La promotion de la d・ocratie,
objectif fondamental dans un nouvel ordre mondial


Thomas Carothers

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Les Am・icains ont toujours ・?tr・ d・ireux de promouvoir la d・ocratie, en particulier ?partir du moment o?leur pays a assum?un r・e croissant sur la sc・e internationale. Le pr・ident Woodrow Wilson, qui s'・ait engag??favoriser la paix mondiale pour que la d・ocratie puisse y prosp・er, ・ait un homme nettement en avance sur son temps. Dans cet article qui incite ?r・l・hir et qui porte sur la promotion de la d・ocratie au XXIe si・le, Thomas Carothers, vice-pr・ident charg?des ・udes et associ?principal ?la Carnegie Endowment for International Peace, examine les tendances actuelles et la fa・n dont la promesse initiale du pr・ident Wilson est devenue l'objectif de la politique des ・ats-Unis sur la sc・e mondiale.

L'aide ?la d・ocratisation est devenue un ・・ent important de l'assistance des ・ats-Unis ?l'・ranger et de leur politique ・rang・e, en particulier depuis le milieu des ann・s 1980. ?la fin des ann・s 1990, le gouvernement am・icain d・ensait plus de 700 millions de dollars par an pour cette aide dans une centaine de pays, principalement par le truchement de l'Agence des ・ats-Unis pour le d・eloppement international (USAID), mais aussi par l'interm・iaire de la National Endowment for Democracy (NED), du d・artement d'・at, du minist・e de la d・ense, de l'Asia Foundation et de l'Eurasia Foundation.

Bien que l'abondance actuelle de programmes de promotion de la d・ocratie ait eu des pr・urseurs, notamment le Plan Marshall dans la p・iode ayant imm・iatement suivi la Deuxi・e Guerre mondiale et les programmes de d・eloppement ou « modernisation » politique des ann・s 1960, les efforts actuels constituent l'entreprise syst・atique la plus ambitieuse que les ・ats-Unis aient jamais lanc・ pour favoriser la d・ocratie dans le monde.

Et ils ne sont pas les seuls. D'autres pays, notamment les d・ocraties prosp・es d'Europe occidentale ainsi qu'une myriade d'institutions internationales financ・s par de nombreux gouvernements, s'emploient ・ergiquement ?soutenir la d・ocratie, principalement dans les pays en transition qui ont r・emment entam?des efforts ardus pour renoncer ?un r・ime totalitaire ou autoritaire.

Cette campagne repr・ente une r・ction ?deux ・・ements politiques majeurs : primo, l'acc・・ation, dans les ann・s 1980 et le d・ut des ann・s 1990, d'une tendance mondiale qui a hiss?la d・ocratie au premier rang du calendrier politique international et incit?les pays d・ocratiques ?l'action, et secundo, la fin de la guerre froide, qui a r・uit les obstacles ?la coop・ation internationale et ・art?la politique am・icaine de son principal objectif - la lutte contre le communisme - en faveur d'une plus grande aide ?la d・ocratisation en tant que fin en soi.

Certes, l'engagement des ・ats-Unis envers la d・ocratie n'est pas absolu. Comme tous les autres pays, ils ont, sur le plan de la s・urit?et dans le domaine ・onomique, des int・・s qui entrent parfois en conflit avec leur promotion de la d・ocratie. Mais comme l'ont soulign?de nombreux responsables am・icains ces dix derni・es ann・s, cela pose beaucoup moins de probl・es que du temps de la guerre froide o?les ・ats-Unis, n・essairement aux yeux de certains, concluaient des alliances avec des r・imes non d・ocratiques pour des raisons de s・urit?d・oulant de leur rivalit?avec l'Union sovi・ique.

La strat・ie de base

La strat・ie suivie par les ・ats-Unis pour soutenir la d・ocratie dans la p・iode qui a suivi la fin de la guerre froide reposait sur trois tendances interd・endantes : primo, utiliser la d・ocratie am・icaine comme mod・e ou gabarit ; secundo, concevoir la d・ocratisation comme un processus dans lequel le pays qui se d・ocratise tente de reproduire les institutions d・ocratiques ・ablies ; tertio, partir du principe que la d・ocratisation consiste ?passer par une s・ie de stades naturels et m・hodiques.

Lorsque ces tendances se sont heurt・s aux r・lit・ des transitions politiques, la strat・ie a commenc??・oluer et ?acqu・ir de la maturit? ?pr・ent, certains promoteurs am・icains de la d・ocratie misent moins sur le mod・e am・icain. Ils empruntent ?d'autres d・ocraties ・ablies, ou aux nouvelles d・ocraties qui ont r・ssi, des donn・s et des id・s qui se sont av・・s particuli・ement applicables. Ils essaient ・alement, quoique plus rarement, d'aider certains pays ?・ablir des institutions d・ocratiques adapt・s ?leur histoire et ?leur soci・?

Les promoteurs de la d・ocratie reconnaissent de plus en plus la n・essit?de tenir compte des int・・s et rapports de force dans lesquels les institutions sont implant・s. La d・ocratisation doit ・re consid・・, non pas comme le calque d'institutions existantes, mais comme l'aboutissement d'une s・ie d'・apes facilitant la mise en place d'une soci・?d・ocratique.

Dans le m・e temps, les promoteurs de la d・ocratie se heurtent au fait que, bien souvent, la transition ?la d・ocratie ne se d・oule pas sans ?coups. De plus en plus souvent, ils con・ivent les programmes de d・ocratisation en fonction du contexte local plut・ qu'en se fondant sur l'hypoth・e d'un d・oulement normal. Il n'existe pas de strat・ie magique convenant ?tous les pays.

Les ・・ents d'un programme de d・ocratisation sont essentiellement les m・es qu'il y a quinze ans. Ils portent sur trois cat・ories principales de domaines : les ・ections, les institutions gouvernementales et la soci・?civile. Toutefois, l'importance relative accord・ ?chacun de ces domaines a chang? L'aide ・ectorale a diminu?maintenant que l'organisation d'・ections n'est plus un ph・om・e extraordinaire.

On accorde ?pr・ent beaucoup plus d'importance ?la soci・?civile en raison de l'enthousiasme croissant qu'elle suscite et d'un certain d・enchantement ?l'・ard d'une trop forte concentration de l'aide aux institutions gouvernementales. Il n'en reste pas moins que le mod・e de la d・ocratie tripartite continue ?dominer ; la plupart des changements refl・ent l'・olution des approches dans chacun des domaines suivants :

・ections

Cet ・・ent de la promotion de la d・ocratie a subi de profonds changements. L'observation des ・ections est devenue beaucoup plus perfectionn・, et l'aide fournie pour am・iorer l'organisation des ・ections s'est g・・alis・. M・e si elles b・・icient d'une aide administrative et si des observateurs sont pr・ents, des ・ections irr・uli・es continuent n・nmoins ?avoir lieu dans certains pays en transition.

Les promoteurs de la d・ocratie ont constat?maintes fois, dans les ann・s 1990, qu'・ection n'est pas synonyme de d・ocratie. Une importante assistance continue ?・re accord・ aux partis politiques, mais les ressources sont de plus en plus souvent consacr・s ?la formation de partis et ?l'utilisation de sp・ialistes au courant de situations diff・entes de l'exp・ience am・icaine. En d・it des efforts d・loy・ ?ce jour, les partis demeurent, dans la plupart des pays en transition, l'un des maillons les plus faibles de la cha・e de d・ocratisation.

Pouvoirs autres que l'ex・utif

Les programmes soutenant la r・orme de l'appareil judiciaire, de la l・islature et des autres institutions, qui sont bas・ sur le renforcement des branches autres que l'ex・utif de gouvernements trop lourds au sommet, constituent la plus importante des trois grandes cat・ories d'aide ?la d・ocratisation. L'apprentissage a ・?lent dans ce domaine et les promoteurs de la d・ocratie ont eu du mal ?renoncer ?leurs mod・es fig・ et ?leurs id・s toutes faites sur la fa・n d'encourager le changement dans les grandes institutions.

Les pourvoyeurs d'aide comprennent de plus en plus que la volont?de r・orme doit exister dans les institutions de l'・at si l'on veut que des changements soient op・・. Ils commencent aussi ?accepter l'id・ que la r・istance aux r・ormes, ?un niveau quelconque de toute institution officielle, est la r・le plut・ que l'exception. Il faut comprendre que la r・orme des institutions exige des changements plus profonds dans les structures et les rapports de force et cela explique la lenteur et les difficult・ auxquelles on se heurte pour obtenir des r・ormes.

Soci・?civile

L'importance croissante accord・ ?la soci・?civile par les promoteurs de la d・ocratie fait partie de la courbe d'apprentissage ; ils tentent d'aller au-del?des ・ections et de l'・ablissement des institutions d'・at pour substituer le fond ?la forme. La majeure partie de l'aide initiale ?la soci・?civile va aux organisations non gouvernementales (ONG) sp・ialis・s dans la d・ense des int・・s publics. L'exp・ience a cependant amen?les promoteurs de la d・ocratie ?observer de plus pr・ le monde des ONG.

Ils insistent davantage sur les questions de repr・entation et de stabilit?et incitent leurs r・ipiendaires ?en faire autant, ・argissant la gamme des causes d・endues par les ONG qu'ils sont pr・s a soutenir. En se familiarisant avec les activit・ de la soci・?civile, les promoteurs de la d・ocratie d・ouvrent que bien que la soci・?civile puisse faciliter grandement l'offre d'une aide ?la d・ocratisation, c'est aussi un ・・ent vaste et complexe de la d・ocratie qu'il n'est pas facile de stimuler.

Quand on observe les r・ultats des trois domaines d'aide ?la d・ocratisation, les diff・ences sont visibles mais n'ont rien de spectaculaire. Les effets de tous les types de programmes sont souvent tr・ diffus et indirects, bien plus que ne le laisseraient entendre les approches rationalistes des promoteurs. Les programmes visent les institutions et les organisations, mais ils affectent les individus, leur principal effet ・ant souvent la transmission d'id・s qui changeront le comportement des gens dans d'autres milieux et ?une autre ・oque.

Participation locale

C'est durant la phase de mise en ・uvre que l'aide ?la d・ocratisation ・houe le plus souvent. Dans bien des cas, les promoteurs de la d・ocratie ne comprennent pas suffisamment les soci・・ dans lesquels ils op・ent, consid・ant ?tort leur connaissance de la d・ocratie comme une base suffisante. Ils deviennent trop souvent les agents de changements politiques dans les soci・・ en transition, traitant leurs partenaires locaux comme de simples assistants. D'innombrables projets ・houent parce que ceux qui, au niveau local, pourraient faciliter leur succ・ ne se sentent pas impliqu・.

Heureusement, cette phase de mise en ・uvre s'am・iore progressivement, car on comprend mieux qu'il est important de travailler en collaboration avec des responsables et organisations locaux qui sont le plus au fait des conditions locales. Cela n'a pas ・?sans difficult?toutefois, et, jusqu'?maintenant, le succ・ de cette strat・ie n'a ・?que partiel.

Les promoteurs de la d・ocratie ont aussi mis du temps ?renoncer ?l'id・ qu'il existait une seule mani・e de promouvoir la d・ocratie et que cette promotion pouvait ・re ind・endante de l'aide au d・eloppement. De plus, ils r・ugnent souvent ?confier davantage de responsabilit・ aux responsables locaux de peur de perdre le contr・e de l'aide qu'ils leur fournissent. Un changement de mentalit?s'impose : nous devons comprendre que l'instauration de la d・ocratie n'est pas une chose que nous faisons pour les habitants d'autres pays mais une chose qu'ils font parfois avec notre aide.

Evaluation des programmes de promotion de la d・ocratie

De tous les aspects de l'aide ?la d・ocratisation, c'est l'・aluation de son efficacit?qui a le moins progress? Les programmes de d・ocratisation posent un probl・e aux personnes charg・s de leur ・aluation en raison de la difficult?qu'elles ont ?se mettre d'accord sur les crit・es pr・is de succ・ dans le domaine politique et sur l'・ablissement de liens pr・is de cause ?effet entre des projets particuliers et les tendances politiques plus vastes.

Dans la plupart des cas, dans les ann・s 1990, les promoteurs de la d・ocratie ou bien ne proc・aient ?aucune ・aluation de leurs programmes ou bien chargeaient des enqu・eurs manquant d'une r・lle ind・endance de se livrer ?des ・aluations superficielles. Ces derni・es ann・s, toutefois, ils ont commenc??prendre ces ・aluations plus au s・ieux qu'auparavant, bien qu'elles soient extr・ement difficiles ?mener efficacement ・ant donn?que les effets des programmes de d・ocratisation risquent de ne pas ・re pleinement apparents avant des ann・s et qu'ils doivent ・re jug・ dans le contexte des conditions sociales, ・onomiques et politiques locales.

C'est pourquoi les promoteurs de l'aide ?la d・ocratisation doivent renoncer ?l'id・ que les effets de leurs efforts peuvent ・re mesur・ ?l'aide de calculatrices. Ils doivent accepter l'id・ que les analyses qualitatives en profondeur sont la seule fa・n de comprendre les ・・ements et effets politiques et que les principaux r・ultats des programmes de d・ocratisation sont psychologiques, moraux, subjectifs, indirects et mettent du temps ?se manifester.

Ce qui importe avant tout, c'est que les promoteurs de la d・ocratie comprennent pleinement les r・lit・ politiques des soci・・ qu'ils essaient d'aider. Les progr・ le long de la courbe d'apprentissage ne sont pas dus ?une simple concentration sur des le・ns techniques et l'accumulation d'exp・iences. Fondamentalement, les promoteurs de la d・ocratie doivent r蜑valuer leurs propres id・s sur la politique et jauger honn・ement leurs connaissances ou manque de connaissances sur les changements politiques en cours dans les autres soci・・.

Ils doivent aussi remettre en question leurs propres m・hodes, s'interroger sur les imp・atifs qui pr・ident ?leurs programmes et sur la fa・n dont ils pourraient am・iorer leurs m・hodes. Tous les ・・ents de la courbe d'apprentissage sont importants, mais ?des degr・ divers. L'un d'eux m・ite une attention particuli・e : c'est la mise au point de bonnes m・hodes de mise en ・uvre. On sait d・?ce qui sous-tend le succ・ de telles m・hodes et cette connaissance peut avoir une grande importance dans n'importe quel projet.

Trois questions de plus grande port・ m・itent ・alement davantage d'attention. Premi・ement, les promoteurs de la d・ocratie devraient s'efforcer d'・ablir un rapport entre l'aide ?la d・ocratisation et le domaine plus ・abli d'aide au d・eloppement social et ・onomique. Il reste encore beaucoup ?faire pour identifier les rapports cruciaux qui existent entre les ph・om・es ・onomiques et politiques.

Deuxi・ement, ils devraient pr・er davantage d'attention au r・e des femmes dans la d・ocratisation. Bien que les programmes de formation destin・ aux femmes ne parviennent pas ?surmonter les structures du pouvoir et contraintes sous-jacentes, on ne peut manquer d'・re frapp?par l'intensit?extraordinaire de l'int・・ et de l'enthousiasme que suscitent souvent les programmes de d・ocratisation qui se rapportent aux femmes.

Troisi・ement, les promoteurs de la d・ocratie ont une responsabilit?dont ils ne s'acquittent que rarement, celle qui consiste ?aider les gouvernements et les habitants des pays en transition ?comprendre l'int・・ de l'aide ?la d・ocratisation et ?ne pas se contenter de l'accepter passivement. La transparence et la publicit?sont indispensables si on veut que les citoyens comprennent cette aide, l'appuient et en b・・icient vraiment.

L'avenir de la promotion de la d・ocratie

La d・ocratie a enregistr?des progr・ importants dans le monde au cours des derni・es d・ennies. Cependant, les difficult・ qui attendent ceux qui d・irent faciliter la d・ocratisation demeurent ・ormes. Il est toujours d・evant de constater le nombre de pays dans lesquels la d・ocratie dispara・, ・houe ou demeure inexistante.

L'analyse de l'aide ?la d・ocratisation pr・ent・ dans cet article fait ressortir une mise en garde capitale, ?savoir qu'on ne doit s'attendre ?aucun r・ultat spectaculaire ou rapide de ces efforts, en particulier dans les pays o?la combinaison de forces ・onomiques, sociales et politiques demeure hostile ?l'instauration de la d・ocratie.

L'aide ?la d・ocratisation, ainsi que les outils compl・entaires que sont les incitations et les menaces, ne peuvent gu・e changer les structures sociales, ・onomiques et politiques fondamentales d'un pays et les conditions qui y d・erminent la vie politique.

Accepter l'id・ que la plupart des programmes de promotion de la d・ocratie ne permettent pas d'obtenir des changements d・isifs rapides ne veut pas dire que les ・ats-Unis, les autres pays et les organisations devraient limiter ou abandonner leurs efforts dans ce sens ?l'・ranger. Cela signifie simplement que la promotion de la d・ocratie doit ・re abord・ comme une entreprise ?long terme et incertaine.

Les d・ideurs doivent ・re pr・s ?poursuivre cet objectif pendant des d・ennies, ?surmonter les ・hecs et ?trouver le moyen de remettre en cause et de critiquer leurs propres m・hodes tandis qu'ils s'adonnent ?ce qui est indubitablement une noble entreprise. Le probl・e, en bref, consiste ?allier ?cet engagement une compr・ension prudente et r・liste des possibilit・. Si l'on base un appel en faveur d'une politique ・rang・e de promotion de la d・ocratie sur l'hypoth・e que les ・ats-Unis peuvent exercer une grande influence sur le sort politique des autres pays, on ne ferait que vouer cette politique ?l'・hec.

Les Am・icains sont trop habitu・ ?d・attre leur politique ・rang・e ?partir d'une position de r・lisme et d'id・lisme dans laquelle les int・・s et moyens des ・ats-Unis sont syst・atiquement sous-estim・ ou au contraire surestim・. Une position bas・ sur des aspirations id・listes temp・・s par des consid・ations profond・ent r・listes est inconfortable. En ce qui concerne la promotion de la d・ocratie, toutefois, il n'y a pas d'autre parti.

Les vues exprim・s dans cet article n'engagent que leur auteur et ne refl・ent pas n・essairement la position officielle du gouvernement des ・ats-Unis.