L'affaire Scottsboro et les droits fondamentauxDavid Pitts
![]() Cette ann・ marque le soixante-dixi・e anniversaire d'un proc・ qui d・raya la chronique pendant pr・ de vingt ans. L'affaire des Gar・ns de Scottsboro contre l'・at de l'Alabama devint une cause c・・re : pr・urseur du mouvement des droits civiques aux ・ats-Unis, elle donna lieu ?deux arr・s historiques de la Cour supr・e f・・ale qui renforc・ent les droits fondamentaux de tous les Am・icains. Cette affaire fut aussi un rappel ?la r・lit? ?savoir qu'il est rare que les droits garantis par des documents officiels tels que la Constitution soient appliqu・ imm・iatement, mais qu'ils ・oluent plut・ au fil du temps avec la jurisprudence et le contr・e judiciaire. David Pitts, r・acteur du d・artement d'・at, analyse l'impact des d・isions de la Haute Cour dans l'article ci-dessous. Il s'est ・alement rendu ?Scottsboro o? dans un entretien avec le maire, il s'est inform?des changements qui se sont produits dans cette ville depuis les premiers proc・ de 1931. En mars 1931, neuf jeunes hommes noirs, ・・ de 13 ?21 ans, qui traversaient en train la campagne de l'Alabama, install・ dans un wagon de marchandises, furent incarc・・ puis traduits en justice, accus・ d'avoir viol?dans le train deux femmes blanches, Ruby Bates et Victoria Price. Le proc・ eut lieu ?Scottsboro, une petite ville jusque-l?inconnue, mais dont le nom allait ・re associ??une des affaires de droits civiques les plus c・・res du pays, une histoire de racisme, de st・・types et de tabous sexuels, situ・ au c・ur du « sud profond » des ・ats-Unis o?la s・r・ation ・ait strictement appliqu・. Huit des neuf furent rapidement jug・ et condamn・ ?mort. Roy Wright, qui n'avait que 13 ans, ・happa ?la peine capitale.
Le tribunal o?se tinrent les premiers proc・ est toujours situ?au centre de la ville, mais, comme l'a fait remarquer au journaliste un habitant de Scottsboro, les proc・ suivants furent jug・ ailleurs, dans une autre localit?de l'Alabama. La plupart des personnes interrog・s n'avaient qu'une tr・ vague id・ des ・・ements qui s'・aient produits soixante-dix ans plus t・. Un vieillard raconte : « J'・ais tr・ jeune quand les proc・ ont commenc?(...) Je me rappelle vaguement que mes parents en ont parl? Ce n'est que bien plus tard que j'ai compris qu'un ・・ement majeur avait eu lieu dans la ville. Mais je ne l'ai compris que lorsque les droits civiques ont pris de l'importance. » L'importance de l'affaire Le proc・ des gar・ns de Scottsboro est important au regard non seulement de l'histoire des droits civiques, mais aussi de l'・olution du droit constitutionnel, car c'est lui qui a conduit ?interpr・er plus largement les droits figurant dans le quatorzi・e amendement de la Constitution, ?savoir la « protection ・ale devant la loi » et les « droits de la d・ense ». Ce proc・ a ・alement ・argi la port・ du droit de l'accus?de « b・・icier de l'assistance d'un avocat », droit garanti par le sixi・e amendement de la Constitution. Pour ・re plus exact, l'affaire finit par garantir ?tous les Am・icains jug・ par la justice p・ale d'un ・at f・・?ou par un tribunal f・・al la pr・ence d'un avocat comp・ent, ainsi que l'interdiction d'exclure un jur?en raison de son origine ethnique ou de sa race. Le sixi・e amendement de la Constitution des ・ats-Unis ・ablit un certain nombre de droits garantissant que des accus・ dans des affaires p・ales b・・icient d'un proc・ ・uitable. Le droit d'・re d・endu par un avocat est une disposition importante. Mais dans presque toute l'histoire de la R・ublique, ce droit ・ait r・erv??ceux qui en avaient les moyens financiers et qui ・aient traduits devant des tribunaux f・・aux. La situation a chang?avec l'affaire des gar・ns de Scottsboro, jeunes gens accus・ d'avoir viol?la loi de leur ・at et non la loi f・・ale, qui ・aient si pauvres qu'ils survivaient ?peine et qui n'・aient certainement pas en mesure d'engager un avocat pour les d・endre. Deux avocats finirent par ・re commis d'office, mais ils ・aient loin d'・re comp・ents. L'un ・ait un avocat du Tennessee sp・ialis?dans le droit immobilier qui resta en ・at d'・ri・?pendant la dur・ du proc・. L'autre ・ait un avocat local qui n'avait pas plaid?depuis des ann・s. Le premier arr・ historique de la Cour supr・e Dans un arr・ historique rendu dans l'affaire de Scottsboro, intitul・ Powell v. Alabama (1932), du nom de l'un des accus・, la Cour supr・e des ・ats-Unis trancha que les accus・ passibles de la peine capitale devaient ・re d・endus par un avocat comp・ent. La Cour fonda surtout sa d・ision sur la clause relative au droit ?la d・ense contenue dans le quatorzi・e amendement de la Constitution des ・ats-Unis. En annulant la condamnation ?mort, la Cour trancha majoritairement que la d・ense des gar・ns de Scottsboro avait ・? c'est le moins que l'on puisse dire, inadapt・. L'arr・ de la Cour supr・e stipula que dans des affaires d'une telle gravit? la pr・ence d'un conseil ・ait « essentielle » aux droits de la d・ense, que l'affaire soit jug・ par des tribunaux f・・aux ou par ceux des ・ats f・・・. « En annulant les condamnations », ・rit Donald Lively dans son livre, Les arr・s historiques de la Cour supr・e, « la Cour supr・e d・ide que la complexit?des affaires p・ales exige la pr・ence d'un avocat de la d・ense ». Si la port・ de l'arr・ Powell contre Alabama ・ait limit・ puisqu'il s'appliquait uniquement aux accus・ passibles de la peine capitale, les experts constitutionnels affirment qu'il eut des retomb・s significatives sur la jurisprudence am・icaine puisque, pour la premi・e fois, le droit de l'accus??b・・icier d'un avocat fut instaur?aussi bien dans les tribunaux des ・ats f・・・ que dans les tribunaux f・・aux. De plus, comme l'explique le Dictionnaire de droit constitutionnel am・icain, « il relia la clause relative au droit au conseil (sixi・e amendement) aux tribunaux d'・at par le biais de la clause du droit ?une proc・ure r・uli・e (quatorzi・e amendement), mais (en tout cas jusque-l? uniquement dans des proc・ d'accus・ risquant la peine capitale ». L'importance de cet arr・ fut ・alement soulign・ par Maureen Harrison et Steve Gilbert dans leur livre Les grands arr・s de la Cour supr・e des ・ats-Unis. « Depuis le d・ut », ・rivent-ils, « la Constitution f・・ale, les constitutions des ・ats et la l・islation ont fortement mis l'accent sur les protections de proc・ure et de droit cens・s garantir l'impartialit?des tribunaux et l'・uit?des proc・ o?les accus・ sont tous ・aux au regard de la loi. » Le deuxi・e arr・ historique de la Cour supr・e L'Alabama refusa toutefois de c・er et renvoya l'affaire Scottsboro devant la justice, m・e si les m・ecins qui avaient examin?les femmes avaient certifi?que le viol n'avait pas eu lieu. Un mois avant l'ouverture des nouveaux proc・, Ruby Bates ・ait ・alement revenue sur ses premi・es d・larations. Deux des accus・, Heywood Patterson et Clarence Norris, furent ?nouveau condamn・ ?mort. Un deuxi・e arr・ historique de la Cour supr・e, Norris contre Alabama (1935), annula ?nouveau les deux condamnations ?la peine capitale, cette fois-ci parce que l'Alabama avait interdit que des Afro-Am・icains fassent partie du jury. La d・ision unanime des juges de la Cour supr・e ・oquait « l'exclusion syst・atique et totale » des Noirs parmi les jur・ et taxait de « pr・omption virulente » l'id・ que les Afro-Am・icains n'・aient pas aptes ?remplir ce devoir. Dans son commentaire sur l'importance de cet arr・, Le Guide Oxford des arr・s de la Cour supr・e concorde avec la d・ense sur le fait que les Noirs avaient ・?arbitrairement et syst・atiquement exclus des listes de jur・ de l'Alabama, que ce soit pour les mises en accusation (grand jury) que pour les proc・, ce qui est contraire ?la clause du quatorzi・e amendement garantissant l'・alit?devant la loi. « En fait, on leur avait refus?le droit ?un proc・ ・uitable devant un jury impartial », ・rit James Goodman dans Histoires de Scottsboro, livre qui fut tr・ acclam? « Par une d・ision unanime, la Cour supr・e f・・ale tomba d'accord avec la d・ense sur le fait que les Noirs avaient ・?arbitrairement et syst・atiquement exclus des listes de jur・ de l'Alabama, ce qui est contraire ?la clause du quatorzi・e amendement garantissant une protection ・ale devant la loi. »
En d・it des deux arr・s de la Cour supr・e d・avorables au minist・e public de l'Alabama, ce dernier s'ent・a et pr・enta une fois de plus l'affaire devant les tribunaux. En fin de compte, cinq hommes furent condamn・ et incarc・・ pendant de longues ann・s, le dernier ・ant finalement lib・?en 1950. Les quatre autres hommes furent remis en libert? Si la Cour supr・e ne sauva pas les gar・ns de Scottsboro de l'incarc・ation, elle leur ・argna n・nmoins l'ex・ution. Sur le plan constitutionnel, l'important est que la Cour supr・e f・・ale se soit engag・ ?garantir aux accus・ le droit d'・re d・endus par un avocat, du moins lorsqu'ils risquent la peine de mort. L'affaire permit ・alement d'・ablir clairement que l'exclusion de jur・ sur la base de leur race ne serait pas tol・・. L'arr・ de 1935 Norris contre l'Alabama conduisit ?l'abolition des jurys exclusivement blancs dans le sud des ・ats-Unis. Arr・s ult・ieurs de la Cour supr・e Pour ce qui est de la d・ision Powell contre l'Alabama, des arr・s ult・ieurs de la Cour supr・e renforc・ent le droit d'・re d・endu par un avocat. Dans Johnson contre Zerbst (1936) le haut tribunal trancha que tous les justiciables accus・ d'infractions majeures par des tribunaux f・・aux devaient ・re d・endus par un avocat. Auparavant (depuis 1790), seules les personnes accus・s de meurtres et jug・s par les tribunaux f・・aux devaient ・re d・endues par un avocat. Dans les ann・s 1940, ce droit fut ・endu aux personnes accus・s d'infractions majeures traduites devant les tribunaux des ・ats f・・・ et passibles de peines inf・ieures ?celles encourues par les gar・ns de Scottsboro. De nombreuses cours d'appel des ・ats f・・・ statu・ent ・alement que l'accus?devait ・re d・endu par un avocat, notamment en proc・ p・al pour infraction majeure. Toutefois, jusqu'en 1963, sept ・ats f・・・ n'exigeaient toujours pas qu'un avocat d・ende les accus・ jug・ pour d・its graves. La Cour supr・e des ・ats-Unis remit les pendules ?l'heure avec l'arr・ Gideon contre Wainwright (1963) qui exige que le droit ?un avocat (stipul?par le sixi・e amendement) s'applique ?tous les ・ats f・・・ et aux tribunaux f・・aux dans le cas d'infractions majeures. « Le droit d'une personne accus・ d'une infraction majeure ?・re d・endue par un avocat n'est peut-・re pas jug?fondamental et essentiel par la justice de certains pays », a d・lar?le juge de la Cour supr・e Hugo Black, « mais chez nous, il l'est ». Cette d・ision fut le point culminant de l'une des affaires les plus sensationnelles du droit constitutionnel am・icain, analys・ dans le d・ail dans l'ouvrage intitul?Gideon's Trumpet publi?en 1964. « L'arr・ de Gideon rev・ une importance extraordinaire », affirment Lee Epstein et Thomas Walker dans leur ouvrage de r・・ence Le droit constitutionnel et l'・olution de l'Am・ique, car il permit ?une certaine cat・orie d'accus・ qui ne b・・iciaient pas de ce droit d'・re d・endus par un avocat. D'autres arr・s de la Cour supr・e, dans les ann・s 1960 et plus particuli・ement au d・ut des ann・s 1970, ・argirent ?l'ensemble des Am・icains le droit universel ?l'aide d'un avocat instaur?en 1963. En 1972, la Cour trancha que ce droit s'appliquait non seulement aux accus・ coupables d'infractions majeures jug・ par les tribunaux f・・aux et des ・ats, mais en fait ?tous les accus・ passibles d'une peine de prison. Le pays a beaucoup ・olu?depuis ce jour de printemps de 1931 o?neuf jeunes Afro-Am・icains transis de peur, debout dans une salle de tribunal chaude et poussi・euse de l'Alabama, jouaient leur vie. Dans le cas des gar・ns de Scottsboro, l'intervention de la Cour supr・e fut suivie d'une s・ie d'arr・s importants qui renforc・ent les droits de tous les Am・icains et garantirent que ce drame racial particulier resterait c・・re non seulement dans l'histoire des droits civiques mais aussi dans la longue ・olution de la jurisprudence am・icaine. Dans les ann・s 1930, cette affaire a suscit?des passions et des d・ats innombrables et ses r・ercussions sont encore ressenties aujourd'hui puisqu'elle a ・abli fermement le principe de la protection ・ale devant la loi.
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