op・ations ?projection ext・ieure. Pendant la guerre froide, rares sont ceux qui auraient imagin?la n・essit?d'une exp・ition de forces sp・iales am・icaines et europ・nnes de l'autre c・?du globe et de l'ex・ution d'une attaque coordonn・, mais c'est aujourd'hui un besoin tr・ r・l. Bien que l'OTAN n'ait pas ・?sollicit・ pour riposter ?une attaque visant les ・ats-Unis, il n'est malheureusement pas difficile d'imaginer une attaque terroriste majeure contre une ville d'Europe ?laquelle une riposte de l'OTAN serait justifi・.

M・e apr・ toutes les r・ormes appropri・s, il est peu probable que l'OTAN redevienne jamais l'organisation de d・ense centrale qu'elle ・ait ?l'・oque de la guerre froide ou m・e pendant les guerres des Balkans des ann・s 90. Mais cela ne signifie pas qu'elle ne continue pas de constituer un instrument essentiel au moyen duquel les ・ats-Unis et leurs principaux alli・ peuvent coordonner leurs forces arm・s, promouvoir l'unification de l'Europe, maintenir la paix dans les Balkans et, ・entualit?tr・ concevable, ex・uter de grandes op・ations militaires en n'importe quel point du globe. Le Sommet de Prague devrait servir non pas ?sonner le glas, mais ?revitaliser et ?adapter une organisation encore essentielle.

_____

1. « Le nouveau concept strat・ique de l'Alliance », R・nion du Conseil de l'Atlantique Nord ?Rome, 7-8 novembre 1991 (Bruxelles : OTAN), paragr. 12. Retour au texte.

2. « Le concept strat・ique de l'Alliance », approuv?par les chefs d'・at et de gouvernement participant ?la r・nion du Conseil de l'Atlantique Nord ?Washington les 23 et 24 avril 1999. Communiqu?de presse : NAC-S(99)65 Bruxelles, OTAN, paragr. 24. Retour au texte.

3. « Communiqu?du Sommet de Washington ». Communiqu?de presse : NAC-S(99)64, Bruxelles, 24 avril 1999, paragr. 11. Retour au texte

Les opinions exprim・s dans le pr・ent article sont celles de l'auteur ; elles ne refl・ent pas n・essairement les vues ou les politiques du gouvernement des ・ats-Unis.

ligne bleue