LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS
Divers observateurs, dont le président Clinton, ont décrit les États-Unis comme l'une des sociétés les plus religieuses du monde. Le présent article propose un bref tour d'horizon de la religion dans la société américaine contemporaine, dans toute sa diversité et sa vitalité. Il est conçu pour aider le lecteur à comprendre comment de multiples religions peuvent s'épanouir côte à côte, et comment elles façonnent la vie des personnes et forgent le caractère national.
L'Amérique précolombienne, comme la majorité des sociétés autochtones, possédait des cultures religieuses aussi riches que diverses, dont il subsiste certains éléments. Mais les Européens qui vinrent d'établir dans le Nouveau Monde y apportèrent leurs propres croyances. En fait, c'est souvent la liberté de pratiquer leur religion que venaient chercher sur ces rives lointaines les nouveaux arrivants. Leurs communautés prospérèrent et la variété des religions qui en est résulté a contribué à la formulation d'un principe unique et d'importance primordiale pour les religions de notre planète : l'attachement le plus fondamental au pluralisme et à la liberté de religion dans le monde.
Les effets de la Réforme protestante (1517) se répercutant dans toute l'Europe, et le mouvement gagnant du terrain, les non-conformistes de plus en plus nombreux éprouvèrent la nécessité de se réfugier à l'étranger. Ils trouvèrent souvent un asile temporaire dans divers pays d'Europe, mais nombreux furent ceux qui finirent par conclure que le Nouveau Monde leur offrait le meilleur espoir de survie à long terme et de réalisation de leurs objectifs religieux.
L'Amérique du Nord devint le refuge de nombreuses communautés religieuses, toutes fortement motivées. Pour certaines, la force même de leurs croyances religieuses limitait leur tolérance envers ceux qui ne partageaient pas leur théologie. Ces communautés exclurent de leurs rangs les dissidents qui se retrouvèrent laissés à eux-mêmes pour élaborer leurs croyances et leurs pratiques. En conséquence, animés par le désir constant de définir les pratiques religieuses personnelles, de nouveaux groupes se formèrent, issus du sol américain, alors que de nouveaux réfugiés débarquaient d'Europe sur les côtes de l'Amérique en quête des mêmes libertés.
Les chefs religieux des premiers jours furent souvent suivis par d'autres dirigeants aux vues moins étroites. Les communautés se développèrent, avec leurs trames d'interactions diverses, et les sectes religieuses apprirent à cxister. C'est ainsi qu'un modèle fondamental de tolérance religieuse apparut progressivement dans les colonies.
Les différences religieuses subsistaient, néanmoins, souvent dans le cadre des divisions régionales. La Virginie fut d'abord identifiée essentiellement avec la Nouvelle Église d'Angleterre, puis, plus tard, avec les baptistes et les méthodistes. Le Maryland fut fondé en tant que refuge pour les catholiques. La Pennsylvanie et le New York comptaient un grand nombre de luthériens, d'autres protestants allemands de groupes mineurs, et des membres de la Société des Amis, à savoir des quakers. La Nouvelle-Angleterre était le fief de divers groupes de puritains. Dans le nord, dans les territoires qui sont devenus le Maine, le Vermont et la Province de Québec, les catholiques français exerçaient une influence importante. Si divers que fussent ces groupes, toutefois, ils procédaient tous d'une histoire et d'une culture judéo-chrétiennes.
L'expansion territoriale des États-Unis au cours du XIXe siècle vint ajouter à la nation des terres et des populations françaises et espagnoles. Entre les guerres napoléoniennes et la Première Guerre mondiale, les vagues d'émigration successives apportèrent des Anglais, des Ecossais et des Irlandais, des Italiens et des Grecs, des Allemands et des Polonais, et des Suédois et des Russes. L'immigration modifia les proportions des groupes religieux, mais le patrimoine de l'Amérique restait essentiellement européen, et essentiellement judéo-chrétien.
La période de cent vingt-cinq ans qui suivit la naissance de la nation américaine fut marquée par de nombreuses luttes individuelles et nationales, tandis que le pays et ses citoyens faisaient face à de multiples problèmes sociaux. C'est durant cette époque que se définit le rôle crucial de la Cour suprême des États-Unis en matière d'interprétation et de définition de l'application de la Constitution. Les questions dont la Cour connaissait n'étaient pas pour l'essentiel de nature religieuse. Elles concernaient l'équilibre des trois pouvoirs du gouvernement national et les rapports entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux.
Les protections accordées en matière de religion par la Constitution des États-Unis et par la Déclaration des droits dépendaient, au niveau de leur application, des gouvernements et de la société. Il y eut des cas très évidents de ruptures. L'inaptitude des Américains d'origine européenne à comprendre et à reconnaître le rôle et l'importance spécifiques des pratiques religieuses des Américains autochtones, part intégrante de leur culture et étroitement liées à la nature, en est un exemple notoire. Un autre cas plus généralement admis est celle des Mormons, que l'intolérance religieuse manifestée par des attaques physiques et politiques a poussés hors des États du nord-est avant qu'ils ne trouvent refuge dans l'État-frontière de l'Utah.
À partir du milieu du XXe siècle, toutefois, les États-Unis constituent, dans l'ensemble, un exemple de société qui pratique une tolérance générale envers un vaste éventail de confessions principalement chrétiennes. (Le président Clinton évoque ce sentiment d'homogénéité religieuse dans la description de sa jeunesse qui figure dans son discours présenté au début de cette revue.)
Et pourtant, bien que la majorité des Américains se perçoivent comme tolérants sur les questions religieuses, on relève dans l'histoire de la nation des rappels troublants de préjugés religieux. L'Holocauste força un grand nombre d'Américains à réfléchir au traitement infligé aux juifs, même aux États-Unis. La candidature de John Kennedy, catholique, à la présidence en 1960, souleva d'autres questions sur l'ampleur de la tolérance religieuse dans le pays. À peu près à la même époque, les cas soumis à la Cour suprême aboutirent à réaffirmer que la liberté de conscience religieuse personnelle impliquait également la liberté d'être non religieux. L'application de ce principe entraîne des conséquences non seulement pour les individus, mais aussi pour la société des États-Unis dans son ensemble.
Les guerres des empires en Europe ont fait beaucoup pour façonner le paysage religieux du XIXe et du début du XXe siècle aux États-Unis. Les vagues d'émigration subséquentes n'eurent pas le même effet, jusqu'au milieu des années 60, où la réforme de l'émigration mis fin aux restrictions qui avaient longtemps donné la préférence aux Européens. Les nouveaux groupes d'émigrants venus d'Asie et d'Amérique latine apportèrent aux États-Unis leurs valeurs culturelles et religieuses, alimentant la forte croissance de l'Islam et exerçant une influence importante sur le catholicisme américain.
Les affiliations religieuses actuelles aux États-Unis
Après plus de deux cents ans d'existence en tant que nation, les États-Unis présentent du point de vue religieux un tableau complexe. Dans un autre article de cette revue, George Gallup examine les valeurs et les pratiques religieuses américaines et leurs implications. Le lecteur qui connaît peu l'Amérique religieuse trouvera ci-dessous quelques faits et chiffres à retenir :
Les catholiques romains sont le groupe
religieux le plus important avec environ 60 millions
d'adeptes.
Les fidèles des Églises
protestantes américaines sont au nombre de 94 millions,
répartis en quelque 220 confessions distinctes. L'Almanach
universel de 1997 regroupe ces Églises en 26 grandes
familles de 100.000 adhérents ou plus, mais note
également qu'il existe des milliers de groupes de croyants
indépendants qui s'identifient comme tels.
Il existe plus de 300.000
congrégations locales aux États-Unis.
Il y a plus de 530.000 membres du
clergé.
Les États-Unis comptent quelque
3,8 millions de personnes identifiées ou affiliées
à la religion juive (2 millions d'autres se
définissent comme étant principalement de culture
ou d'ethnicité juive).
Il y a, selon les estimations, de 3,5
à 3,8 millions de musulmans, l'islam étant la
religion qui connaît la croissance la plus rapide aux
États-Unis.
Chaque semaine, plus d'Américains
assistent à des cérémonies religieuses
qu'à des manifestations sportives.
En termes d'identification religieuse
personnelle, le groupe qui se développe le plus rapidement
aux États-Unis est celui des athées et des
agnostiques (qui sont actuellement 8 millions environ).
Cette communauté religieuse peut être considérée de manières variées et intéressantes. Les Églises protestantes sont souvent divisées en Églises « du courant principal » ou « évangéliques ». Les Églises évangéliques ont pour pratique de mener des campagnes organisées afin de s'attirer de nouveaux membres, tant aux États-Unis que dans les autres pays. Elles sont souvent moins hiérarchisées, plus « fondamentales » en termes d'interprétation littérale des Saintes Ecritures et plus favorables aux relations « personnelles » avec Dieu. Les Églises du courant principal sont plus traditionnelles, moins axées sur la cooptation de nouveaux membres ; elles sont organisées selon une hiérarchie plus définie de chefs religieux et représentent un pourcentage décroissant de l'ensemble des protestants. Cette distinction entre courant principal et courant évangélique apparaît au sein de l'Église catholique romaine elle-même.
On constate, autre distinction, d'importantes différences ethniques. C'est ainsi que le monde des méthodistes de couleur est représenté principalement par les Églises épiscopales méthodistes africaines, tandis que les méthodistes blancs appartiennent en majorité à l'Église méthodiste unie. Une différence analogue se manifeste entre les Afro-Américains (Convention nationale baptiste des USA ; Église américaine baptiste des USA ; Convention progressive nationale baptiste) et la Convention des baptistes du Sud principalement composée de blancs. Bien que n'étant pas issues de la même expérience historique, il existe des séparations marquées parmi les communautés d'émigrants chrétiens (le nombre d'Églises évangéliques indépendantes coréennes et latino-américaines dans la région de Washington est évident, si peu observateur que l'on soit).
Le judaïsme continue d'être une religion d'une importance majeure aux États-Unis et les personnes qui se réclament de la culture et de la religion judaïques apportent des contributions aussi variées que nombreuses dans tous les domaines de la vie américaine. Il y a aux États-Unis plus de juifs que dans n'importe quel autre pays y compris l'État d'Israël. Le judaïsme américain est divisé en trois tendances principales : les orthodoxes, les réformés et les conservateurs.
L'islam se présente aux États-Unis selon deux traditions distinctes. Les Afro-Américains, à la recherche d'une identité autre que celle « d'esclaves », ont excipé du fait qu'un grand nombre des premiers esclaves étaient vraisemblablement musulmans. Il existait une communauté de « musulmans noirs » à la fin du XIXe siècle, mais ils n'ont été reconnus qu'au milieu du XXe siècle. Il y avait des musulmans venus du Liban et de Syrie en Amérique au début du siècle, mais la réforme des lois d'émigration du milieu des années soixante a produit un afflux important de musulmans éduqués en provenance du Pakistan, du Bangladesh, d'Inde et du Proche-Orient. C'est ce groupe d'émigrés qui a largement défini la deuxième tradition islamique américaine. (Pour plus de détails, lire l'entretien sur l'islam aux États-Unis.)
Dans le discours reproduit au début de cette revue, le président Clinton parle du sentiment qu'éprouvent certains Américains selon lequel l'expression publique de la religion serait tombée en défaveur durant les années soixante-dix et quatre-vingt. Récemment toutefois, un grand nombre d'Américains religieux s'expriment plus ouvertement sur leur foi. Il existe actuellement tout un monde de musique religieuse de rock en expansion ; les librairies religieuses se multiplient et les stations de radio religieuses diffusent leurs émissions dans tous les marchés, grands et petits, des États-Unis.
En fait, les émissions de radio et de télévision sont devenues une composante majeure de la religion contemporaine aux États-Unis. Les programmes à contenu ouvertement religieux sont de plus en plus fréquents sur les grandes chaînes. Par ailleurs, l'explosion de la télévision par câble et en direct (un grand nombre d'Américains peuvent sélectionner des programmes diffusés par cent chaînes de télévision) permet aux confessions ou aux sectes même « mineures » et non traditionnelles d'établir leur présence sur les ondes.
Il y a quelques années, un grand magazine américain d'information, distribué à l'échelle nationale, a publié un numéro intitulé « Dieu est-il mort ? » La plupart des observateurs américains répondraient aujourd'hui sans hésitation et résolument par la négative.