LES ORIGINES DE LA LIBERTÉ DE RELIGION AUX
ÉTATS-UNIS
M. Haynes est chargé de recherches politiques au Centre d'étude du premier amendement à la Constitution, au sein du « Freedom Forum » de l'université Vanderbilt, située à Nashville, dans le Tennessee.
Depuis l'époque coloniale jusqu'à nos jours, les religions et les croyances religieuses ont joué un rôle significatif dans la vie politique des États-Unis. La religion a eu sa place au cur même de certains des meilleurs événements de l'histoire de ce pays comme de certains des pires. Les principes prévus par les constituants pour régir les relations entre la religion et la politique sont contenus dans l'article VI de la Constitution et dans les seize premiers mots du premier amendement. Les États-Unis ayant dépassé le pluralisme à prédominance protestante du XVIIe siècle pour devenir un pays où l'on compte à présent quelque trois mille groupes religieux, il est plus essentiel que jamais que chaque citoyen comprenne la place légitime de la religion dans la vie publique et reconnaisse que les garanties constitutionnelles de la liberté de religion, ou de la liberté de conscience, s'appliquent aux gens de toutes religions comme aux personnes sans religion.
Les idées philosophiques et les convictions religieuses de Roger Williams, William Penn, John Leland, Thomas Jefferson, James Madison et d'autres dirigeants ont été décisives dans la lutte en faveur de la liberté de conscience. Les États-Unis sont une nation fondée sur des idéaux et des convictions qui sont devenus les premiers principes démocratiques, lesquels principes doivent être compris et réaffirmés par chaque génération pour que l'expérience américaine de la liberté se pérennise.
« La religion de chacun, donc, doit être laissée aux convictions et à la conscience de chacun ; et il est du droit de chacun de pratiquer selon ses convictions et sa conscience. Ce droit est par nature un droit inaliénable. »-James Madison, 1785
« Les clauses du premier amendement à la Constitution sur la liberté de religion représentent une décision capitale. Elles constituent la décision politique la plus importante de l'histoire en matière de liberté de religion et de justice publique. Deux cents ans après leur entrée en vigueur, elles restent aussi hardies en ce sombre siècle marqué par les répressions étatiques et les conflits sectaires. Mais l'ignorance et les contestations dont elles font aujourd'hui l'objet nous rappellent toutefois qu'il incombe à chaque génération successive de plaider en leur faveur et de les défendre. »
-Charte de Williamsburg, 1988
Les garanties constitutionnelles de la liberté de religion
Les principes directeurs sur lesquels repose la définition de la liberté de religion sont énoncés dans l'Article VI de la Constitution des États-Unis et dans les premiers mots du premier amendement à la Constitution. Ces principes sont devenus des règles fondamentales qui permettent aux gens de toutes religions et à ceux qui ne se réclament d'aucune de vivre unis en tant que citoyens d'une seule nation.
L'article VI de la Constitution se termine sur ces mots : « Aucune profession de foi religieuse ne sera exigée comme condition d'aptitude à quelque fonction ou charge publique dépendant des États-Unis que ce soit. » Par cette affirmation résolue, les constituants ont rompu avec la tradition européenne et ont ouvert les postes de la fonction publique fédérale aux personnes de toutes religions ou sans religion.
Les clauses du premier amendement concernant la liberté de religion, selon lequel « le Congrès ne fera aucune loi relativement à l'établissement d'une religion ou en interdisant le libre exercice », garantissent à elles deux la sauvegarde de la liberté de religion en protégeant les religions et les convictions religieuses de l'ingérence ou du contrôle gouvernemental. Elles assurent que la croyance et l'absence de croyance en matière de religion restent volontaires et indépendantes de toute crcition gouvernementale.
Ces clauses s'appliquent de manière égale aux actions des autorités des États et des entités locales, la Cour suprême ayant jugé que la règle du quatorzième amendement selon laquelle les États ne peuvent priver aucune personne de liberté rend le premier amendement applicable à tous les États.
La signification de l'expression « aucune loi relativement à l'établissement »
Cette disposition signifie que ni un État fédéré ni le gouvernement fédéral ne peuvent établir une religion particulière ou imposer une religion en général. En outre, le gouvernement n'a pas le droit de promouvoir ou de soutenir une religion quelconque. Ceci ne signifie pas que le gouvernement puisse être hostile à une religion. Le gouvernement doit observer ce que la Cour suprême a appelé « une neutralité bienveillante », qui permet l'exercice des religions, mais interdit leur soutien de la part du gouvernement. Cette clause sert à empêcher à la fois l'influence de la religion sur le gouvernement et l'influence du pouvoir politique sur la religion.
La signification de « libre exercice »
Le droit au « libre exercice » d'une religion se rapporte à la liberté dont dispose chaque citoyen d'acquérir et de maintenir des convictions, de pratiquer sa foi, et de modifier ses convictions selon les exigences de sa conscience. La clause du libre exercice interdit au gouvernement de s'immiscer dans les croyances religieuses, et dans certaines limites, dans les pratiques religieuses.
La différence entre croyance et pratique religieuse
La Cour suprême a interprété « le libre exercice » comme signifiant que tout individu peut croire ce que bon lui semble, mais qu'il peut se présenter des cas où l'État a le droit d'intervenir et de limiter les pratiques qui découlent de ces croyances.
Traditionnellement, la Cour a exigé que le gouvernement démontre l'existence d'un intérêt impérieux de « l'ordre le plus élevé » avant d'imposer des règles ou des interdictions en matière de conduite religieuse. Même, en de telles occurrences, le gouvernement doit démontrer qu'il n'existe pas, pour satisfaire son intérêt, d'autre moyen qui serait moins restrictif en matière de pratique religieuse.
Une décision de la Cour suprême de 1990, dans l'affaire Division de l'emploi contre Smith, dispensait le gouvernement de démontrer l'existence d'un intérêt gouvernemental impérieux à moins que la loi envisagée ne vise spécifiquement une pratique religieuse ou ne porte atteinte à un autre droit constitutionnel, tel que la liberté d'expression. La Loi sur le rétablissement de la liberté de religion, promulguée par le président Clinton en 1993, rétablit l'exigence de l'intérêt impérieux et assure son application dans tous les cas où il est porté une atteinte grave à la pratique religieuse.
L'avènement de la liberté de religion aux États-Unis
La décision capitale des auteurs de la Constitution et de la Déclaration des droits d'interdire l'établissement de religions au niveau fédéral et de garantir le libre exercice des religions procède d'un certain nombre de facteurs liés à la conjoncture religieuse, politique et économique des anciennes colonies nord-américaines au XVIIIe siècle. Une considération sous-jacente de poids était, bien entendu, la difficulté pratique d'établir une religion donnée dans une nation naissante où étaient représentées une multiplicité de religions (pour la plupart des sectes protestantes), dont aucune n'était suffisamment puissante pour dominer toutes les autres.
Des changements critiques sont survenus durant la période comprise entre 1776 et l'adoption du premier amendement en 1791, dans les principes fondamentaux concernant la liberté de religion. En mai 1776, peu avant la signature de la Déclaration d'indépendance, les dirigeants de la Virginie ont adopté la Déclaration des droits de la Virginie, rédigée par George Mason. La première version de la Déclaration se prononce en faveur de « la plus grande tolérance pour l'exercice des religions selon les exigences de la conscience. » Cette formule est reprise des écrits de John Locke et du mouvement anglais en faveur de la tolérance.
Bien que ce fût là un grand pas en avant, il se trouva un délégué de vingt-cinq ans nommé James Madison (1751-1836) qui estimait que la notion de la tolérance n'allait assez loin. Madison, lui aussi profondément influencé par les idées du Siècle des lumières, sut faire prévaloir son point de vue et « la tolérance » fut remplacée par « le libre exercice » de la religion. À ce changement de langage apparemment minime correspondait un changement révolutionnaire au plan des idées. Pour Madison, la liberté de religion n'était pas une concession accordée par l'État à par l'Église établie, mais un droit inaliénable ou naturel de tout citoyen.
En 1791, le libre exercice de la religion proclamé dans la Déclaration de la Virginie fut inclus dans le premier amendement, garantissant ainsi la liberté de conscience à tous les Américains.
De l'établissement à la séparation
La bataille décisive de la séparation de l'Église et de l'État fut livrée dans la grande et puissante colonie de Virginie où l'Église anglicane était la religion établie. Une fois encore, James Madison joua un rôle de premier plan dans la lutte qui persuada les législateurs virginiens d'adopter en 1786 la « Loi pour l'établissement des libertés religieuses » proposée par Thomas Jefferson.
Selon Madison et Jefferson, l'État ne saurait accorder son appui à une religion spécifique ou à toutes les religions, car cela obligerait les citoyens à soutenir par leurs impôts une religion à laquelle ils n'appartiennent pas, ce qui violerait leur droit naturel à la liberté de religion. « Dieu Tout Puissant a créé des esprits libres », déclare Jefferson dans son projet de loi, et par conséquent, « obliger un homme à contribuer de l'argent à la propagation d'opinions auxquelles il ne croit pas ou qu'il abhorre est coupable et tyrannique ».
Le « Grand réveil » et la lutte pour la séparation
Dans leur lutte pour la séparation de l'Église et de l'État, Madison et Jefferson ont bénéficié d'un appui considérable de la part des baptistes, des presbytériens, des quakers et des autres groupes religieux « dissidents » des anglicans en Virginie. Le renouveau religieux du XVIIIe siècle, souvent dénommé le Grand réveil (1728-1790), a produit de nouvelles formes d'expression religieuse et de foi qui ont influencé l'établissement de la liberté de religion dans toutes les colonies. Le message selon lequel le salut passe par le Christ et par lui seul a évoqué des résonances profondément personnelles et émotives chez des milliers d'Américains.
La ferveur évangélique du Grand réveil a touché toutes les confessions, s'opposant à l'octroi d'un appui des privilèges de l'Église établie. La religion a été perçue par un grand nombre de personnes comme une question relevant de la liberté de choix et les églises comme des institutions autonomes, l'alliance de l'Église et de l'État étant dès lors considérée comme nuisible à la cause religieuse.
Ce climat de dissension et l'influence de chefs religieux tels que John Leland, un baptiste, ont fourni en Virginie le soutien essentiel dont Madison avait besoin pour gagner la bataille de la liberté de religion.
La victoire de la séparation de l'Église et de l'État en Virginie occupe une place fondamentale dans l'histoire de la liberté de religion en Amérique. Au moment de la ratification du premier amendement en 1791, les privilèges de toutes les autres Églises anglicanes (sauf au Maryland) avaient été abolis. Les Églises congrégationalistes de Nouvelle-Angleterre se sont maintenues plus longtemps : ce n'est qu'en 1818 au Connecticut et en 1833 au Massachusetts que des amendements constitutionnels sont venus réaliser la séparation de l'Église et de l'État.