Les elections aux Etats-Unis illustrent
la separation des pouvoirs
L'electorat opte pour la division

par David Pitts
Journaliste de l'USIA

Cet article a été diffusé pour la première fois par le Washington File en 1996.

Le scrutin general du 5 novembre aux Etats-Unis qui s'est traduit d'une part par la reelection du Democrate Bill Clinton a la presidence, et d'autre part par la reconduction de la majorite republicaine au Congres, pourrait derouter les observateurs etrangers qui seraient plus habitues a un type de gouvernement parlementaire, ou cette situation ne se presente pas.

Or, c'est la Constitution des Etats-Unis elle-meme qui prevoit la possibilite de la " cohabitation ", si telle est la volonte du peuple. Ce principe s'inscrit dans la separation des pouvoirs entre l'executif, le legislatif et le judiciaire, separation voulue par les auteurs de la Constitution afin de prevenir toute tendance a la tyrannie.

Les specialistes du droit constitutionnel considerent cette doctrine comme un des piliers de la Constitution. L'un des juristes les plus eminents et eloquents de l'histoire des Etats-Unis, Louis Brandeis, qui fut juge a la Cour supreme, ecrivit en 1926 : " La Convention de 1787 adopta la doctrine de la separation des pouvoirs non pas dans le dessein de favoriser l'efficacite, mais afin de prevenir l'exercice de tout pouvoir arbitraire. Il ne s'agissait pas d'eviter les frictions, mais, par le jeu des frictions inevitables que provoque la repartition des pouvoirs de l'Etat entre trois departements, de preserver le peuple de l'autocratie. "

Ce concept remonte en fait a l'experience americaine de la domination coloniale par la Grande-Bretagne. Les auteurs de la Constitution voulaient eviter qu'un nouveau gouvernement independant ne substitue le pouvoir arbitraire de Washington a l'ancien pouvoir arbitraire de Londres.

C'est James Madison, l'un des " Peres " de la Constitution, qui ecrivit dans le Federalist que " l'on peut a juste titre considerer l'accumulation de tous les pouvoirs - legislatif, executif et judiciaire - entre les memes mains, que ce soit d'une personne, d'un petit groupe ou d'un grand nombre, et que cette charge soit hereditaire, auto-designee ou elective, comme la definition meme de la tyrannie. "

Aucun des fondateurs de l'Etat federal n'a sans doute jamais parle de paralysie gouvernementale, mais ils savaient certainement qu'un tel phenomene etait possible dans un regime fonde sur la separation des pouvoirs. Cependant, le spectre d'un gouvernement trop fort les inquietait beaucoup plus que le risque d'un gouvernement trop faible.

Ainsi que le declara le premier president des Etats-Unis, George Washington, dans son discours d'adieu, " il importe, de meme, que l'habitude de penser, dans un pays libre, inspire la prudence a ceux a qui l'on a confie son administration, afin qu'ils se cantonnent dans leurs spheres constitutionnelles respectives ; evitant que l'exercice des pouvoirs d'un departement n'empiete sur les autres ".

Si le peuple des Etats-Unis souhaite un gouvernement fort, il est libre d'elire un Congres et un president du meme parti, et a fortiori il est libre d'elire un grand nombre de legislateurs de meme confession ideologique.

Aux periodes cruciales de l'histoire des Etats-Unis, par exemple 1932, ou le pays sombrait dans la crise economique, le peuple a effectivement choisi en ce sens. Non seulement il a elu un president democrate, Franklin Delano Roosevelt, a une forte majorite, mais il a egalement elu un Congres a majorite democrate ecrasante. Les Democrates ont remporte cette annee-la 313 sieges a la Chambre des representants, et 59 sieges au Senat. Ce raz-de-maree a permis a Roosevelt de faire voter une bonne partie des lois du " New Deal ".

Mais a de nombreuses autres occasions de l'histoire des Etats-Unis, le peuple a choisi de restreindre le pouvoir du president en elisant un Congres domine par les membres d'un autre parti, et vice-versa.

C'est ce qui s'est produit cette annee, le 5 novembre. Le parti republicain a conserve et meme renforce sa majorite au Senat, et a garde une majorite reduite a la Chambre. Le parti democrate a conserve la presidence grace a la reelection du president Clinton.

Les specialistes observent cependant que, bien qu'un gouvernement ainsi divise soit devenu courant apres la Seconde Guerre mondiale, il s'agissait le plus souvent d'une majorite democrate a l'une ou l'autre chambres du Congres, et d'un president republicain.

Mais aux elections legislatives de 1994, sous un president democrate, les Republicains ont remporte la majorite a la Chambre des representants pour la premiere fois depuis 1952, et au Senat pour la premiere fois depuis 1986. Cette division du pouvoir a ete confirmee lors de l'election generale de cette annee.

Toutefois, comme en 1994, les Republicains n'ont pas obtenu un nombre suffisant de sieges au Congres, soit les deux tiers dans chaque Chambre, pour pouvoir passer outre a un veto presidentiel. De son cote, le President ne dispose pas d'assez de voix au Congres pour faire adopter ses programmes sans batir des coalitions qui doivent comprendre au moins quelques Republicains.

Le peuple des Etats-Unis a en fait demande aux deux partis de collaborer a l'interieur de la zone politique que le president Clinton a appelee " le centre vital ", expression inventee par l'historien Arthur Schlesinger.

La plupart des observateurs qui connaissent mieux les regimes de type parlementaire que celui de type presidentiel en vigueur aux Etats-Unis ont le sentiment que de tels freins appliques au pouvoir du gouvernement central conduisent inevitablement a un gouvernement faible et impuissant. Ce faisant, ils negligent de considerer que telle est peut-etre la volonte du peuple a une epoque donnee de l'histoire.

La plupart des Americains estiment, quant a eux, que la separation des pouvoirs executif, legislatif et judiciaire a bien servi la nation. Dans un ouvrage bien connu, un historien anglais a notamment declare : " Les principes d'une constitution libre sont irrevocablement perdus lorsque le pouvoir legislatif est domine par l'executif. " Cet Anglais etait Edward Gibbon, et l'ouvrage en question Histoire du declin et de la chute de l'Empire romain.


Retour