HTML> D・artement d'・at - Revue ・ectronique - D・ocratie et droits de l'homme - Mai 2000 -



La d・ocratie : un droit pour tous les pays


Joshua Muravchik

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La d・ocratie est-elle pour tout le monde ? Pour les Am・icains, la question ne se pose m・e pas. Notre propre d・ocratie repose sur les pr・isses que « tous les hommes sont cr蜑s ・aux, qu'ils sont dot・ par leur Cr・teur de certains droits inali・ables » et que le juste pouvoir des gouvernements « ・ane du consentement des gouvern・ ». Ces pr・isses, dit la D・laration d'Ind・endance des ・ats-Unis, sont des « v・it・ » qui sont « l'・idence m・e ». Mais il n'en est rien, bien entendu, et aucun gouvernement ne s'・ait jusqu'alors fond?sur ces principes, qui tenaient plut・ de la profession de foi ou de l'axiome et qui, ind・ontrables, exprimaient la notion fondamentale de justice ch・e aux fondateurs des ・ats-Unis. Joshua Muravchik, chercheur ?l'American Enterprise Institute ; et auteur de Exporting Democracy : Fulfilling America's Destiny, examine cette th・rie de « d・ocratie universelle » et en d・init les param・res et les d・is.

Rien dans la D・laration d'Ind・endance n'indique que ces principes s'appliquent uniquement aux Am・icains. Au contraire, les auteurs du texte entendaient d・rire les principes d'un gouvernement juste applicables ?« tous les hommes ». Cette universalit?a ・?confirm・ par le succ・ de l'insertion dans la vie publique am・icaine de millions d'・igrants d'origines ethniques fort diff・entes de celles des architectes de la Constitution, ainsi que celle des esclaves am・icains ・ancip・. La nation ・ant devenue polyglotte, la d・ocratie, loin de faiblir, n'a fait que s'affermir progressivement. Les Am・icains qui croient en notre d・ocratie, et qui acceptent les raisons invoqu・s par les auteurs de la Constitution pour en justifier l'existence, doivent n・essairement croire aussi que les peuples des autres pays jouissent des m・es droits et que tous les gouvernements du monde doivent reposer sur le consentement des gouvern・.

Probl・es de l'universalisme de la d・ocratie

Mais cette conviction universaliste typiquement am・icaine n'a pas sembl?« l'・idence m・e » pour tous. C'est ainsi que les repr・entants des gouvernements asiatiques assembl・ ?Bangkok, en 1993, ?l'occasion d'une r・nion r・ionale pr・aratoire ?la Conf・ence mondiale des Nations Unies sur les droits de l'homme, ont d・lar?que « tous les pays ont le droit de choisir le r・ime politique qui leur convient », y compris, par implication, d'en choisir un qui n'est pas d・ocratiques. Ils ont affirm?・alement que les droits de l'homme « doivent ・re examin・ dans le contexte de particularit・ nationales et r・ionales et celui de diverses donn・s historiques, culturelles et religieuses ». Ce point de vue, bien qu'exprim?dans la langue ampoul・ des d・larations diplomatiques, ・ait tr・ clair : la d・ocratie n'est peut-・re pas bonne pour tout le monde. La d・laration de Bangkok apporte un soutien implicite ?l'id・ d'une « mani・e asiatique » de voir le monde, qui place le groupe avant l'individu, et qui vise au d・eloppement ・onomique par l'exercice d'un gestion autoritaire des affaires de l'・at. On a pu invoquer des arguments analogues au sujet des habitants d'autres r・ions, selon lesquels les populations du Proche-Orient pr・・ent des syst・es politiques fond・ sur les pr・eptes islamiques ou celles d'Am・ique latine trouvent une forme particuli・e de populisme corporatif plus conviviale que la d・ocratie « m・anique ».

Il existe une deuxi・e s・ie d'arguments qui r・usent l'universalisme de la d・ocratie en partant d'un autre point de vue. Divers chercheurs am・icains ont pos?la question de savoir si les populations des pays pauvres ou non occidentaux ・aient capables de se gouverner elles-m・es. L'・rivain Irving Kristol note : « Je ne suis pas ravi des succ・ de la d・ocratie en Argentine ou aux Philippines ou en Cor・. Je suis pr・ ?parier que la d・ocratie ne pourra pas y survivre « ; Kristol appuie son opinion en disant que ces pays ne pr・entent pas « les conditions indispensables ?la d・ocratie, notamment certaines traditions et attitudes culturelles ». L'argument ici n'est pas qu'il existe une autre option sup・ieure ?la d・ocratie, mais que la d・ocratie ne peut pas se r・liser. Le politologue James Wilson explique : « La d・ocratie et la libert?humaine sont bonnes pour tous. Mais les bienfaits qu'elles apportent ne peuvent ・re appr・i・ que lorsque les populations sont calmes et acceptent la tol・ance. » Il signale qu'il n'en est pas ainsi en Chine, en Russie, dans la majorit?des pays d'Afrique et du Proche-Orient et dans une grande partie de l'Am・ique latine. Kristol et Wilson sont conservateurs, mais de nombreux th・riciens lib・aux ont adopt?le m・e point de vue, par exemple le politologue Robert Dahl qui ・rit : « La r・lit?d・laisante, peut-・re m・e tragique, est que dans une grande partie du monde les conditions les plus favorables au d・eloppement et ?l'entretien de la d・ocratie font d・aut ou au mieux faiblement pr・entes. »

Examinons ces deux objections ?l'universalisme de la d・ocratie. L'affirmation selon laquelle tous les pays ont droit de choisir leur propre r・ime engendre une autre question, celle de savoir qui parle alors au nom du pays ? Amartya Sen, ・onomiste indien laur・t du Prix Nobel 1998, note que « la justification des arrangements politiques autoritaires en Asie est fournie typiquement non pas par des historiens ind・endants mais par les d・enteurs du pouvoir eux-m・es ». Ces arguments ・ant invoqu・ ?des fins personnelles, ils sont g・・alement pr・ent・ au nom du peuple. « Le peuple chinois » ou « le peuple de Singapour », ou de quelque autre lieu, ne veut pas, nous dit-on, d'un r・ime d・ocratique. Abstraction faite de l'ironie inh・ente de cette affirmation, (car pourquoi en dehors d'une d・ocratie, l'opinion des peuples aurait-elle de l'importance ?) il faut ・alement se demander comment nous pouvons savoir ce que le peuple veut si l'on ne lui pose pas la question.

Les dirigeants disent souvent savoir ce que veulent leurs sujets, mais peut-on accepter leurs affirmations sur ce point ? Dans le Sud des ・ats-Unis, dans les ann・s 1950, nombre de Blancs d・laraient que « leurs gens de couleur » ・aient tr・ satisfaits de la s・r・ation raciale, mais une fois le droit de vote accord?aux Noirs, ceux-ci ont ・idemment inflig?un d・enti radical aux s・r・ationnistes.

Dans le monde entier, il est arriv??de nombreuses reprises que des gens vivant sous un r・ime dictatorial obtiennent enfin le droit d'exprimer leur volont?nbsp;; ils n'ont jamais justifi?les dictateurs. Ceci s'est g・・alement produit lorsque, en raison de pressions dont ils ・aient l'objet, les d・enteurs du pouvoir ont organis?des ・ections dans des conditions qui leur ・aient favorables, dans l'espoir de s'accrocher au pouvoir. En 1977, lorsque les protestations se sont ・ev・s contre le r・ime de loi martiale impos?par Indira Gandhi en Inde, elle a accept?de proc・er ?une ・ection, dont elle esp・ait recueillir un vote de confiance. Dans un pays paup・is?tel que l'Inde, elle pensait que ses promesses ・onomiques compteraient plus que les droits politiques. Contrairement ?ses attentes, les ・ections l'ont ・inc・ de son poste et l'opposition dirig・ par le parti des « intouchables », les plus pauvres des pauvres, a ・?port・ au pouvoir. En 1987, Ferdinand Marcos a tenu des « ・ections ・lair » aux Philippines, laissant fort peu de temps ?l'opposition pour s'organiser, mais il a, lui aussi, ・?battu. L'ann・ suivante, au Chili, le pr・ident Augusto Pinochet, peu dispos??courir le risque d'・ections comp・itives, a accept?un pl・iscite sur la question de son maintien au pouvoir. L'id・ ・ait de donner aux ・ecteurs le choix entre le statu quo et un avenir inconnu, qui ne pouvait que para・re incertain. Mais l'・ectorat s'est prononc?majoritairement en faveur du d・art de Pinochet. En 1989, le r・ime polonais et l'opposition ont convenu d'organiser des ・ections semi comp・itives. Un grand nombre de si・es parlementaires ・aient contest・, mais la liste compl・e de repr・entants communistes de haut rang devait se pr・enter sans opposition, afin de pr・erver leur position dominante. Toutefois, la population a d・ou?le stratag・e. Bien qu'il n'y ait pas eu de candidats de partis de l'opposition, la majorit?des ・ecteurs ont ray?les noms des gros bonnets au pouvoir. Ils ont peut ・re ・?les seuls candidats de l'histoire ?se pr・enter sans opposition et ?perdre quand m・e. En 1990, alors que les r・imes dictatoriaux s'effondraient dans le monde entier, la junte militaire de Birmanie a ・?confront・ par des manifestations massives dans les rues. Les troupes ont tu?un grand nombre de protestataires, mais les dirigeants ont d?accepter d'organiser les premi・es ・ections du pays depuis pr・ de 30 ans, qui ont ・?remport・s par la Ligue nationale pour la d・ocratie par plus de 80 % des votes. L'oligarchie militaire a alors pris le parti tragique de refuser de reconna・re les r・ultats du scrutin.

Pr・・ence pour la d・ocratie

On pourrait citer de nombreux exemples analogues. En revanche, quels exemples avons-nous de dictateurs qui ont remport?des ・ections approuvant leur pr・ence ?la t・e de l'・at ? Quand les gens ont-ils vot?pour renoncer ?leurs droits d・ocratiques ? Assur・ent, il s'est trouv?des dirigeants librement ・us qui ont refus?d'abandonner le pouvoir au terme de leur mandat et qui se sont, en fait, transform・ en dictateurs, mais aucun d'eux n'avait manifest?son intention de le faire en se pr・entant aux ・ections. Il est ・alement vrai que les communistes d'antan ont ・?r蜑lus dans plusieurs pays de l'ancien bloc sovi・ique. Mais aucun de ces candidats n'a propos?de r・ablir la loi du parti unique. Au contraire, ils ont pr・ent??l'・ectorat des propositions fond・s sur des questions ・onomiques et sociales, tout en affirmant leur attachement aux proc・ures d・ocratiques.

Les deux cas les plus r・ents dans lesquels une population vivant sous un r・ime autoritaire a exprim?sa pr・・ence pour la d・ocratie sont ceux de l'Indon・ie et de l'Iran. Les manifestations estudiantines ont renvers?le r・ime du g・・al Suharto en 1998, et les ・ections qui ont suivi ont inflig?une cuisante d・aite ?l'ancien parti au pouvoir, le Golkar. L'Iran n'a pas encore tenu d'・ections enti・ement libres. Seuls les candidats qui promettent de soutenir le syst・e islamique et qui sont approuv・ par les autorit・ cl・icales sont autoris・ ?se pr・enter. Cependant, les ・ections parlementaires de cette ann・ ont d・ontr?clairement la volont?populaire d'・oluer vers une d・ocratie plus lib・ale. Ces ・・ements rel・ent d'une certaine justice providentielle, car l'Iran et l'Indon・ie ・aient deux des pays qui, ?la Conf・ence de Bangkok, s'attachaient le plus activement ?proclamer que les peuples asiatiques ne d・iraient pas appliquer les normes internationales de la d・ocratie et des droits de l'homme.

Une autre variante du point de vue selon lequel certaines nations ne veulent pas de la d・ocratie est illustr・ dans la citation ci-apr・, due au chercheur am・icain Howard Wiarda, sp・ialiste de l'Am・ique latine : « Je doute que l'Am・ique latine veuille une d・ocratie ?la mode am・icaine. » Ceci donne l'impression que la question n'est pas de savoir si la d・ocratie est une valeur applicable universellement, mais si chaque pays devrait avoir un syst・e politique coul?dans le m・e moule, ?savoir le moule am・icain. L?n'est pas la question. Pourquoi d'autres pays voudraient-ils une d・ocratie ?la mode am・icaine ? Le syst・e am・icain, avec ses poids et contrepoids particuliers, son puissant S・at ・rangement compos? sa division du pouvoir entre les ・ats f・・・ et le gouvernement f・・al, ses deux partis politiques dominants, etc., est issu de l'exp・ience am・icaine. D'autres d・ocraties ont des syst・es parlementaires, des gouvernements unitaires, des ・ections multipartites, une repr・entation proportionnelle, un parlement monocam・al et une multitude de variations sur ces th・es. Quand les occupants alli・ ont cr蜑 une d・ocratie au Japon apr・ la Deuxi・e Guerre mondiale, ils ont essay?d'imposer un syst・e f・・al, mais ils y ont vite renonc?tant ce syst・e ・ait ・ranger aux traditions japonaises. Chaque r・ime d・ocratique est unique et il existe de nombreuses formes institutionnelles de la d・ocratie.

Cela ne signifie pas que tous les r・imes qui se disent d・ocratiques m・itent cette appellation. Au cours des ann・s, nombre de r・imes communistes ou de mouvements r・olutionnaires se sont qualifi・ de « d・ocratiques » parce qu'ils affirmaient ・re soucieux du bien-・re du peuple, bien que leurs repr・entants n'aient pas ・?・us. Mais durant les derni・es ann・s de l'Union sovi・ique, le pr・ident Mikhail Gorbatchev a reconnu qu'il y avait eu l?un mauvais usage du terme de d・ocratie. « Nous savons aujourd'hui, a-t-il dit, que nous aurions pu ・iter maintes difficult・ si le processus d・ocratique s'・ait d・elopp?normalement dans notre pays. » Et il parlait l? il l'a pr・is? d'une d・ocratie parlementaire repr・entative.

D・inir les composantes de la d・ocratie

・ant donn?que le terme a ・?employ?abusivement, il est important d'identifier les caract・istiques fondamentales qui d・erminent qu'un pays est ou n'est pas une d・ocratie. Cela se r・ume ?trois composantes. En premier lieu, les principaux repr・entants gouvernementaux doivent ・re choisis au moyen d'・ections libres et r・uli・es, ?savoir des ・ections o?tout le monde peut se porter candidat et o?tout le monde a le droit de voter. Bien entendu, il peut y avoir certaines petites d・ogations ?ces r・les, mais pas des changements majeurs. L'Afrique du Sud sous le r・ime de l'apartheid a organis?des ・ections comp・itives, mais les Noirs n'avaient pas le droit de vote : ce n'・ait pas une d・ocratie. L'Iran a un pr・ident et un parlement ・us, mais un grand nombre de candidats ont ・?interdits par les autorit・ cl・icales, et les ・us sont subordonn・ ?des conseils religieux non ・us. Ceci ne constitue pas une d・ocratie.

En second lieu, la libert?d'expression doit ・re autoris・, ?savoir la libert?de parole, de la presse, de r・nion, entre autres. De nouveau, des d・ogations mineures peuvent ・re de peu d'importance, mais un pays tel que la Serbie, o?les moyens de communication sont pour la plupart des monopoles de l'・at et o?les rares journaux et stations de radiodiffusion ind・endants sont soumis ?des harc・ements d'ordre juridique et pratique, n'est pas une d・ocratie bien que des ・ections comp・itives y aient ・?organis・s.

En troisi・e lieu, la primaut?du droit doit ・re respect・. Toute personne accus・ d'un crime doit avoir la garantie que son cas sera jug?sur le fond et non pas selon des ordres donn・ au magistrat par les autorit・ politiques. De m・e, lorsque un citoyen souffre de mauvais traitements aux mains des autorit・, il doit exister des moyens l・aux par lesquels il peut chercher r・aration. La Malaisie ne peut donc pas ・re consid・・ comme une d・ocratie bien que le pays ait r・emment tenu des ・ections, car le leader de l'opposition a ・?emprisonn?sur des accusations dont le pr・ident ・ait certainement l'instigateur.

Examinons ?pr・ent la deuxi・e r・utation de la th・e de l'universalit?de la d・ocratie, ?savoir les arguments pr・ent・ par des penseurs tels que Kristol, Wilson et Dahl, selon lesquels la d・ocratie, bien que d・irable, serait au-del?des capacit・ des populations pauvres ou non occidentales.

Ce point de vue n'est pas r・ent. Un scepticisme semblable a ・?exprim?il y a quelques d・ennies au sujet des aptitudes ?la d・ocratie de soci・・ que nous sommes aujourd'hui accoutum・ ?consid・er comme fermement d・ocratiques. Alors que la Deuxi・e Guerre mondiale touchait ?sa fin, par exemple, le pr・ident Harry Truman a demand?au premier sp・ialiste du d・artement d'・at sur le Japon de lui fournir des ・・ents d'information sur la conduite ?adopter envers ce pays apr・ sa d・aite. L'expert, Joseph Grew, a d・lar??l'・oque que « dans le long terme, le mieux que l'on puisse esp・er est une monarchie constitutionnelle, l'exp・ience ayant d・ontr?que la d・ocratie ne pourra jamais fonctionner au Japon ». De m・e, ?la fin de l'occupation alli・ de l'Allemagne de l'Ouest en 1952, apr・ une visite dans le pays, l'・inent politologue Hans Eulau ・rivait, d・esp・?nbsp;: « La R・ublique de Bonn a l'allure d'une r・ncarnation de Weimar (...) ; elle suscite les m・es vagues appr・ensions. » Le probl・e, expliquait Eulau, est que « la politique allemande est fond・ non pas sur l'exp・ience d・ocratique mais sur une ・otivit?profonde ».

Lorsque l'Italie s'est tourn・ vers le fascisme dans les ann・s 1920, l'historien Arnold Toynbee a ・rit que « la r・udiation [italienne] de la d・ocratie (au sens o?nous entendons ce terme) ouvre la question de savoir si cette plante politique peut vraiment plonger des racines permanentes ailleurs que dans son sol natal », et il voulait dire l'Angleterre et l'Am・ique. Mais m・e en Am・ique, on ・ettait des doutes au sujet des capacit・ politiques de certains citoyens. Le S・ateur Strom Thurmond avait expliqu? dans un discours ?l'Ecole de Droit de Harvard en 1957 : « Un grand nombre de Noirs n'ont tout simplement pas la conscience politique suffisante pour (...) participer aux affaires politiques et civiques (...) et beaucoup d'entre eux manquent probablement aussi des autres qualit・ requises pour voter de mani・e vraiment intelligente. »

L'argument selon lequel la d・ocratie exige des traditions d・ocratiques est de type circulaire : comment peut-on ・ablir des traditions d・ocratiques autrement qu'en pratiquant la d・ocratie ? La r・onse, disent les sceptiques, est qu'en Occident la d・ocratie s'est d・elopp・ ?partir de certaines id・s de la tradition occidentale qui remontent jusqu'?l'antiquit?classique. Mais Amartya Sen fait une remarque int・essante sur ce point. Il signale que la tradition occidentale contient des ・・ents divers. Les racines de la d・ocratie plongent dans la Gr・e antique, mais les philosophes grecs approuvaient aussi l'esclavage. La d・ocratie moderne tire certains de ses ・・ents de la tradition occidentale et en rejette d'autres. De m・e, Sen ・um・e les ・・ents lib・aux que l'on trouve dans le bouddhisme, le confucianisme, le v・isme, l'islamisme et la pens・ indienne antique, et il demande pourquoi il ne serait pas possible d'y puiser pour former une base culturelle de la d・ocratie dans le monde non occidental.

Nous consid・ons la culture comme un facteur d・erminant de la politique, mais les liens qui les relient sont difficiles ?pr・iser. Le politologue Samuel Huntington nous a rappel?qu'il y a quelques d・ennies, toutes les soci・・ ?pr・ominance confucianiste ・aient pauvres et les sociologues affirmaient que certains ・・ents des comportements inspir?par le confucianisme les maintenaient dans leur pauvret? Depuis lors, les soci・・ confucianistes ont connu une croissance ・onomique plus rapide que les soci・・ chr・iennes ou islamiques n'en avaient jamais connu auparavant. Les sociologues essaient ?pr・ent de comprendre ce qui, dans la pens・ confucianiste, engendre la richesse.

La d・ocratie universelle est-elle d・irable ?

La r・utation la plus convaincante des arguments de ceux qui doutent des aptitudes ?la d・ocratie des populations pauvres et non occidentales nous est apport・ par l'exp・iences des quelques derni・es d・ennies. D'apr・ le rapport le plus ・inemment autoris? r・ultat de l'enqu・e annuelle sur la libert?men・ par l'organisation priv・ Freedom House, 120 des 192 pays du monde avaient l'an dernier un gouvernement d・ocratiquement ・u, soit 62,5 % des pays et 58,2 % de la population mondiale. Il y avait 20 d・ocraties ・ues en Afrique et 14 en Asie, sans compter les petits ・ats insulaires de la r・ion Asie-Pacifique, o?se trouvent 11 autres d・ocraties. Il va sans dire que ces d・ocraties non occidentales comprennent un grand nombre de pays pauvres et il est incontestable que la pauvret? l'illettrisme et les tensions sociales rendent la pratique de la d・ocratie plus difficile. Il est donc tr・ possible que certaines des nouvelles d・ocraties fragiles recens・s par la « Freedom Foundation » cette ann・ retournent ?la dictature, tout comme la plupart des ・ats d'Europe de l'Ouest qui sont parvenus ?la d・ocratie non pas en une seule fois mais par une succession de progr・ et de reculs. Quoi qu'il en soit, l'exp・ience historique d・ontre que les obstacles sociaux et culturels ne sont pas insurmontables. Consid・ant que la premi・e d・ocratie, fort imparfaite, a ・?cr蜑e en 1776 et qu'il existe aujourd'hui, 224 ans plus tard, 120 d・ocraties, c'est l'expansion de la d・ocratie qui doit surprendre et non pas les limites de ses progr・.

Tout ceci montre bien que la d・ocratie universelle est possible, mais est-elle d・irable ? Je le pense. Tout d'abord, il en r・ultera un monde plus pacifique : les d・ocraties ne se font la guerre. Les nombreuses recherches consacr・s ?cette observation faite pour la premi・e fois il y a 10 ou 15 ans ont permis ?un chercheur de constater qu'elle constitue « pratiquement une loi empirique des relations internationales. » On d・at de la question de savoir si les d・ocraties sont plus pacifiques en g・・al ou seulement envers d'autres d・ocraties. Mais quoi qu'il en soit, si le nombre des d・ocraties augmente, celui des guerres diminuera.

En plus de cette « paix d・ocratique », Sen a avanc?une autre opinion au sujet des d・ocraties a laquelle personne n'a encore apport?d'objections. Il affirme que jamais une d・ocratie n'a subi la famine ou une calamit?comparable. La raison en est, dit-il, que les famines sont ・itables. Dans les syst・es politiques dot・ des m・anismes d'information qui sont inh・ents ?la d・ocratie, les pouvoirs publics sont alert・ lorsque des situations de famine commencent ?se manifester et ils agissent pour y parer avant qu'elles n'atteignent des proportions catastrophiques.

Il existe de fortes raisons pratiques qui militent en faveur de la d・ocratie. Mais pour moi, peut-・re parce que je suis Am・icain, la raison la plus forte n'est pas pratique. Je crois que chaque adulte doit avoir son mot ?dire, s'il le d・ire, dans la conduite des affaires publiques. Cela fait partie de ma conception de la dignit?humaine, que les gouvernements d・ocratiques aient pris des d・isions sages ou non. Les gens ne prennent pas toujours des d・isions raisonnables dans leur vie priv・, par exemple dans le choix d'une carri・e ou d'un conjoint. Mais je pense qu'il vaut mieux qu'ils soient libres de prendre leurs propres d・isions et de se tromper, plut・ que d'・re contr・・ par d'autres dans leur vie. Il en est de m・e, ?mon avis, dans le domaine public. Je ne peux pas prouver que j'ai raison. Ce n'est pas une proposition d・ontrable, c'est une question de valeurs fondamentales. Mais ?en juger d'apr・ l'expansion de la d・ocratie dans le monde, ces valeurs sont partag・s par un nombre consid・able de personnes venues d'horizons tr・ diff・ents du mien.

Les vues exprim・s dans cet article n'engagent que leur auteur et ne refl・ent pas n・essairement la position officielle du gouvernement des ・ats-Unis.