Le plus ancien comité d'action politique (« PAC ») non affilié à un parti politique particulier, le Women's Campaign Fund (WCF), apporte son concours aux femmes progressistes qui briguent des fonctions électives à l'échelon local, des États et national. Depuis sa fondation en 1974, il s'emploie à fournir des contributions dans les tout premiers temps des campagnes. Or, ces aides initiales revêtent souvent un caractère déterminant pour l'avenir politique des candidates et leur aptitude à solliciter des contributions supplémentaires. À ce jour, le WCF a consolidé l'assise financière de plus de mille trois cents candidates à des postes électifs, dans le camp tant des démocrates que des républicaines ou des indépendantes.Comme tous les autres « PAC », le WCF est réglementé par un organisme fédéral, la Commission électorale fédérale. Les contributions que versent les particuliers et les sociétés sont limitées à mille dollars par candidat et par élection, alors qu'un « PAC » peut distribuer jusqu'à cinq mille dollars dans les mêmes conditions et soutenir autant de candidatures qu'il veut. Outre l'aide financière qu'il apporte aux candidates, le WCF organise des stages de formation sans lesquels leur avenir politique serait moins certain. Les comités d'action politique, qui se comptent par milliers et dont la plupart ont leur siège à Washington, ont réuni jusqu'à présent des centaines de millions de dollars au profit de candidats.
Mme Marjorie Margolies-Mezvinsky préside le WCF depuis le 1er mars 1996. Elle cumule aussi les fonctions de présidente du Women's Campaign Research Fund (WCRF), organisme sans but lucratif spécialisé dans la formation des élues. Mme Margolies-Mezvinsky, députée démocrate de Pennsylvanie de 1993 à 1994, a été élue à la 103e session du Congrès l'année où le nombre de parlementaires de sexe féminin passa du simple au double, d'où le surnom d'« année historique » qui lui fut donné. On a expliqué ce phénomène par la conjugaison de divers facteurs, dont le nombre élevé de sièges vacants par suite d'un redécoupage électoral et le très vif mécontentement des électeurs à l'égard des candidats sortants et du gouvernement en général. L'élection suivante se caractérisa par un véritable raz-de-marée républicain dont un certain nombre de femmes démocrates firent les frais, y compris Mme Margolies-Mezvinsky. En 1995, c'est elle qui dirigea la délégation des États-Unis à la Quatrième Conférence mondiale de l'ONU sur la femme.
En mai 1997, Mme Marjorie Margolies-Mezvinsky a livré ses réflexions sur le parcours des femmes dans la vie politique des États-Unis.
Question - À votre avis, où en est aujourd'hui le mouvement féministe ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Des événements passionnants se profilent à l'horizon. Pour autant, il ne faut pas nier les frustrations considérables que nous ne surmonterons probablement pas aussi vite que je le voudrais. Nous avançons à tout petits pas, et c'est une situation dont les femmes s'accommodent mal.
Nous ne devons pas perdre de vue l'objectif de l'an 2002. Je crois que les choses ne vont pas se modifier sensiblement jusqu'à cette année-là en ce qui concerne la représentation des femmes au Congrès, parce qu'il faut attendre les redécoupages qui ne manqueront pas de se produire dans la foulée du prochain recensement. Peut-être davantage de sièges seront-ils à pourvoir, comme ce fut le cas en 1992. Cette année-là, sur les vingt-quatre femmes élues, vingt le furent à des sièges vacants ou nouveaux. En 1996, sur les vingt-sept femmes que nous avons soutenues, six seulement briguaient un siège vacant et sept seulement ont été élues. C'est dire l'importance des sièges sans candidat sortant dans cette équation.
Le Women's Campaign Fund soutient les femmes à tous les niveaux possibles, jusqu'au conseil d'administration des districts scolaires, pour mettre toutes les chances de leur côté. D'autres groupes que le nôtre consacrent toute leur énergie aux mêmes fins. Tout espoir est donc permis.
Il faut voir davantage de femmes au sein des conseils de rédaction dans les organes de radio et de télédiffusion, dans le domaine de la haute finance ou dans l'appareil judiciaire et législatif. Les femmes sont plus nombreuses que jamais - et je parle de femmes qualifiées- à affronter le verdict des urnes. Mais les Américains rechignent encore à verser des contributions. Les mentalités commencent à évoluer, mais la tâche reste ardue. Et si vous regardez les candidates qui l'emportent, vous remarquez que ce sont celles qui ont le plus d'argent ou le message le plus probant.
Lorsque les femmes seront mieux représentées à l'échelon international, croyez-bien que la donne changera.
Question - Que pensez-vous du Conseil interministériel du président sur la femme ? [Le Conseil a été fondé en août 1995, en prévision de la Quatrième Conférence de l'ONU sur les femmes qui s'est tenue à Pékin. Il a pour mission de coordonner l'exécution du programme d'action adopté à Pékin et d'élaborer des initiatives connexes à même de promouvoir la cause de la femme.]
Mme Margolies-Mezvinsky - Il me semble que cette démarche s'inscrit dans le droit fil de la conférence de Pékin. Elle me paraît convenir pour s'attaquer à certaines questions épineuses.
Question - Qui finance le WCF ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Nous recevons des fonds de la part de certaines sociétés, mais ce sont essentiellement les contributions des particuliers qui nous font vivre.
Question - En quoi différez-vous de la League of Women Voters (la Ligue des électrices), par exemple ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Cette association n'est pas un comité d'action politique - c'est la principale différence entre nous. Nous sommes un comité d'action politique ; nous donnons de l'argent aux candidates. La League of Women Voters invite des experts et organise des rencontres destinées à informer. Elle est apolitique. Nous, en revanche, nous enfourchons un cheval de bataille, celui du droit au choix. [Cette expression désigne par euphémisme le droit à l'avortement ; le mouvement qui cherche à conserver à l'interruption volontaire de grossesse le caractère légal qui est le sien aux États-Unis depuis le jugement prononcé en 1973 à l'issue du célèbre procès Roe contre Wade est connu sous le nom de mouvement pro-choice, ou tout simplement choice. Les opposants à l'I.V.G., bien évidemment désireux de faire annuler ce jugement, se rallient autour du mouvement dit pro-life.]
Question - Pour vous, le droit à l'avortement prime-t-il sur toutes les autres questions ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Oui, mais c'est aussi un sujet qui en dit long sur beaucoup d'autres. Les femmes au Congrès qui revendiquent le droit au choix ont généralement tendance à plaider pour l'augmentation des crédits à l'éducation et pour la prise en charge des soins médicaux selon des modalités novatrices. Nombre d'entre elles, mais pas toutes, sont favorables à la restriction du port d'armes, de l'industrie du tabac, etc. La prise de position d'une candidate sur le droit à l'avortement nous renseigne sur ses convictions à d'autres égards. Mais nous ne posons pas de questions sur ces autres dossiers. Le seul qui nous intéresse, c'est le droit au choix.
Il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit de nos programmes de formation. Nous apprenons aux femmes à briguer des fonctions électives, un point c'est tout. Nos cours de formation s'inscrivent dans le cadre de notre mission sans but lucratif.
Question - Quelles sont les autres causes que soutiennent généralement les femmes favorables au droit à l'avortement ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Il est clair que la législation portant restriction du port d'armes à feu est un point de ralliement, mais pas pour toutes. La question de la garde des enfants nous préoccupe aussi. Elle revêt une importance considérable pour les femmes. Nous nous soucions aussi beaucoup de la politique en matière de santé.
Question - La santé pour tous, pas seulement pour les femmes ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Parfaitement - rehausser la qualité des soins pour tous est une cause importante. Il y a des situations que les femmes affrontent plus souvent que les hommes. À mon avis, la loi sur les congés familiaux et médicaux n'aurait jamais été adoptée sans nous. Cela faisait sept ans qu'elle se préparait, et elle a été adoptée. La loi Brady, (qui limite le port des armes automatiques et semi-automatiques), n'aurait pas été adoptée sans nous non plus. Je pourrais citer bien d'autres exemples.
Question - Le Congrès est-il suffisamment sensible aux questions qui concernent directement les femmes ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Il me semble qu'il ne peut pas y être suffisamment sensible, alors je dois répondre par la négative. Mais je crois que nous nous améliorons, que nous avançons dans la bonne direction.
Question - Comment le WCRF choisit-il les femmes qui participent à ses programmes de formation ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Elles sont invitées ou recommandées par d'autres élues influentes. C'est nous qui prenons en charge la quasi-totalité des coûts de formation. Nous leur demandons simplement d'acquitter un droit modique d'inscription, et c'est tout. Nous proposons trois stages régionaux par an. Dans chaque cycle, nous proposons un cours sur l'art de diriger ; c'est l'occasion de réunir des femmes, de les laisser s'exprimer, de parler des écueils à éviter pendant les campagnes électorales. Les conférencières sont généralement formidables : elles veulent faire comprendre aux femmes comment briguer un mandat et pourquoi la tâche sera aussi ardue.
Question - Ces stages de formation servent-ils exclusivement à préparer les femmes à briguer des mandats politiques ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Nous nous plaçons dans la perspective générale du service public, mais il est vrai que la plupart des participantes cherchent à se faire élire.
Question - Quelle sorte de formation est-il utile de suivre pour se faire élire au Congrès ?
Mme Margolies-Mezvinsky - L'expérience acquise au contact des réalités quotidiennes compte énormément, et ce n'est pas ce qui manque à beaucoup d'entre nous. Mais nous avons besoin d'apprendre à parler à la presse. À collecter des fonds. À bien présenter notre message, pour qu'il ne disparaisse pas ce mois-ci ou le suivant, mais pour qu'il dure toute notre vie.
À constituer une équipe. À bien mener notre barque au Congrès et dans l'appareil judiciaire, une fois l'élection en poche. Voilà les domaines dans lesquels nous avons toutes quelque chose à apprendre.
Il faut que nous trouvions le moyen de réussir, et c'est plus facile à dire qu'à faire. Un jour que je participais à une émission radiophonique, Mme Cryor, députée du Maryland, a appelé la station. Elle nous a dit que ce qui l'avait particulièrement soulagée quand elle faisait campagne, c'est que des amies viennent faire la cuisine à sa place. On ne saurait sous-estimer la valeur de ce genre de soutien, de ces coups de pouce qui rendent la vie un peu plus facile. Les femmes ne sont pas toujours tendres entre elles.
Question - Vous ne croyez pas que nous avons dépassé ce stade ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Je le pense de temps en temps, mais pas toujours. L'esprit d'équipe ne nous est pas inculqué dès la plus tendre enfance. Il faut que nous allions de l'avant, que nous soyons déterminées à voter pour des femmes qualifiées et à ne pas relâcher nos efforts tant que nous ne serons pas représentées en très grand nombre. Il y a encore beaucoup de femmes qui pensent que la place de la femme est au foyer. Il faut dépasser ce stade, et c'est aux femmes de faire le premier pas. Laissons donc de côté nos jalousies, nos chicaneries. Apprenons à savourer la richesse d'avoir une sur pour nous représenter !
Question - Pourquoi les femmes démocrates sont-elles tellement mieux représentées que les républicaines au Congrès et au Sénat ?
Mme Margolies-Mezvinsky - À mon avis, c'est parce que le parti démocrate est plus accueillant. Une femme qui revendique le droit à l'avortement a plus de mal à sortir victorieuse des élections primaires dans le camp des républicains que dans le camp des démocrates.
Nous avons soutenu des candidates républicaines, favorables à l'avortement, qui étaient de très haut calibre. Mais elles ont achoppé sur les primaires. Mme Carolyn McCarthy illustre parfaitement le cas. [Mme Carolyn McCarthy, dont le mari a été l'une des victimes d'un désaxé qui a ouvert le feu sur les passagers d'un train dans l'État du Long-Island en 1993, a été élue au Congrès en 1996. Elle a mené une campagne énergique pour la restriction du port d'armes et battu Dan Frisa, le candidat républicain sortant, qui lui était opposé à cette cause.] Républicaine de longue date, Mme Carolyn McCarthy n'a pourtant pas essayé de remporter une primaire républicaine. Elle a adhéré au parti démocrate. Notre organisation aurait préféré qu'elle reste républicaine, parce qu'à notre avis la question du droit à l'avortement doit transcender les partis.
Je n'ai absolument rien contre le système bipartite, bien au contraire, mais j'estime aussi qu'on a besoin de républicaines de haut calibre et qui défendent le droit au choix.
Nous sommes beaucoup plus fortes si nous avons des partisans dans les deux partis. Demandez à n'importe quelle femme qui a essayé de faire adopter une proposition de loi, et elle vous dira qu'elle a eu besoin du soutien de ses collègues féminines des deux partis pour la faire passer. Elle vous dira que le lien entre elles est très solide.
Question - À quoi faut-il s'attendre en 1997 en ce qui concerne la candidature de femmes ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Sauf cas exceptionnels, il n'y aura pas d'élections fédérales en 1997, mais beaucoup d'élections à l'échelon local et des États s'annoncent passionnantes. Christie Todd Whitman, résolument acquise à la liberté de l'avortement et l'une des deux seules femmes gouverneurs du pays, sollicitera le renouvellement de son mandat à l'automne dans le New Jersey. Si elle gagne, ce sera la troisième fois seulement qu'une femme gouverneur sortant est réélue et elle sera la première républicaine à exécuter ce tour de force. Comme le New Jersey et la Virginie figurent parmi les États où les femmes sont les moins représentées à la législature de l'État, le WCF travaillera d'arrache-pied cette année non seulement pour faire réélire les femmes qui se présenteront, mais pour en élire de nouvelles dans ces institutions législatives.
Nous comptons également que l'année 1997 verra l'élection de femmes à la mairie de grandes villes de tout le pays. À New York, par exemple, la présidente de l'arrondissement de Manhattan, Ruth Messinger (démocrate), mène énergiquement campagne contre le maire sortant, M. Rudy Giuliani. Et si des campagnes en sont encore au stade de l'ébauche dans un bon nombre de villes, il y a en ce moment des femmes qui briguent la mairie de Houston (Texas), de San-Antonio (Texas) et de Saint-Paul (Minnesota).
Question - Avez-vous des candidates viables en tête pour la présidence ou la vice-présidence ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Nous avons certainement du monde en coulisse. Nous n'en avons jamais eu autant. Le Sénat compte déjà neuf femmes. Au cours des dix prochaines années, je crois que nous verrons une femme à la vice-présidence et, de notre vivant, il y aura une présidente.
Question - Voulez-vous vous risquer à faire des prédictions ? Vous pensez à des candidates en particulier ?
Mme Margolies-Mezvinsky - Ce ne sont vraiment pas les candidates qui manquent. Il y a Nita Lowey (démocrate, New York), qui a un sens inné du commandement. Je pense à une foule de femmes qui sont en train de s'épanouir. Barbara Kennelly (démocrate, Connecticut), par exemple, est extraordinaire. Rosa DeLauro (démocrate, Connecticut) a d'incontestables qualités de chef. Je pourrais en citer encore beaucoup d'autres.
Nous avons vraiment des femmes sur lesquelles nous pouvons compter.
(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement les vues du gouvernement des États-Unis.)