Richard Conaboy
Président de la « Sentencing Commission » des
États-Unis
Dans sa recherche perpétuelle de l'équité, l'appareil judiciaire des États-Unis s'est imposé de nouvelles règles que les juges doivent suivre afin de prononcer les sentences. Le président de la « Sentencing Commission » explique comment les règles d'application des peines facilitent l'équité et quelles nouvelles options en matière de sentence sont maintenant à la disposition des juges.
Le prononcé du jugement est l'une des tâches les plus difficiles qui incombent à un juge. Le pouvoir qu'il a de priver une personne de son argent, de sa liberté, voire même de sa vie, représente une énorme responsabilité. La peine infligée à l'accusé doit être équitable et impartiale et fondée uniquement sur des facteurs pertinents. Il ne doit trahir aucun favoritisme en vertu de considérations de race, de religion, de croyances ou d'appartenance politique. L'indépendance du pouvoir judiciaire, c'est-à-dire son maintien à l'abri des passions du public ou de pressions partisanes, est extrêmement important du point de vue du prononcé du jugement.
En même temps, les juges ne peuvent être entièrement libres d'imposer la sentence qui leur plaît. Au fronton de l'édifice de la Cour suprême est gravée la devise de l'appareil judiciaire américain : « La justice pour tous, selon la loi ». Étant donné que, dans une société pluraliste comme celle des États-Unis, le groupe ethnique auquel appartient le juge qui prononce la sentence, son sexe, et sa religion sont souvent différents de ceux de l'accusé, les citoyens doivent avoir l'assurance que toute personne qui enfreint la loi sera traitée de la même façon que tout autre auteur du même délit.
« Le respect de la loi sans respect de l'ordre »
Les intellectuels et les politiciens craignaient autrefois que les décisions judiciaires ne fussent faussées par le fait que les juges comprenaient naturellement mieux les personnes qui leur ressemblaient que les autres, ce qui pouvait les amener à traiter certains accusés de façon différente.
Dans « Les sentences pénales ou le respect de la loi sans respect de l'ordre », publié en 1972, un ancien juge fédéral, Marvin Frankel, définissait en ces termes le prononcé des sentences : « Le respect du droit sans respect de l'ordre ». À l'époque, en droit pénal, le juge avait le choix entre toute une série de sentences. On ne lui donnait aucune directive sur le type de condamnation qui était le plus couramment imposé par ses confrères ou sur les peines les plus efficaces. Si bien que les sentences prononcées pour le même type de délit variaient selon la philosophie des juges qui les imposaient.
De plus, la durée de la peine imposée par un juge ne correspondait pas toujours au temps effectivement passé en prison par l'accusé. Ce dernier pouvait être mis en liberté conditionnelle par une commission judiciaire avant l'expiration de sa peine. La plupart des accusés n'accomplissaient que le tiers ou la moitié de la peine décidée par un juge. Beaucoup de gens pensaient que cet état de choses nuisait au respect des tribunaux et de la loi.
La loi de 1984 sur la réforme des sentences a changé tout cela en abolissant la liberté conditionnelle et en créant une commission fédérale, la « Sentencing Commission », chargée d'élaborer un ensemble de directives que les juges devraient suivre lorsqu'ils décideraient de la sentence à imposer. À l'heure actuelle, ce que nous appelons « la vérité du jugement » est de rigueur, ce qui signifie que les accusés purgent la peine imposée par le juge (moins une réduction de peine de quinze pour cent maximum pour bonne conduite en prison). Mais ce qui est le plus important, c'est que les juges ont désormais des directives qui les aident à décider de la peine appropriée, si bien que leurs pairs comme le public ont l'assurance que des juges différents utilisant les mêmes règles parviendront à la même conclusion.
Les juges participent à l'élaboration des règles d'application des peines
D'après la Loi, trois au moins des sept membres de la « Sentencing Commission » doivent être des juges fédéraux. En outre, cette commission est tenue de consulter la Conférence judiciaire des États-Unis, l'organe directeur de l'appareil judiciaire fédéral, sur toute amélioration éventuelle de ses directives. Ainsi, bien que celles-ci puissent limiter les pouvoirs d'un juge lorsqu'il impose sa sentence dans un cas donné, la participation des juges aux travaux de la commission leur donne un nouveau moyen d'influencer les règles applicables à tous les cas.
À l'origine, cet aspect de la réforme avait fait l'objet d'une controverse. Certains pensaient que les directives devaient être élaborées entièrement par des juges, d'autres que c'était le Congrès qui devait s'en charger. Le compromis représenté par la création de la « Sentencing Commission » et le fait que celle-ci dépendrait du pouvoir judiciaire avaient pour but de mettre le prononcé des sentences à l'abri des passions politiques du moment. La Commission serait un organe indépendant, composé d'experts qui établiraient des règles applicables au prononcé des sentences fondées sur des travaux de recherche et sur la raison.
En même temps, les auteurs de ces directives devaient être politiquement responsables. Les membres de la Commission sont nommés par le Président et cette nomination est ratifiée par le Congrès. Et la Commission doit respecter les consignes du Congrès, lequel peut notamment l'obliger à augmenter les peines ou à modifier de diverses façons les règles d'application des peines. Il en résulte, au sein de l'appareil judiciaire américain, un organe « quasi-législatif » qui a d'ailleurs été contesté en 1989 en tant que violation du principe de séparation des pouvoirs contenu dans la Constitution des États-Unis. Mais la Cour suprême a rejeté cette objection dans l'affaire Misretta contre les États-Unis, décrétant que la Commission et le pouvoir qu'avaient ses membres de fixer les règles d'application des peines étaient conformes à la Constitution.
L'accent est mis sur les facteurs pertinents
Les directives en matière de prononcé des sentences décrivent exactement les faits importants que doit retenir le juge afin d'imposer une peine. Elles lui interdisent de prendre en considération la race, le sexe, le pays d'origine, la religion ou la situation socio-économique de l'accusé. La sentence est basée essentiellement sur la gravité du délit et sur le casier judiciaire de l'accusé.
Par exemple, l'un des délits les plus courants est le trafic des stupéfiants. La peine infligée dans de tels cas est principalement fondée sur la quantité de drogue produite, introduite en fraude ou vendue par l'accusé. Elle est augmentée si l'accusé était porteur d'une arme lorsqu'il a commis son délit ou s'il avait déjà été condamné pour avoir vendu de la drogue à un enfant, à proximité d'une école, ou à une femme enceinte. Les chefs d'organisations de malfaiteurs se voient imposer des peines plus lourdes que les autres délinquants. Les accusés qui reconnaissent leur crime et en acceptent la responsabilité font l'objet de peines réduites par rapport à ceux qui nient avoir commis le délit en question. Enfin, la peine est augmentée si l'accusé a commis d'autres délits.
Grâce à de telles règles, chacun peut voir comment une peine est déterminée. On peut ne pas être d'accord avec toutes les règles établies par la Commission, mais tout le monde sait que les mêmes règles sont appliquées dans tous les tribunaux des États-Unis, ce qui aide à garantir que des personnes coupables des mêmes délits seront traitées de la même façon.
Le rôle du juge
Les juges ont un important rôle à jouer dans l'application des directives relatives au prononcé des sentences. Ils doivent établir les faits et le passé judiciaire des accusés. Dans les tribunaux fédéraux américains, les juges prennent leur décision lors d'une audience durant laquelle l'accusation et la défense leur présentent les preuves en leur possession. Le secrétariat du tribunal prépare un « rapport préalable » qui comprend la description des délits et de leurs effets sur les victimes. Il détaille également le passé criminel des accusés et donne des renseignements sur leurs antécédents, leur famille, leur niveau d'instruction, leur situation professionnelle et autres facteurs.
Lorsqu'ils ont élaboré leurs directives, le Congrès et la Commission ont reconnu qu'aucun ensemble de règles, aussi détaillées soient-elles, ne pouvait être adapté à toutes les situations. C'est pourquoi, comme l'indique la loi sur la réforme des sentences, « si le tribunal découvre qu'il existe des circonstances aggravantes ou atténuantes d'un genre ou d'un degré qui ne sont pas adéquatement pris en considération par la Commission dans la formulation de ses directives, un juge peut s'écarter de la règle et imposer la sentence appropriée en fonction de ces circonstances particulières. »
Cependant, les juges doivent consigner les faits qui, dans un cas particulier, justifient une dérogation aux directives de la Commission. Ces faits pourront être passés en revue par une cour d'appel si l'accusation ou la défense décident de faire appel de la décision du juge, ce qui est leur droit si la dérogation en question leur est défavorable. Depuis l'application des directives, la loi sur la réforme des sentences a entraîné une augmentation des interventions des cours d'appel, qui ont désormais le pouvoir de réviser les jugements pour assurer la bonne application de ces directives.
Les diverses options en matière de sentence
Compte tenu des directives, un juge doit décider s'il enverra un accusé en prison ou s'il imposera l'une des autres peines de substitution prévues par la loi. Les auteurs des délits les moins graves peuvent être mis en liberté surveillée, c'est-à-dire soumis à une surveillance au sein de leur collectivité sous la surveillance d'un contrôleur judiciaire. En cas de délits plus graves, un juge peut choisir entre trois types de sanctions intermédiaires : la détention dans la collectivité, la détention intermittente et l'assignation à résidence. Pour des délits encore plus graves, il peut imposer une peine en deux temps prévoyant que l'accusé passera un certain temps en prison et purgera le reste de sa peine conformément à l'une des sanctions intermédiaires.
La détention au sein de la collectivité signifie le placement de l'accusé dans une institution située en dehors de la prison, par exemple un centre de réadaptation ou de désintoxication. Une telle peine peut être imposée à la place de l'emprisonnement ou afin de faciliter la réinsertion de l'accusé dans la collectivité à sa sortie de prison. Quant à la détention intermittente, elle signifie que l'accusé est libre de se rendre à son travail ou d'habiter chez lui une partie de la semaine, mais qu'il doit passer les fins de semaine en prison.
L'assignation à résidence est la plus récente des sanctions intermédiaires et le recours à ce genre de sentence a considérablement augmenté dans les tribunaux fédéraux au cours des dix dernières années. En 1996, plus de dix-huit mille prisonniers fédéraux avaient passé un certain temps en assignation à résidence. Initialement appelé « résidence surveillée » (terme malheureusement associé, dans certains pays, à l'opposition politique et à la détention par la police), ce programme est administré par les tribunaux et la supervision des accusés est jugée suffisamment efficace pour qu'on leur permette de vivre chez eux, mais il exige un haut degré de surveillance.
De nouvelles techniques permettent d'améliorer la surveillance
L'appareil judiciaire fédéral américain a recours à certaines techniques, notamment des moniteurs électroniques, afin de faire de l'assignation à résidence une solution rigoureuse et sûre. Les moniteurs électroniques ne sont cependant pas indispensables à la mise en place d'un tel programme. Dans certaines villes, les contrôleurs judiciaires se rendent périodiquement au domicile des accusés pour s'assurer de leur présence. Mais les moniteurs électroniques donnent aux magistrats davantage de confiance dans l'efficacité de l'assignation à résidence quand il s'agit d'auteurs de délits graves qu'ils veulent surveiller étroitement.
Durant l'assignation à résidence, l'accusé porte un bracelet électronique relié par signal radio à des récepteurs branchés sur la ligne téléphonique de son domicile. S'il s'écarte de plus de cinquante-cinq mètres des récepteurs, ceux-ci déclenchent automatiquement les ordinateurs qui les surveillent. Ces ordinateurs vérifient le dossier de l'accusé pour voir s'il était autorisé à quitter son domicile à ce moment-là. Dans la négative, le contrôleur judiciaire affecté à son cas est aussitôt prévenu et des recherches sont entamées pour le retrouver. L'équipement électronique de surveillance détecte également toute tentative de l'accusé d'ôter son bracelet ou de l'empêcher de fonctionner, ainsi que les pannes de téléphone à son domicile. Le criminologue James Byrne déclare à ce sujet : « Les preuves recueillies à ce jour permettent de penser que l'assignation à résidence peut être une peine de substitution valable et le respect de la surveillance électronique qui l'accompagne semble être au moins aussi efficace que les méthodes classiques de surveillance. » En fait, de nombreux accusés jugent l'assignation à résidence aussi coercitive que la prison. Certains d'entre eux vont même jusqu'à la refuser, préférant passer du temps en prison où ils ont plus de contacts sociaux et plus de possibilités de se distraire.
Sur l'ensemble des personnes condamnées à l'assignation à résidence aux États-Unis, 93,5 % purgent entièrement leur peine. Environ six pour cent enfreignent les règles du programme en quittant continuellement leur domicile, en continuant à se droguer ou en essayant de débrancher l'équipement électronique de surveillance. À la mi-94, les statistiques indiquaient que 1,5 % seulement des criminels assignés à résidence avaient récidivé ou s'étaient soustraits au programme.
L'avenir de l'application des peines au niveau fédéral
Les pressions politiques sont les plus fortes quand la criminalité est l'une des questions qui préoccupent le plus le public et quand la répression est considérée comme la solution du problème. Le Congrès impose continuellement de nouvelles peines minimum pour certains types de délits, au lieu de laisser les directives déterminer le type de peine approprié. Et cela complique souvent les efforts que déploie la Commission afin d'établir des règles assurant l'équité et la proportionnalité des peines applicables aux nombreux types de délits qu'ont à juger les tribunaux fédéraux. Mais, alors que la Commission entre dans sa deuxième décennie d'existence, elle s'efforce de trouver des moyens nouveaux et plus efficaces d'atteindre son double objectif : réduire la criminalité tout en traitant équitablement ceux qui enfreignent les lois.