Michael Bandler
Il y a quelques années, lorsque s'amorçait la phase intensive des préparatifs des Jeux olympiques de 1996, la municipalité d'Atlanta promulgua un arrêté ordonnant que, pour quatre sièges créés dans une nouvelle installation sportive, il fallait créer au moins une place de stationnement dans le parking attenant.
Pour le quartier universitaire du centre de la ville, qui devait accueillir un stade olympique de basket-ball et un terrain de hockey sur gazon, cet arrêté souleva un dilemme de taille. La création d'un parking d'une telle dimension coûterait au moins cinq millions de dollars. L'unique solution consistait à persuader le comité de zonage d'autoriser une exception à la nouvelle règle.
Ann Kimbrough, directrice des relations avec les localités au sein du Comité d'Atlanta pour les Jeux olympiques (ACOG), se souvient du débat : « La première question que le comité de zonage nous a posée était de savoir ce qu'en pensaient les habitants du quartier. Heureusement, nous savions la réponse, parce que nous l'avions préparée. »
En effet, recourant à la méthode qui s'est peu à peu généralisée dans cette capitale dynamique et progressiste du « nouveau Sud », les services de Mme Kimbrough avaient obtenu l'appui des habitants du quartier, grâce à des entretiens avec les « comités de planification de quartier » du secteur universitaire de la ville. Ils leur avaient notamment exposé les avantages matériels dont jouiraient les résidents grâce à l'implantation permanente de nouvelles installations sportives, en particulier les bienfaits qui en découleraient pour les jeunes du quartier aussi bien que pour les universités.
La prise en charge des quartiers par leurs habitants, c'est-à-dire le fait qu'ils choisissent parmi eux leurs chefs de file, est une caractéristique désormais commune d'Atlanta. C'est d'ailleurs l'un des nombreux atouts qui, considérés collectivement, donnent à cette ville sa force, issue de certaines valeurs fondamentales et essentielles.
Des quartiers pauvres du centre aux conseils d'administration d'entreprises, des milieux politiques aux églises et aux universités, tout Atlanta se prépare à recevoir les Jeux du centenaire de l'Olympisme, en accueillant l'aube d'un siècle nouveau de la meilleure manière dont elle est capable : en illustrant les vertus de tolérance, d'enrichissement individuel et civique, d'altruisme et de croyance en la valeur intrinsèque de chaque être humain et de chaque groupe racial et ethnique, indépendamment du niveau économique et intellectuel.
Atlanta est une ville extrêmement consciente de l'histoire de sa région, du sud des États-Unis. Mais au-delà de la guerre de Sécession et de la disparition de la vie de la plantation de Tara, éternellement gravées dans la conscience mondiale par le roman de Margaret Mitchell « Gone with the wind », aujourd'hui de nouvelles images apparaissent.
Noire à soixante pour cent, la population d'Atlanta a traversé - certains diraient qu'elle y a survécu - les cent dernières années de façon harmonieuse. Si la Constitution des États-Unis a été interprétée pendant la majeure partie de cette époque comme établissant le principe de la « séparation dans l'égalité », s'agissant des installations séparées réservées aux Noirs et aux Blancs respectivement, c'est surtout à Atlanta, entre toutes les villes et communes du Sud, que s'est développée la plus grande mesure d'égalité, encore que marquée par la ségrégation.
À la rue Peachtree qui constitua pendant des dizaines d'années le coeur d'Atlanta la blanche, correspondait l'avenue Auburn, le centre dynamique d'Atlanta la noire. C'est là que les Noirs exerçant des professions libérales - médecins, avocats, professeurs, notaires - soutinrent et aidèrent infatigablement les leurs. Non loin de là s'épanouissaient des universités et des centres de musique et d'arts plastiques.
Rien de surprenant, dès lors, si, dans le sillage de la réévaluation cataclysmique, par les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, de ce principe de la « séparation dans l'égalité » qui balaya les États-Unis pendant les années cinquante, les sensibilités de la rue Peachtree et de l'avenue Auburn commencèrent enfin à se rencontrer, du moins au figuré.
Ce phénomène est dû d'ailleurs à un événement singulier, à savoir la détonation d'une bombe dans un édifice religieux - le prestigieux Temple juif d'Atlanta - à l'automne de 1958. Cette explosion fit voler en éclats bien des indifférences, et fut ressenti comme un appel retentissant à tous les habitants, qu'ils fussent noirs ou blancs, juifs ou chrétiens.
Dans le livre qu'elle a publié récemment, Mme Melissa Fay Greene indique que la vérité de ce message était indiscutable : « La démocratie était un élément stable, une source renouvelable ; si les Noirs devenaient des citoyens à part entière, il ne s'ensuivait pas que les Blancs ne fussent plus des citoyens à part entière, ni que la citoyenneté américaine perdît de son attrait ».
Presque immédiatement, les communautés disparates fusionnèrent, sur les plans des émotions, de la politique et de l'économie. Il apparut des responsables blancs d'une grande perspicacité, notamment plusieurs maires (MM. William Hartsfield, Ivan Allen, Sam Massell) et un cadre supérieur de la société Coca-Cola, M. Robert Woodruff. Peu de temps après, avec le soutien de dignitaires religieux et de membres de professions libérales noirs et blancs, il se forma une structure politique noire, dans laquelle M. Andrew Young, qui était représentant de la Géorgie au Congrès (avant de devenir représentant permanent des États-Unis à l'ONU et maire d'Atlanta), et M. Maynard Jackson (qui fut maire à trois reprises) jouèrent un rôle de premier plan. Cette réserve de bonne volonté permit à la ville de prendre de l'avance sur d'autres villes du Sud, qui mirent plus de temps à s'adapter à notre époque.
Si MM. Allen et Massell s'efforcèrent de créer l'harmonie au sein de la ville, M. Young se tourna vers l'extérieur, que ce soit au plan national qu'au plan international. M. Jackson chercha à allier ces intérêts et préconisa la construction d'un nouvel aéroport qui a contribué à faire d'Atlanta une ville cosmopolite. Selon maintes personnes, cet aéroport, qui accrut immédiatement le nombre de voyageurs et d'hommes d'affaires étrangers à Atlanta, est l'un des facteurs qui contribuèrent à placer la ville sur la scène économique mondiale.
Lorsque les Noirs prirent les rênes de la ville, a indiqué Mme Lynn Pitts, qui joue un rôle dans l'organisation des Jeux olympiques, des divisions et des conflits auraient pu voir le jour, mais il n'en fut rien. « Notre sentiment fut que nous devions tous vivre ici et qu'il fallait aller de l'avant. »
Après plusieurs décennies caractérisées par l'harmonie, Atlanta parut prête, aux yeux d'un petit groupe de responsables visionnaires, pour les Jeux olympiques. Parmi eux figurait un avocat spécialisé dans l'immobilier, M. Billy Payne. En 1987, après avoir constaté l'ampleur de la bonne volonté des habitants de sa ville à l'occasion d'une collecte de fonds pour une église, il décida de jouer un rôle actif à un niveau plus élevé. Il réussit à tranformer des incrédules en des partisans passionnés lorsqu'un groupe d'Atlantais dont il faisait partie persuada le Comité international olympique de choisir Atlanta pour l'organisation des Jeux d'été en 1996.
Depuis l'annonce de ce choix en 1990, les Atlantais ont fait preuve de créativité pour préparer l'organisation des Jeux d'été conformément aux valeurs fondamentales qui contribuèrent à renforcer l'image de la ville et de ses environs dans le reste du pays et à l'étranger.
M. Dan Sweat, un des responsables du Projet d'Atlanta, que l'ancien président Jimmy Carter avait conçu en vue de remettre en état certains quartiers pauvres de la ville, s'attela à la réalisation de cet objectif en 1991, peu de temps après le choix du Comité international olympique.
« Nous ne serons pas, en septembre 1996, une ville d'importance mondiale si tout ce que nous avons fait se résume à la construction de plusieurs stades, à l'organisation de bons jeux et à la distraction de visiteurs du monde entier, a-t-il dit alors. Si nous n'avons pas considérablement amélioré la vie quotidienne des habitants les plus défavorisés, nous ne mériterons pas de nous placer parmi les grandes villes du monde. »
Il est évident que les Atlantais tinrent compte de son avertissement. Par exemple, dès le début, tous les intéressés, qu'il s'agisse de dirigeants d'entreprise ou de simples particuliers, convinrent qu'il était essentiel d'obtenir un large soutien de la population, étant donné que les Jeux devaient avoir lieu dans la ville même. Les comités existants de planification de quartier pouvaient jouer un rôle à cet égard.
Un événement décisif eut lieu lorsque Mme Mattie Jackson, une résidente d'Atlanta à l'altruisme légendaire, fut nommée au conseil d'administration de l'ACOG. Lors d'une réunion du conseil il y a trois ans, Mme Jackson choqua en exigeant que l'ACOG s'oppose à la venue des Jeux à Atlanta si les habitants directement concernés par la construction des locaux olympiques ne pouvaient espérer en tirer profit.
Elle exhorta notamment l'ACOG à consacrer cent cinquante mille dollars à la création d'un programme novateur de formation professionnelle dans le domaine du bâtiment. Son objectif était de puiser dans la main-d'oeuvre locale, réduisant ainsi le nombre de personnes au chômage ou bénéficiant de l'aide sociale.
Ce dialogue initial a porté ses fruits. Le programme de formation professionnelle ainsi mis en place a permis d'employer des centaines d'habitants de Summerhill et d'autres quartiers du centre-ville qui abriteront des installations olympiques. Dans le cadre de ce programme, le bureau des relations publiques de l'ACOG a loué les services d'une garderie d'enfants afin de faciliter la tâche des nouveaux employés. Lorsque le personnel de l'ACOG a appris que certains ouvriers devaient être sur les chantiers à six heures du matin, soit deux heures avant l'ouverture de la garderie, des bénévoles sont venus surveiller les enfants.
Afin de transformer certains lotissements des vieux quartiers du centre-ville en parcs de stationnement ou en installations sportives, plusieurs familles ont dû être expulsées de leurs habitations vouées à la démolition. Mais les pouvoirs publics ont pris soin de reloger ces familles dans de meilleures habitations que celles qu'elles avaient dû quitter.
La participation des simples citoyens est l'un des nombreux avantages dont l'ensemble de la collectivité aura bénéficié du fait de la venue des Jeux. Mais ceux-ci auront eu un effet positif dans un autre domaine important, celui de l'éducation. Mme Marilyn Arrington, directrice du Programme de la jeunesse et de l'éducation de l'ACOG, conçoit ainsi l'objectif de son programme : « Pousser les étudiants à rechercher l'excellence en toutes circonstances, notamment sur les plans éducatif, culturel et physique. »
Ce programme, qui est financé par des fonds privés et est destiné à l'ensemble de la Géorgie, comporte plusieurs volets ciblant différents groupes. Par exemple, les élèves des écoles primaires ont participé à des Journées olympiques organisées dans les établissements scolaires. Les écoliers ont alors eu la possibilité d'écouter des conférenciers leur parler des divers pays qui participent aux Jeux olympiques, et la journée s'est en général terminée par l'organisation de compétitions sportives imitant celles des Jeux. De plus, chaque année, cent élèves d'école secondaire sont sélectionnés sur la rédaction d'une dissertation et ensuite sur entretien, afin de participer à une équipe de bénévoles qui aident la collectivité à prendre conscience de l'environnement et de l'importance de la diversité culturelle, et apprennent à lire aux illettrés. Les organisateurs ont également cherché à exploiter la venue des Jeux pour renforcer la croissance économique amorcée il y a plusieurs années dans la région. Ils ont donc choisi la plus grande société de distribution d'électricité de la Géorgie, « Georgia Power », qu'ils ont chargée de mettre en place un vaste projet de développement économique connu sous le nom d'« Opération Patrimoine ».
Mme Lynn Pitts, une responsable de Georgia Power qui a été chargée de diriger cette opération, a déclaré : « Nous avons voulu profiter de l'enthousiasme suscité par les Jeux afin de mettre en valeur les entreprises, tant nationales qu'internationales, installées en Géorgie. » Ils ont donc recherché les secteurs à cibler, notamment l'industrie aérospatiale, les télécommunications et les pièces détachées automobiles.
Mme Pitts a ajouté : « Nous invitons les milieux d'affaires à investir en Géorgie, par exemple en construisant une usine, un centre de distribution ou un siège social. La Géorgie est un endroit idéal pour faire des affaires, et nous voulons que les chefs des grandes entreprises viennent voir de plus près ce que nous avons à offrir. Nous considérons qu'« Opération Patrimoine » est avant tout un moyen de créer des emplois. »
Le commissaire de l'État de Géorgie à l'industrie, au commerce et au tourisme, M. Randy Cardoza, a déclaré : « Tout en faisant le maximum pour profiter de la venue des Jeux à Atlanta, nous essayons de souligner les valeurs chères à nos citoyens et de réfléchir à la façon dont nous serons perçus par des millions, voire des milliards, de spectateurs et de téléspectateurs qui nous verront pour la première fois. »
L'attachement que porte aux Jeux olympiques le distributeur régional d'électricité « Georgia Power » illustre bien l'importance que leur donnent de nombreuses entreprises, qui vont de « Coca-Cola », une société internationale ayant depuis de longues années son siège à Atlanta, à « United Parcel Service », une société qui se spécialise dans la livraison dans le monde entier de lettres et de paquets, en passant par « Home Depot », une chaîne de magasins à succursales se spécialisant, entre autres, dans la quincaillerie, l'outillage et le matériel de bricolage et de construction. Ses magasins emploient d'ailleurs plus d'une centaine d'athlètes américains et canadiens espérant participer aux Jeux olympiques dans le cadre d'un projet spécial. « Home Depot » parraine également la vente de briques commémoratives afin de faciliter le financement d'un parc situé dans un quartier jusqu'ici désolé d'Atlanta où se dérouleront sous peu certaines épreuves.
Les innombrables initiatives visant à créer de nouveaux débouchés reposant sur l'organisation des Jeux olympiques s'accompagnent d'autant de gageures lorsqu'il s'agit de faire face aux complications qu'elles entraînent. L'une d'elles, en l'occurrence, est la direction de la circulation dans un centre urbain où les véhicules sont déjà bien trop nombreux en temps ordinaire.
De l'avis d'une responsable du ministère des transports, Mme Christine Johnson, grâce aux techniques avancées dont s'est dotée Atlanta afin de répondre à ce défi, « on sera transporté au vingt et unième siècle ». Une grande partie de l'équipement restera à Atlanta, composant le patrimoine dont cette ville héritera à la fin des Jeux olympiques.
Pour la première fois aux États-Unis, grâce à des câbles de fibre optique, tous les services de transports de la ville seront reliés à des caméras surveillant deux autoroutes principales ainsi qu'à des postes d'observation placés le long des routes et à des feux de signalisation. On sera ainsi en mesure de juger de la future utilité de réseaux de surveillance électronique en matière de transport. Certains piétons essaieront aussi des instruments qui devraient faciliter leurs déplacements dans Atlanta. Des appareils de navigation fixés au tableau de bord d'automobiles de location permettront à leur conducteur de ne pas se perdre dans les rues de la ville et, dans certaines chambres d'hôtel, par le biais du poste de télévision, les clients pourront obtenir des informations adaptées à leurs besoins personnels en ce qui concerne la circulation dans les rues qu'ils devront emprunter. Ce n'est qu'un balbutiement lorsqu'il s'agit de résoudre le problème omniprésent des encombrements dans les villes des États-Unis ; ce n'est qu'un début, et c'est Atlanta qui montrera la voie.
Les emplois, les nouveaux logements construits à Summerhill et ailleurs grâce à une combinaison de fonds privés et publics, l'appui enthousiaste de gens appartenant à toutes les couches sociales de la ville et l'importance donnée à l'éducation, au développement économique et à la recherche de solutions sont autant d'éléments symbolisant la détermination de susciter un changement qui ne s'arrêtera pas avec les cérémonies de fermeture des Jeux olympiques.
Se tournant vers l'avenir, une fois les Jeux terminés, l'apparat et la gloire de ces seize jours de juillet disparus, Randy Cardoza fait part d'un sentiment commun :
« Lorsque tout redeviendra normal et que tout le monde sera parti, nous espérons que tous ceux qui seront venus, tous ceux qui auront regardé les Jeux à la télévision, seront convaincus de notre sincérité et qu'ils ne douteront pas de nos idéaux, que ce soit dans la façon dont nous vivons, la façon nous nous comportons à l'égard des autres, la façon dont nous aimons être traités. Nous sommes très fiers de notre histoire, mais plus fiers encore de ce que nous sommes aujourd'hui et sommes remplis d'espoir quant à notre avenir », a-t-il dit.
Pour Mattie Jackson, ce sont là aussi de beaux jours :
« Pour ma part, les répercussions des Olympiques sont une source de réconfort. À cause des Jeux, nous avons été en mesure d'intéresser des gens, des banques, des sociétés à notre quartier que l'on jugeait jusqu'ici trop risqué. Aujourd'hui, lorsque vous vous promenez dans le quartier sud, vous voyez de nouvelles maisons en construction, de nouveaux trottoirs, des arbres, de nouveaux éclairages et de nouveaux égouts, un nouveau stade et de nouvelles pistes de course. Beaucoup d'entre nous en ont bénéficié, d'une façon ou d'une autre. C'est l'occasion d'une vie. Peut-être ne se reproduira-t-elle jamais, mais maintenant que c'est une réalité, je sais qu'elle laissera des traces. »
La
société américaine
Revues électroniques de l'USIA
Volume 1, numéro
5, juin 1996