Cynthia Harrison
L'article ci-après suit la transition des Américaines de leurs rôles traditionnels de fille, d'épouse et de mère à leur pleine participation à la vie sociale. Il retrace leur évolution depuis leur lutte victorieuse pour le droit de vote, passant par leur entrée dans le monde du travail durant la Deuxième Guerre mondiale et la promulgation des lois antidiscriminatoires dans les années soixante et soixante-dix, allant jusqu'aux vastes possibilités qui leur sont désormais offertes dans les années quatre-vingt-dix.
La ratification, en 1920, du Neuvième amendement à la Constitution des États-Unis, qui accordait enfin le droit de vote aux Américaines, marque le point culminant d'un mouvement lancé plus de soixante-dix ans auparavant. Nombreux étaient ceux qui avaient prédit qu'une telle mesure déclencherait un raz-de-marée de changements politiques. Carrie Chapman Catt, qui avait mené la bataille finale, avait déclaré : « Dans l'aménagement du nouvel ordre social, nous exigeons, nous les femmes, une voix égale ; nous n'accepterons rien de moins. » Cette perspective avait provoqué une certaine nervosité chez maints politiciens, tout particulièrement après la création en 1920 du Women's Joint Congressional Committee, une fédération de mouvements féministes comptant dix millions d'adhérentes. Au début de la décennie, le Congrès veilla à ce que les nouvelles lois tiennent compte des questions auxquelles les électrices attachaient de l'importance, et en adopta notamment une qui éliminait la discrimination entre hommes et femmes en matière de rémunération dans la fonction publique fédérale. Les présidents Wilson et Harding nommèrent des femmes à divers postes dans les tribunaux et les commissions fédérales.
Mais dix ans plus tard, le « vote des femmes » tant attendu ne s'était toujours pas matérialisé et le rôle des femmes dans la vie politique n'avait pas non plus évolué. En 1930, treize femmes seulement avaient obtenu des sièges au Congrès, dont sept pour pourvoir à des vacances survenues en cours de mandat. Les résultats n'étaient guère meilleurs dans les assemblées législatives des États fédérés : en 1925, les femmes remportèrent près de cent cinquante sièges sur sept mille cinq cents environ. D'où la remarque d'Emily Newell Blair, membre du Comité démocrate national : « Je ne connais aucun politicien qui ait peur du vote des femmes, quelle que soit la question dont il s'agit. »
Le mouvement féministe des années vingt ne s'était pas uni autour d'un ordre du jour commun après la reconnaissance du droit de vote. Le conservatisme de l'après-guerre et la division sur la question de savoir si les femmes avaient besoin d'égalité devant la loi ou de protection légale avaient empêché l'unification. Au cours des années trente, les difficultés économiques vinrent s'opposer à un regain d'intérêt pour la cause des droits de la femme, le chômage et la pauvreté prenant le pas sur tout autre problème. On relève toutefois, dans les années vingt comme dans les années trente, des changements importants dans le rôle des femmes. Cependant, ils sont dus à des facteurs non pas politiques, mais économiques.
Aucun changement n'eut un impact plus grand sur le rôle des femmes que la transition d'une économie essentiellement agricole à une économie commerciale et industrielle, survenue en une lente évolution au fil de plusieurs décennies. Jusqu'à la fin des années vingt, vingt-cinq pour cent des Américains vivaient encore dans des exploitations agricoles où les femmes travaillaient constamment en tant que partenaires de l'entreprise familiale, combinant des tâches essentielles du point de vue économique avec le soin des enfants et les travaux ménagers. En milieu urbain, en revanche, l'idéal de la classe moyenne reposait sur le seul revenu du mari et père de famille, employé hors du foyer. Quant aux mères de la classe ouvrière urbaine, et en particulier les Afro-Américaines, elles étaient employées dans la production industrielle ou à des travaux ménagers rémunérés ; en 1920, environ neuf pour cent des femmes mariées travaillaient hors du foyer, contre rémunération. Et pourtant, bien qu'elles fussent nombreuses à travailler quand elles étaient célibataires, elles quittaient leur emploi une fois mariées, si la situation économique le permettait.
Pendant la crise de 1929, durant laquelle le chômage atteignit vingt-cinq pour cent, des forces contradictoires se manifestèrent : d'une part des pressions pour que les épouses employées s'effacent devant les hommes pour leur laisser leurs emplois, et d'autre part les impératifs économiques qui faisaient que les pères et les maris étant au chômage, les épouses et les mères avaient besoin, plus que jamais, de leur salaire. En fait, la plupart des femmes exerçaient des activités qui n'étaient pas proposées aux hommes et donc, au début de la Deuxième Guerre mondiale, près de quinze pour cent des femmes mariées travaillaient, contre douze pour cent au début des années 1930.
Après les privations de la crise, les femmes réagirent avec enthousiasme à l'expansion économique des temps de guerre. Elles virent s'ouvrir des emplois jusqu'alors réservés aux hommes du fait du départ de ceux-ci dans les forces armées.
« Rosie la riveteuse » devint le symbole de la patriote américaine et des millions de femmes accédèrent à des postes dans la fonction publique et à des emplois industriels. Le pourcentage de femmes dans la population active passa de vingt-cinq pour cent avant la guerre à un maximum de trente-huit pour cent pendant la période la plus intense des opérations. Mais, comme la crise économique, la Deuxième Guerre mondiale eut un impact mélangé sur la vie des femmes. Les emplois les mieux rémunérés ne furent que temporaires, étant rendus aux militaires rentrés dans leurs foyers, et les avantages consentis aux anciens combattants en matière d'emploi et d'éducation après la guerre eurent pour effet de creuser le fossé entre les deux sexes dans ces domaines.
Les femmes se retirèrent de la population active et un grand nombre d'entre elles consacrèrent toute leur énergie à élever leurs enfants, mais pas toutes et pas pour longtemps. Le secteur privé comme le secteur public connurent une expansion rapide, précisément dans les domaines offrant traditionnellement des emplois aux femmes : les travaux de bureau, l'enseignement et les soins médicaux. Étant donné le nombre de nouveaux postes à pourvoir, les employeurs renoncèrent à leur préférence pour les célibataires et embauchèrent des femmes mariées et mères de famille. Dans les années soixante, près d'un tiers des Américaines mariées exerçaient des travaux rémunérés, au moins à temps partiel, soit deux fois plus que pendant les années quarante, et leur nombre augmentait rapidement chaque année. Elles achetaient ainsi maisons et voitures et payaient des études universitaires à leurs enfants.
Les femmes gagnaient environ un quart des revenus familiaux, ce qui ne les empêchait pas de se heurter régulièrement à une discrimination au niveau de l'emploi. Les entreprises recrutaient par la voie des petites annonces sous les rubriques « Offres d'emploi - hommes » et « Offres d'emploi - femmes » ; les écoles de médecine et les facultés de droit établissaient des quotas pour les étudiantes ; et même le gouvernement fédéral permettait à ses cadres de choisir de nouvelles recrues dans une liste où les candidats étaient classés par sexe. Les employeurs justifiaient leurs pratiques en invoquant les responsabilités familiales des femmes qui, disaient-ils, leur prenaient trop de temps au détriment de leur travail. Avec un tiers de la population active composée de femmes et dans le contexte de la concurrence internationale avec l'Union soviétique qui exigeait un maximum d'efficacité dans l'utilisation de toutes les ressources des États-Unis, il devint clair pour les responsables politiques qu'il fallait réduire la tension entre les rôles de mères de famille et de travailleuses salariées.
En 1961, sur le conseil d'Esther Peterson, vice-ministre du travail, le président Kennedy institua une commission sur la condition féminine chargée de formuler un plan qui aiderait les femmes à concilier les impératifs de leur double rôle public et privé. La Commission présidentielle sur la condition féminine, présidée par Eleanor Roosevelt, proposa une série de mesures à l'intention du secteur public et du secteur privé, afin d'aider les femmes. Les cinquante États des États-Unis se dotèrent pratiquement tous de commissions analogues pour traiter de la discrimination à l'échelon local. En 1963, le Congrès adopta la loi interdisant les différences de salaires entre les sexes dans le secteur privé. C'était la première loi interdisant la discrimination sur les lieux de travail. La publication plus tôt cette année-là de La mystique féminine, ouvrage ayant pour auteur une certaine Betty Friedan, attira l'attention du public sur le fait que les capacités des femmes avaient été sous-évaluées et apporta son soutien à de nouvelles initiatives visant à mettre un terme aux injustices à l'égard des femmes. La Loi de 1964 sur les droits civiques interdit, entre autres dispositions, la discrimination sexuelle dans l'emploi. Un réseau national d'activistes préparées par leurs travaux au sein des commissions nationales et fédérales se rendit rapidement compte de la nécessité, pour assurer l'application de la loi, d'une organisation féministe indépendante. C'est ainsi que fut créée en 1966 l'Organisation nationale pour les femmes (NOW).
La NOW reprit le travail inachevé de divers organismes gouvernementaux et formula rapidement une nouvelle série d'objectifs visant à assurer la complète égalité des hommes et des femmes dans la société américaine. Un mouvement féministe parallèle plus radical prit naissance presque immédiatement. Il était issu de la lutte féministe au sein du mouvement des droits civils dans le Sud, du mouvement pacifiste sur les campus universitaires et du mouvement en faveur de la justice sociale dans les villes américaines. La combinaison de ces diverses perspectives aboutit à une remise en cause de toutes les idées reçues sur les relations des hommes et des femmes entre eux, et vis-à-vis des enfants et de l'État. La libération de l'énergie féministe fit bientôt des femmes l'épicentre d'une réforme sociale.
Le pouvoir politique des femmes figurait très haut sur la liste des objectifs féministes et, à partir de 1972, les femmes firent acte de candidature électorale en nombres record. Les résultats furent inégaux. La proportion de femmes au sein des assemblées législatives des États passa de 4,5 % en 1971 à 21 % en 1993, mais pour se maintenir à ce niveau. En 1961, vingt femmes, chiffre record, siégeaient aux deux chambres du Congrès, record qui tint pendant vingt ans. Dans les années quatre-vingt, le nombre des parlementaires commença d'augmenter lentement, mais en 1997, il ne se situe toujours qu'à soixante, soit moins de douze pour cent de l'effectif total.
Néanmoins, le nouveau mouvement féministe et la présence de ces nouvelles parlementaires amenèrent le Congrès à adopter un grand nombre de mesures législatives qui vinrent s'ajouter aux premières interdictions relatives à la discrimination sexuelle dans l'emploi, notamment des lois interdisant le traitement inégal en matière de crédit et dans les programmes d'éducation. Une loi de 1974 accorda au personnel domestique la protection du salaire minimum ; une loi de 1978 interdit la discrimination sur le marché du travail contre les femmes enceintes ; en 1984, le Congrès renforça les lois sur le versement des pensions alimentaires des enfants et sur les droits de pension pour les veuves et les femmes divorcées. En 1990, le Congrès adopta une loi octroyant des fonds fédéraux pour les soins des enfants, première loi de ce genre depuis la Deuxième Guerre mondiale et, en 1993, le président Clinton nouvellement élu signa la Loi sur le congé familial et médical, qui obligeait pour la première fois les employeurs à accorder une certaine latitude aux employés devant s'acquitter de responsabilités familiales.
La Cour suprême, interprète de la Constitution, a également révisé ses vues sur le statut des femmes au regard de la loi à la lumière de l'évolution du rôle des femmes. Jusqu'en 1971, le Cour suprême considérait comme constitutionnelles la majorité des lois qui différenciaient entre les hommes et les femmes. En 1971, dans le cas Reed contre Reed, pour la première fois, elle a déclaré inconstitutionnelle la loi d'un État qui favorisait les hommes, estimant que la classification par sexe était « arbitraire ». Ultérieurement, la Cour suprême a élargi son interprétation pour couvrir la plupart des domaines relevant de l'autorité judiciaire (bien qu'elle continuât d'autoriser un traitement différencié dans les forces armées). La nouvelle position de la Cour revêtit une importance accrue en 1982 après le rejet d'un amendement à la Constitution concernant l'égalité des droits de la femme. En outre, dans l'affaire Roe contre Wade de 1973, la Cour suprême jugea que les lois des États interdisant les interruptions volontaires de la grossesse à ses débuts portaient atteinte au droit des femmes de prendre des décisions privées. Cette décision a donné aux femmes des droits importants concernant leur vie reproductive, mais a également suscité un mouvement d'opposition puissant en faveur de valeurs conservatrices.
En 1997, la persistance des rôles traditionnels attribués aux deux sexes dans l'économie domestique fait que la plupart des femmes qui ont un travail rémunéré à temps complet doivent également s'acquitter de la majeure partie des tâches et des responsabilités ménagères et familiales. Par ailleurs, il subsiste des obstacles dans les lieux de travail, en particulier pour les femmes de couleur et les lesbiennes. Les nombreuses mères célibataires qui travaillent pour des salaires modestes éprouvent des difficultés à fournir des soins adéquats ou des traitements médicaux à leurs enfants, et l'abrogation de la législation du New Deal octroyant une aide aux familles pauvres risque d'aggraver leurs difficultés.
En tout état de cause, les changements intervenus dans la condition féminine au cours des décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont été spectaculaires. Le droit des femmes mariées à travailler hors du foyer n'est plus en question, en particulier parce que la plupart des familles biparentales ont besoin d'un deuxième salaire. Quelque soixante pour cent des femmes mariées ont à présent un emploi rémunéré. Disposant de ses propres revenus, l'Américaine est aujourd'hui en mesure d'exercer une plus grande autorité au sein de son foyer ou de mettre fin à une union malheureuse. Malgré la lenteur de leur accession aux fonctions politiques depuis qu'elles ont obtenu le droit de vote en 1920, les femmes sont devenues plus visibles et leur rôle plus central dans la vie politique. Les questions féminines, la discrimination en fonction du sexe, les droits en matière de reproduction, le soin des enfants, l'égalité économique sans distinction de race ni de sexe, retiennent toute l'attention des décideurs politiques. La législation fédérale a accordé aux femmes le droit à un traitement égal dans les établissements d'enseignement et sur les lieux de travail et elles ont bénéficié de ces possibilités. En 1991, les femmes se sont vu décerner 54 % des diplômes de licence et de maîtrise et 38 % des doctorats. Dans le monde du travail, les femmes représentent environ 20 % des avocats (contre 3,5 % en 1950), plus de 40 % des enseignants universitaires (contre 23 % en 1950) et environ 20 % des médecins (contre 6 % en 1950). En revanche, 70 % des salariées sont toujours employées en tant que personnel de bureau, de service et de vente.
Que cette transformation sociale n'ait pas encore abouti à l'égalité complète ne doit pas nous surprendre. La modification des relations entre hommes et femmes est l'une des plus profondes que toute société puisse subir et tous les pays du monde continuent de négocier ce virage.
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Mme Cynthia Harrison est professeure adjointe d'histoire et d'études féminines à l'Université George Washington de Washington.
(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement les vues du gouvernement des États-Unis.)
La Société
américaine
Revue électronique de l'USIA,
volume 2, numéro 2, juin 1997