LA LOI SUR LE RÉTABLISSEMENT DE LA LIBERTÉ
RELIGIEUSE :
ANALYSE D'UN CONFLIT
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C'est la Cour suprême des États-Unis qui décide, en dernier ressort, de la façon dont sont résolus les conflits entre les droits du citoyen et ceux de l'État. Elle joue un rôle primordial dans la définition des intentions des fondateurs de la nation américaine tels qu'elles sont exprimées dans la Constitution des États-Unis et dans d'autres documents. Ce faisant, elle exerce dans de nombreux domaines une influence énorme sur l'existence quotidienne des Américains. La religion est depuis longtemps l'un de ces domaines.En février 1997, la Cour suprême a entendu l'exposition des faits dans le procès « Brne contre l'église catholique Saint-Pierre ». L'analyse ci-dessous des questions en jeu est extraite d'un reportage radiodiffusé de Nina Totenberg, correspondante juridique de la National Public Radio.
Nous vous présentons le JOURNAL DU MATIN. Ici Bob Edwards.
La Cour suprême entend aujourd'hui l'exposition des faits dans un procès qui pourrait bien être le plus important du siècle dans le domaine de la liberté religieuse. C'est de la constitutionnalité de la Loi sur le rétablissement de la liberté de religion, désignée par son sigle, RIFRA, qu'il s'agit.
RIFRA déclare qu'il est interdit aux autorités publiques des États-Unis, à quelque niveau que ce soit, de prendre des mesures qui entravent l'exercice de la religion, sauf si elles peuvent prouver que leur action est justifiée.
Reportage de Nina Totenberg :
L'affaire qui va être débattue aujourd'hui met à l'épreuve bien plus que la liberté de religion ; c'est une question de pouvoir. Le pouvoir du Congrès contre celui des tribunaux, le pouvoir du gouvernement fédéral contre celui des États, les droits de la collectivité contre les droits religieux.
Si la Cour suprême décrète que la Loi sur le rétablissement de la liberté de religion est inconstitutionnelle, cela risque de faire planer un doute sur la constitutionnalité de la plupart des lois actuellement en vigueur en matière de droits civiques.
Inversement, si elle confirme la constitutionnalité de cette loi, tout ce que font les gouvernements, au niveau des États comme au niveau local, risque d'être examiné au microscope sous l'angle religieux et une telle décision pourrait affaiblir le pouvoir de la Cour suprême en tant qu'ultime arbitre de la Constitution.
L'enjeu est clair pour toutes les parties. « Il s'agit là du procès le plus important qui ait jamais eu lieu entre l'Eglise et l'État, déclare le pasteur baptiste Oliver Thomas, membre du Conseil national des Eglises, car il affectera tous les religieux et toutes les organisations religieuses du pays. »
En fait, la coalition qui soutient RIFRA semble composée de représentants de pratiquement toutes les religions pratiquées aux États-Unis, des chrétiens fondamentalistes aux grandes confessions protestantes, des catholiques aux musulmans et aux juifs.
RIFRA a été adoptée il y a quatre ans en réaction à une décision de la Cour suprême qui avait suscité de nombreuses critiques, ceux qui la condamnaient estimant qu'elle limitait la liberté de religion. Cette loi exige qu'à tous les niveaux, le gouvernement soit plus conciliant à l'égard de la religion que ne l'exige, d'après la Cour suprême, la Constitution des États-Unis.
RIFRA précise que le gouvernement ne peut entraver le libre exercice d'une religion que s'il peut prouver l'existence d'une nécessité impérieuse telle que des considérations de santé ou de sécurité, et s'il peut établir qu'il utilise pour ce faire les moyens les moins restrictifs. Cela peut paraître simple, mais il s'agit là de normes juridiques exigeantes et, dans les années qui ont suivi l'adoption de cette loi, des centaines de procès ont été intentés par des particuliers et des églises qui cherchaient à être exemptés de lois locales en vertu de RIFRA.
Tout, des lois de « zonage » (réglementant l'occupation des propriétés foncières dans les villes) aux lois contre la discrimination et aux règlements pénitentiaires, a été contesté en tant qu'entrave au libre exercice de la religion.
Finalement, une affaire a abouti devant la Cour suprême, qui doit décider si le Congrès a outrepassé ses pouvoirs en votant la Loi sur le rétablissement de la liberté de religion. Il s'agit d'un procès qui oppose une petite ville du Texas, Brne, à l'une des églises locales qui connaissent l'expansion la plus rapide, l'église catholique Saint-Pierre.
Cette église voulait s'agrandir, mais du fait qu'elle est située à l'intérieur d'une zone de protection du patrimoine historique, le conseil municipal lui a refusé un permis de construire. L'église avait soumis toute une série de plans qui auraient préservé en l'état la façade de l'église, mais la municipalité a maintenu son refus.
L'église a fini par intenter un procès à la municipalité, déclarant que le refus de permis de construire violait la Loi sur le rétablissement de la liberté de religion.
Le père Tony Cummins, curé de Saint-Pierre, déclare : « Le problème est que nous avons une église qui ne peut recevoir que deux cent trente personnes alors que notre paroisse compte un millier de familles. Nous sommes donc dans l'impossibilité d'accueillir tous nos paroissiens à la messe du dimanche. Nous utilisons actuellement le gymnase d'une école pour nos messes dominicales. »
Mais la municipalité a maintenu sa position. Le maire de Brne, Patrick Heath, affirme que les lois de la ville doivent s'appliquer de la même façon à tous. « Comment pouvons-nous exiger que d'autres types de bâtiment se conforment au règlement, qui a pour but de préserver le patrimoine architectural de la ville, dit-il, si l'église n'y est pas tenue ? »
Un magistrat fédéral avait donné raison à la municipalité, décrétant que RIFRA était inconstitutionnelle, mais une cour d'appel a annulé cette décision et la ville s'est pourvue en cassation devant la Cour suprême dont les membres entendront aujourd'hui les arguments des parties.
Les dossiers de cette affaire (les arguments écrits soumis aux juges de la Cour suprême - la Cour suprême autorise d'autres organisations ayant des intérêts dans cette affaire à faire valoir leurs arguments) témoignent des puissants intérêts en jeu.
D'un côté, il y a les partisans de RIFRA : le monde religieux, le gouvernement Clinton, des membres conservateurs et libéraux du Congrès, une foule d'associations pour la défense des droits civiques et cinq États, dont le New York et la Californie. De l'autre, il y a la ville de Brne, seize États et divers groupements pour la préservation du patrimoine historique. Pour comprendre les questions fondamentales en jeu, il convient de se reporter à l'adoption, après la guerre de Sécession, du quatorzième amendement à la Constitution des États-Unis. Les amendements adoptés durant la période dite de reconstruction avaient pour but de forcer les États, même contre leur gré, à respecter les droits individuels et civiques (garantis par la Constitution) en donnant à la législature nationale, c'est-à-dire au Congrès, le pouvoir de les faire respecter.
Le Congrès a souvent voté, depuis lors, des lois visant à mieux protéger les droits individuels que ne l'exige, selon la Cour suprême, la Constitution des États-Unis. C'est précisément ce qu'il a fait en adoptant la Loi sur le droit de vote, la Loi contre la discrimination à l'égard des femmes enceintes et toute une série d'autres lois se rapportant aux droits civiques.
Et, de même que le Congrès exige du gouvernement des justifications impérieuses pour l'adoption de mesures entravant, même accidentellement, les droits des membres d'une race ou d'un sexe, de même il en exige, en vertu de RIFRA, pour toute action qui restreindrait, même accidentellement, l'exercice de la religion.
Aujourd'hui, devant la Cour suprême, Douglas Laycock, professeur de droit à l'université du Texas, qui représente l'église Saint-Pierre, dira aux juges que si RIFRA est contraire à la Constitution, il en va de même pour l'ensemble de nos lois modernes sur les droits civiques, des lois que la Cour suprême a soutenues à maintes reprises jusqu'à présent. « Si la Cour décrétait que le Congrès ne pouvait étendre les droits garantis par la Constitution, cela représenterait un changement radical de tendance. Cela reviendrait à jeter par la fenêtre cent trente années de lois. »
Marci Hamilton, qui représente la ville de Brne, rétorquera que RIFRA n'est pas une loi ordinaire, mais un amendement à la Constitution que l'on a déguisé en loi pour pouvoir l'adopter sans avoir à recourir aux étapes laborieuses qu'exige la ratification d'un amendement à la Constitution.
« Cette loi, cette prétendue loi, ressemble tout à fait à un amendement à la Constitution, dit-elle. Elle s'applique à toutes les lois adoptées aux États-Unis par tous les gouvernements. Si RIFRA est une bonne loi, alors il ne nous reste plus qu'à installer un tapis roulant entre la porte d'entrée de la Cour suprême et le Congrès pour que les gens n'aient qu'à se rendre au Congrès pour faire annuler une décision qui ne leur plaît pas. Rien n'aura plus alors de caractère définitif et la Cour suprême sera l'organe le plus inutile du gouvernement. »
Marci Hamilton ajoute que RIFRA diffère des autres lois en matière de droits civiques du fait qu'elle place la religion au-dessus de tout dans la société et qu'elle mêle inextricablement le gouvernement à la religion, en infraction à la Constitution.
« Il s'agit de la promotion simultanée de tous les intérêts religieux du pays. Cela ressemble exactement à ce que les auteurs de la Constitution craignaient le plus, c'est-à-dire l'alliance de l'Eglise et de l'État », dit-elle.
Ce à quoi le représentant de l'église Saint-Pierre, Douglas Laycock, répond que l'église a tout au moins le droit qu'on la laisse tranquille. « L'église n'a pas le droit d'imposer sa volonté à tous, mais elle a le droit de pratiquer sa foi. »
Il y a aussi le débat sur les droits des États (le droit, protégé par la Constitution, qu'ont les États d'adopter des lois qui affectent principalement leurs habitants, au niveau de l'État et au niveau local). La Cour suprême a autorisé l'Ohio à présenter, en son nom et au nom de quinze autres États, son point de vue selon lequel RIFRA empiète sur les prérogatives traditionnelles du gouvernement des États et des autorités locales. Le cas des prisons a été cité à l'appui de cet argument.
« Ce que nous constatons, déclare Betty Montgomery, procureur général de l'Ohio, c'est que les prisonniers qui ne parviennent pas à obtenir ce qu'ils veulent par les voies normales s'appuient sur la Loi sur le rétablissement de la liberté de religion pour prétendre avoir droit à certains aliments, à certains types de vêtements et à un traitement exceptionnel qui risquent souvent de compromettre la sécurité de la prison. »
Mme Montgomery cite à ce propos toute une litanie d'incidents inquiétants. Des prisonniers prétendent, par exemple, qu'ils ont le droit, en vertu de la liberté de religion, de distribuer des tracts haineux ou des publications pornographiques. Elle admet toutefois que de telles revendications sont rejetées par les tribunaux et, de leur côté, les défenseurs de RIFRA soulignent qu'une loi récemment adoptée par le Congrès impose des amendes aux prisonniers qui intentent des procès futiles et augmente la durée de leur emprisonnement.
En définitive, toutefois, une seule question doit être tranchée par la Cour suprême : la Loi sur le rétablissement de la liberté de religion est-elle conforme à la Constitution ? Si la Cour y répond par l'affirmative, le représentant de l'église, Douglas Laycock, reconnaît lui-même qu'il y aura ultérieurement des cas difficiles à trancher dans le cadre de RIFRA. Mais d'après lui, l'affaire actuelle est facile à résoudre. « Il s'agit du cur même du premier amendement. La ville de Brne décrète que nos paroissiens ne peuvent assister à la messe dominicale parce que cela impliquerait la modification de l'architecture de notre église. C'est une position absurde qui s'attaque au principe même du libre exercice de la religion. »
La Cour suprême devrait se prononcer dans cette affaire durant l'été 1997.