LA RELIGION AUX ÉTATS-UNIS : LA
VITALITÉ DES ÉGLISES SERA-T-ELLE LA SURPRISE DU
SIÈCLE PROCHAIN ?
Dans cet article tiré de la revue The Public Perspective, M. George Gallup, l'un des grands spécialistes des sondages d'opinion, analyse et interprète les statistiques relatives à la religion aux États-Unis en fonction de leurs implications immédiates et futures.
On ne saurait bien comprendre le fonctionnement de la société américaine sans reconnaître la puissante dynamique religieuse qui agit sur les attitudes et le comportement des populations. Paradoxalement toutefois, bien que cette dynamique se manifeste avec une évidente clarté, les commentateurs sociaux en réduisent souvent l'importance dans leurs observations.
Une étude récente menée pour William Moss
par l'Institut international George Gallup démontre que
les préoccupations des Américains sur la
société, la démocratie et l'avenir sont
profondément ancrées dans leurs croyances au sujet
de Dieu.1 Bien que la
plupart des personnes interrogées se déclarent
fermement convaincues que l'on peut être bon et moral sans
croire en Dieu, une forte majorité (61%) a répondu
que la démocratie ne pouvait survivre sans une croyance
généralisée en Dieu ou en un Etre
suprême. Une autre preuve du pouvoir de la dynamique
religieuse dans la société américaine est le
fait que l'importance accordée par la population à
la religion, et à l'intensité de la foi, est
souvent liée davantage aux attitudes et au comportement
qu'à des caractéristiques de base telles que
l'âge, le niveau d'éducation et les affinités
politiques.
Diversité et vitalité des religions
Les dispositions du premier amendement à la
Constitution des États-Unis concernant la liberté
de religion, que d'aucuns décrivent comme la
déclaration politique la plus importante de toute
l'histoire de l'humanité sur la liberté de religion
et sur la justice publique, tiennent dans cette petite
phrase : « Le Congrès ne fera pas de loi
concernant l'établissement de religions, ou en interdisant
le libre exercice ». Un coup d'il sur le paysage
des États-Unis suffit à révéler
l'importance de cette clause et la place prédominante
accordée à la religion dans notre pays, ainsi que
la diversité de ses manifestations. Près de cinq
cent mille églises, temples et mosquées, de toutes
formes et toutes dimensions ponctuent les villes et les
campagnes. Il n'y a pas moins de deux mille confessions, sans
parler des multiples églises et groupements communautaires
indépendants d'appartenance religieuse. C'est par les
lieux du culte que l'on atteint le public américain :
on y trouve en effet assemblés à tout mois de
l'année quelque 60% de la population.
Il est clair que les États-Unis sont « terre
d'Église » ; en fait, les cinquante
dernières années ont été le
demi-siècle le plus « religieux » de
l'histoire du pays, si l'on en juge par un recensement et par
d'autres données dont Roger Finke et Rodney Stark font
état dans The Churching of America.2 Les niveaux
attestés de croyance religieuse, révèlent
les enquêtes, sont extraordinairement élevés.
Pratiquement tous les Américains disent croire en Dieu ou
en un esprit universel. La plupart croient en un Dieu personnel
qui les regarde et les juge. La plupart croient que Dieu
accomplit des miracles de nos jours et nombreux sont ceux qui
déclarent avoir ressenti la présence divine
à divers moments de leur vie et qui pensent que Dieu a
prévu l'ordonnancement de leur existence. Une grande
majorité des gens croient qu'ils seront appelés
à comparaître devant Dieu au Jour du Jugement
Dernier pour répondre de leurs péchés. Les
Américains attestent d'une croyance en la divinité
de Jésus-Christ, avec certaines variations sur le sens de
sa « divinité ». La plupart croient en
un Christ vivant et intime, et à son second
avènement. Nous croyons au Paradis et, dans une mesure
moindre, à l'Enfer. La moitié des Américains
croient au Diable. Également, la vaste majorité des
Américains croient que la Bible est soit
littéralement la parole de Dieu, soit le produit de
l'inspiration divine. Nous croyons que les Dix Commandements sont
des règles de vie valables.
Dans le domaine de l'expérience religieuse,
l'enquête fait ressortir des résultats saisissants.
Chose remarquable et constante, un tiers des Américains
déclarent avoir eu une expérience spirituelle
profonde, soit soudaine soit graduelle, qui a transformé
leur vie. Ces événements sont souvent le point
focal du développement de la foi.
S'agissant des expériences relevant de la religion
traditionnelle, plus d'un Américain adulte sur trois (36%)
disent que Dieu s'adresse directement à eux. Environ
quatre personnes sur dix croient qu'à l'époque
biblique, Dieu lui-même parlait d'une voix audible aux
populations. Et presque autant pensent que Dieu s'exprimait par
le truchement d'autres personnes. Environ la moitié des
personnes interrogées pensent que Dieu parle aujourd'hui
par la Bible et les Saintes Écritures. Quarante-huit pour
cent des gens pensent que Dieu s'adresse à nous par un
sentiment ou des impressions intérieurs. Près d'un
quart des gens disent que Dieu s'exprime par
l'intermédiaire d'une autre personne et 11% que Dieu parle
encore de manière audible.3
La prière a un sens pour un grand nombre
d'Américains. Pratiquement tout le monde prie d'une
manière ou d'une autre, et nous croyons que les
prières sont exaucées. Autre constante :
quatre Américains sur dix vont à l'église ou
à la synagogue une fois par semaine. Sept
Américains sur dix se déclarent membres d'une
Église. Une vaste majorité entend donner une
éducation religieuse à leurs enfants. Des millions
d'Américains assistent à des
événements sportifs chaque année, mais ils
sont bien plus nombreux encore à aller à
l'église ou à la synagogue. Le sport professionnel
rapporte des millions de dollars, mais les chrétiens et
les juifs donnent des milliards à leurs églises et
synagogues, et ceci de leur plein gré.
Parmi les institutions qui inspirent le respect dans la
société, les églises ou les religions
organisées se classent aux premiers rangs et s'y
maintiennent depuis le début de cette étude,
entreprise il y a vingt ans. Les membres du clergé
jouissent d'une assez haute estime. De manière
générale, ils se voient décerner de bonnes
notes par le public pour la manière dont ils
répondent aux besoins de leurs paroissiens et aux
problèmes de leurs communautés.
Moins d'une personne sur dix indique ne pas avoir de
préférence religieuse. Seuls trois
Américains sur cent déclarent que leur vie n'a
absolument pas été touchée par
Jésus-Christ, soit au sens surnaturel soit dans le sens
où Jésus aurait eu une influence éthique ou
morale sur leur vie. Les trois quarts des Américains
disent que la religion est actuellement très importante
pour eux ou l'a été à un moment de leur vie.
Cinquante-six pour cent appartiennent à des
Églises, ce chiffre représentant les personnes qui
sont membres d'une congrégation ou qui ont assisté
à des services religieux au cours des six derniers mois,
en dehors des fêtes religieuses. Les pratiquants et les
non-pratiquants sont en constant état de flux :
beaucoup de pratiquants sont sur le point de quitter
l'Église et beaucoup de non-pratiquants sont prêts
à s'y joindre. La moitié des non-pratiquants
actuels disent qu'il y a de fortes chances qu'ils rejoignent la
communauté religieuse des fidèles assidus.
Que les États-Unis soient l'un des pays les plus
religieux du monde industrialisé, sur le plan du niveau de
croyances reconnues et de pratiques religieuses, n'a en soi rien
de surprenant. Il est intéressant de noter toutefois que
l'examen des autres pays fait généralement
apparaître une corrélation inverse entre
l'attachement à la religion et le degré
d'éducation. Plus la population est éduquée,
moins elle croit et moins elle pratique. Les États-Unis
sont uniques en ce que l'on y constate simultanément un
haut degré de croyance religieuse et un haut degré
d'éducation formelle.
Influence de la religion
Le sentiment religieux entre pour une large part dans les
activités bénévoles dans notre pays. Un
Américain sur deux, proportion remarquable, fait don de
deux à trois heures de travaux volontaires à une
cause quelconque. Ce bénévolat est
fréquemment lié aux Églises. Il n'existe
sans doute pas d'autres institutions dans notre
société qui ait exercé une plus grande
influence pour le bien que l'Église. C'est à partir
de l'Église que se sont développés au cours
de notre histoire les hôpitaux, les maisons de retraite,
les universités, les écoles publiques, les
programmes de soins d'enfants, les notions de la dignité
humaine et, par-dessus tout, le concept de la démocratie.
Sous une forme ou une autre, chaque religion enseigne un
évangile de service et de charité. Une étude
menée par l'Institut Gallup révèle que les
institutions religieuses américaines joignent les actes
à la parole. Les Églises et autres organismes
religieux sont les principaux soutiens des services
bénévoles présents dans les quartiers et les
communautés. Un sondage Gallup a
révélé que les fidèles des
églises et des synagogues participent
généralement beaucoup plus aux activités de
bienfaisance, en particulier par l'intermédiaire des
groupes organisés, que les personnes non affiliées
à une institution religieuse organisée. Près
de la moitié des pratiquants, contre un tiers des
non-pratiquants, font chaque année des travaux non
rémunérés. Neuf fidèles sur dix (92%)
donnent de l'argent à des organismes caritatifs, contre
sept sur dix (71%) seulement chez les non-affiliés. Huit
fidèles sur dix (78%) font des dons en nature,
vêtements et autres biens, à des organisations
caritatives, contre six sur dix (66%) chez les
non-affiliés.4
La religion semblerait également avoir un impact
précoce chez les jeunes sur le bénévolat et
les dons charitables, d'après les conclusions d'une autre
enquête menée par Gallup pour le secteur
indépendant. Sur les 76% des adolescents qui ont
déclaré appartenir à une institution
religieuse, 62% ont dit aussi pratiquer le
bénévolat, et 56% ont fait des contributions
charitables.5 Par
contraste, les jeunes sans appartenance religieuse ont
été bien moins nombreux à se volontariser
(44%) et à faire des contributions monétaires
(25%).
Pas moins de 74% des adultes aux États-Unis disent que
la religion pratiquée dans la famille a renforcé
leurs relations familiales soit très fortement soit dans
une certaine mesure. En outre, 82% notent que la religion
était très importante ou relativement importante
dans leur famille quand ils étaient enfants. Les gens chez
qui la religion était importante pendant leur enfance sont
bien plus aptes que ceux chez qui elle ne l'était pas
à noter que la religion resserre
« fortement » les relations familiales dans
leur foyer aujourd'hui.6 Il est intéressant de noter que
« les valeurs morales et spirituelles basées sur
la Bible » dépassent de loin « les
conseils familiaux », « les cours de
formation familiale » et « les lois et
règlements officiels » en tant que facteur
principal du renforcement de la cellule familiale, et qu'elles ne
sont dépassées que par « les liens
familiaux, la loyauté et les traditions ».
Huit Américains sur dix disent que leurs croyances
religieuses les aident à respecter et à aider leur
prochain, et plus de huit sur dix que cela les amène
à respecter les adeptes d'autres religions que la leur.
Presque autant affirment que leurs croyances et leurs valeurs
religieuses les aident à se respecter eux-mêmes.
Dans une autre étude, nous avons déterminé
que plus les gens se sentent proches de Dieu, plus ils se sentent
heureux et jugent satisfaisants leurs rapports avec autrui.7 Selon cette même
étude, 63% considèrent que leurs croyances les
aident à choisir un comportement moral. Seuls 4% disent
que leurs croyances n'ont guère d'incidence sur leur vie.
Un autre sondage a révélé que les
Américains pour qui la religion est la force la plus
importante dans leur vie et ceux auxquels leurs croyances
apportent un grand réconfort sont beaucoup plus aptes que
leurs autres compatriotes à se sentir proches de leur
famille, à trouver leur travail satisfaisant et à
envisager l'avenir avec optimisme.
Tendances des soixante dernières années
Les principaux changements qui ont marqué la vie
religieuse du pays au cours des six dernières
décennies, période analysée par les sondages
démographiques modernes, sont une montée de
l'intérêt pour les religions après la
Deuxième Guerre mondiale caractérisée par un
accroissement de l'appartenance aux Églises et de la
fréquentation, par une augmentation de la lecture de la
Bible et des dons aux Églises, et par une
accélération de la construction d'édifices
consacrés au culte. Les chefs religieux tels que Billy
Graham, Norman Vincent Peale et Fulton Sheen ont eu des foules
impressionnantes de disciples au cours de cette période.
La croissance s'est maintenue jusqu'à la fin des
années cinquante ou au début des années
soixante, après quoi l'on a assisté à un
fléchissement de l'intérêt pour les religions
et de la pratique du culte. Aujourd'hui, si le déclin ne
s'est pas encore inversé, il semble toutefois
d'après certains indicateurs que l'on arrive au
« creux de la vague ».
D'après le dernier « Index du Centre de
recherches sur les religions » de l'université
Princeton, les religions organisées connaissent un regain
aux États-Unis. Les croyances et les pratiques religieuses
des Américains des temps modernes ont atteint leur
apogée au cours des années cinquante, avant les
remous sociaux des années soixante et soixante-dix qui ont
laissé leurs marques sur la majorité des
institutions, y compris des institutions religieuses.
En dépit de ces fluctuations et de ces alternances,
l'un des aspects les plus remarquables de la foi aux
États-Unis est sa durabilité. Face à tous
les grands changements sociaux survenus au cours du dernier
demi-siècle, crise économique, guerre, mouvement
des droits civils, instabilité sociale et changements
technologiques, les croyances et les pratiques religieuses des
Américains présentent aujourd'hui beaucoup de
similitudes avec celles des années trente ou quarante. Le
pourcentage de la population qui appartient aujourd'hui à
une Église en tant que membres actifs de la
congrégation est très proche du chiffre
enregistré dans les années trente. (Il convient de
noter, certes, que pour certaines confessions, ces chiffres ne
vont pas dans la même direction). Ceci s'applique à
la participation au culte ainsi qu'à l'adhésion aux
croyances religieuses fondamentales. En dépit de cette
constance de l'orthodoxie, les Américains restent
fortement indépendants dans leur vie religieuse et
indépendants de leurs institutions religieuses.
La liberté d'appartenance et de pratique religieuse que
chérissent la majorité des Américains a
permis à la religion de s'épanouir sous des formes
diverses et de modeler profondément le caractère
national. La liberté de religion a contribué
à la vitalité et à la vigueur du
tempérament américain, à son
exubérance, au sentiment que rien n'est impossible et
souvent, au courage d'effectuer des changements difficiles, mais
nécessaires dans la société.
Pratique superficielle ou foi agissante ?
Les résultats à porter à l'actif de la
religion organisée sont impressionnants. Mais pour
évaluer l'impact de la religion en Amérique, il
faut examiner les phénomènes à deux
niveaux : la religion superficielle (telle que
l'appartenance à un groupe religieux pour des raisons
sociales) et la religion au niveau de la foi agissante qui
transforme en profondeur (peut-être mesurable de
manière optimale par la pratique de la foi au service
d'autrui).
Il est indéniable que la religion organisée
reste forte dans notre pays ; il est tout aussi
indéniable que la religion a laissé dans le
modelé de l'Amérique une marque positive visible.
Pourtant, quand nous nous attachons à sonder et à
mesurer la profondeur de nos convictions religieuses, nous sommes
moins impressionnés par la valeur de notre foi, tout au
moins lorsqu'elle est mesurée à l'aune de la
religion traditionnelle. Nous croyons en Dieu, mais ce Dieu est
souvent une divinité qui affirme sans exiger : il ne
nous demande pas une allégeance totale. Nous prions
souvent de manière peu soutenue, en privilégiant
les demandes ou les requêtes, et non pas pour rendre
grâce, en adoration, pour solliciter une intercession ou un
pardon. Nous révérons la Bible, mais un grand
nombre d'entre nous la lisent rarement. La preuve en est
l'état déplorable des connaissances bibliques chez
les Américains, véritables
« illettrés bibliques ».
L'ignorance religieuse s'étend à un manque de
perception et de compréhension de ses propres traditions
religieuses et des doctrines centrales à sa propre foi.
Elle fait qu'un grand nombre d'Américains
déracinés de leur foi deviennent de l'opinion de
certains des proies faciles pour les mouvements de nature
extrême et bizarre. Nous choisissons soigneusement les
croyances et les pratiques les plus confortables et les moins
exigeantes. C'est ce que le sociologue canadien Reginald Bibby
appelle « la religion à la carte ».
Nous voulons recueillir les fruits de notre foi, mais nous
sommes moins disposés à en assumer les obligations.
Sur dix-neuf valeurs sociales à classer par ordre
d'importance, « suivre la volonté de
Dieu » figure très bas sur la liste parmi les
choix du public, après le bonheur et la satisfaction, le
sentiment d'accomplissement et cinq autres valeurs. Sur huit
traits importants, les adolescents classent « la foi
religieuse » comme le moins important, après la
patience, le travail et cinq autres traits.8
La simple appartenance à une Église ne semble
pas modifier profondément notre comportement. C'est au
niveau de l'attachement profond à la religion que nous
trouvons des différences extraordinaires,
différences dans la perspective, les activités
charitables, le bonheur, et sur d'autres points. La fraction de
la population qui est profondément religieuse, les
« saints cachés » en quelque sorte,
représente un faible pourcentage de la population totale,
mais son influence est inversement proportionnelle à son
nombre. Dans mon livre « Les Saints parmi
nous » (écrit en collaboration avec Tim Jones),
nous signalons que, d'après une échelle comportant
douze éléments, seuls 13% des Américains
peuvent être considérés comme ayant une foi
profondément intégrée et comme vivant leur
foi.9
Tout effort d'enquête de ce genre ne peut qu'être
imparfait, étant donné la complexité et la
subtilité des sentiments religieux. La nôtre a
cependant aidé à identifier les personnes qui
vivent vraiment selon les sentiments religieux qu'ils professent.
Elles ne seront peut-être pas canonisées ou
officiellement reconnues, mais elles trouvent une signification
profonde à la prière. Elles tirent une force
personnelle de leurs convictions religieuses. Et elles font
preuve de sentiments qui débordent le domaine simplement
religieux. Elles passent souvent un temps considérable
à aider les affligés pour répondre à
leurs besoins physiques et émotionnels. Elles sont moins
aptes à être intolérantes envers les autres
religions et se révèlent plus
généreuses, plus disposées à
pardonner. Elles semblent avoir vaincu la forte tendance au
narcissisme et au privatisme de notre société.
Trois « lacunes »
On peut essayer, pour rendre compte de la condition religieuse
des Américains aujourd'hui, de l'examiner par ses lacunes.
La première est une lacune éthique, un
décalage entre la façon dont nous nous percevons et
notre être réel. Si populaire que soit la religion
dans notre pays, les résultats des enquêtes
suggèrent que cela ne change pas la manière dont
les gens mènent leur vie comme il serait logique de s'y
attendre, vu le niveau de foi professé. Peut-être
est-ce là une lacune inévitable. Il existe
également une lacune au plan des connaissances, un
écart entre la foi professée par les
Américains et leur manque de connaissances fondamentales
sur leur foi. Enfin, il existe une lacune, grandissante, entre
les croyants et les adeptes, une dissociation de la croyance et
de la pratique en quelque sorte. Des millions de chrétiens
sont croyants, beaucoup d'entre eux dévotement, mais ils
ne participent pas à la vie de la congrégation de
leur confession. Les Américains perçoivent de plus
en plus leur foi comme une question qui ne regarde que Dieu et
eux-mêmes, et qui peut être soutenue par les
institutions religieuses, mais sans être
nécessairement influencée par elles.
Le scission de la foi et de l'Église découle en
grande partie de ce que l'on a appelé le privatisme, ou
« individualisme radical » et de l'ensemble
de croyances affirmées qui y sont attachées. La
grande majorité des Américains croient que l'on
peut être bon chrétien ou bon juif sans aller
pratiquer sur les lieux du culte. Ils croient également
qu'il appartient à l'individu de formuler ses croyances
religieuses indépendamment de toute église ou de
toute synagogue. Enfin, la majorité des gens
considèrent qu'on peut fréquenter n'importe quelle
Église de son choix, car toutes les Églises se
valent.
Rôle des sondages
L'avènement des sondages scientifiques au milieu des
années trente a apporté aux observateurs de la
scène religieuse une confiance accrue en leur aptitude
à tirer des conclusions sur la dynamique de la religion
dans la société. Ces sondages ont ajouté une
nouvelle dimension à l'histoire des croyances et des
mentalités du citoyen moyen. Toutefois, il n'existe pas de
tâche plus difficile pour l'enquêteur que de tenter
de mesurer le sentiment religieux. Il y a tant
d'éléments à considérer en
matière de religion qui défient la description
statistique : les questions peuvent être des
instruments grossiers alors que les croyances religieuses sont
variées et subtiles et se prêtent difficilement au
classement par catégories. L'effort d'évaluation de
la spiritualité par les sondages est encore
compliqué par les difficultés qu'il y a à
examiner les résultats en tenant compte des confessions,
des cultes et des courants religieux, tels que le
fondamentalisme, l'évangélisme et le mouvement
charismatique. Les termes évoluent, les distinctions
s'estompent et les notions se recoupent.
Néanmoins, les sondages servent de vérification
importantes de la réalité, en s'adressant
directement aux personnes, et en amenant par conséquent
l'élite de la nation en contact avec les grands courants
populaires du pays. Les sondages sont importants car ils
permettent d'obtenir des renseignements qui ne sont pas autrement
disponibles, par exemple, sur la fréquentation des
églises et sur le nombre de pratiquants. Les
données des recensements effectués par les
Églises elles-mêmes sont souvent incomplètes
et peu fiables, en raison des différences de
classifications des adeptes et des méthodes d'obtention
des renseignements. L'organisation Gallup a consacré un
temps et des sommes d'argent considérables pour s'efforcer
de réduire au minimum la tendance des personnes
interrogées à donner des réponses
socialement acceptables.
L'importance de la religion est, je crois, appelée
à grandir au cours de la prochaine décennie,
étant donné que la religion est de plus en plus
façonnée par les masses qui occupent les bancs des
églises plutôt que par le haut clergé. Bien
que l'analyse scientifique de la religion par les sondages
commence à rattraper les recherches dans les autres
domaines de notre société, il est, j'estime, un
besoin urgent d'exploration plus approfondie de la vie
religieuse. Nous possédons de vastes connaissances sur
l'étendue de la religion aux États-Unis, mais nos
connaissances du sujet en profondeur restent insuffisantes. L'une
des nouvelles frontières des sondages scientifiques est
certainement la « vie intérieure ».
L'avenir
La religion organisée joue un rôle important,
pivot dans la société américaine. Ce qui est
beaucoup moins clair, et beaucoup plus difficile à
prévoir, c'est la direction qu'elle prendra au plan de la
profondeur de la foi. Or c'est au niveau des convictions
profondes qu'il faut rechercher les changements qui transforment
les vies et qui influent sur la société. Les
groupements religieux de la nation vont-ils lancer des
défis aux populations autant que les
réconforter ? Seront-ils capables de relever le
niveau d'instruction religieuse ? Ce sont là des
questions que les membres du clergé et les
éducateurs religieux de toutes confessions doivent
examiner. Le danger pour l'église traditionnelle est
qu'une foi non informée, qui ne fait que
réconforter, risque de déboucher sur une forme de
spiritualité libre et flottante, qui peut s'orienter dans
n'importe quelle direction.
On assiste à une évolution fascinante dans notre
pays, que le professeur de sociologie de Princeton Robert Wuthnow
appelle une « révolution tranquille »,
et qui mérite un examen attentif : la
prolifération de groupuscules de toute sorte qui se
réunissent périodiquement pour s'ouvrir à
autrui et partager. Une étude menée en 1991 par
l'Institut International George Gallup pour la Fondation Lilly a
révélé que 40% des Américains font
partie de tels groupes, que 7% de plus s'y intéressent et
que 15% y ont appartenu dans le passé. Soixante pour cent
de ces groupes dépendent d'une église ou d'une
autre communauté religieuse.10
M. Wuthnow, le directeur de cette importante étude,
note dans son ouvrage Sharing the Journey (Partager le
voyage) qu'un certain nombre de ces groupes tendent à
cultiver une spiritualité débridée, du genre
« fais ce que voudras ». Il existe en
revanche d'autres groupes, souvent liés à des
communautés religieuses, qui admonestent les
fidèles autant qu'ils les réconfortent, qui les
guident sur le chemin de leur foi et qui les encouragent à
être francs et honnêtes les uns envers les autres.
Les petits groupes peuvent apporter un soutien aux personnes qui
trouvent le cadre de l'Église trop impersonnel, et servir
aussi de point d'entrée dans la communauté en
général.
L'essor de ces groupes, qui concernent près de la
moitié de la population, et la recherche intense de points
d'attache spirituels laissent à penser qu'un vaste
processus de guérison est peut être en cours dans
notre société. Étant donné que la
plupart des Américains croient en un dieu personnel et
approchable (94% croient en un dieu ou en un esprit universel, et
84% en un dieu personnel accessible par la prière), ils
sont prédisposés à rechercher un soutien
dans cette direction.
Lorsqu'ils fonctionnent à un niveau spirituel profond,
ces groupuscules peuvent être des facteurs de changement
qui feront passer la vie des églises d'un stade purement
fonctionnel à un stade transformationnel. Ils peuvent
aider à répondre à deux grands désirs
chers au cur des Américains, en particulier à
notre époque : celui de trouver un sens plus profond
à leur monde et celui de bâtir des relations plus
profondes et de faire confiance à autrui dans une
société impersonnelle et fragmentée. Si ces
désirs sont satisfaits, la viabilité de nos
églises pourrait bien être la grande surprise du
siècle prochain.
Notes
1) Sondage effectué pour William Moss par
le George Gallup Institute, septembre 1994. Retour au texte
2) Roger Finke and Rodney Stark, The
Churching of America (New Brunswick, NJ : Rutgers
University Press, 1992 ; broché 1993). Retour au texte
3) Sondage de la Gallup Organization,
1986. Retour au texte
4) Sondage de la Gallup Organization,
octobre 1989. Retour au texte
5) Sondage Gallup des jeunes, octobre
1990. Retour au texte
6) Sondage de la Gallup Organization,
octobre 1986. Retour au texte
7) Sondage de la Gallup Organization,
1988. Retour au texte
8) Sondage Gallup des jeunes, mars 1987.
Retour au texte
9) George Gallup, Jr. (avec Tim Jones), The
Saints Among Us (Richfield, CT : Morehouse
Publishing, 1992). Retour au texte
10) Robert Wuthrow, Sharing the
Journey : Support Groups and America's New Quest for
Community (New York : Free Press, 1994). Retour au texte
--------
L'USIS a obtenu tous droits de reproduction et de traduction
de l'article ci-dessus par ses services de diffusion, y compris
le service d'Internet de l'Agence d'information des
États-Unis, ainsi que par la presse située hors des
États-Unis.
--------
Reproduction autorisée par The Public Perspective.
Copyright © 1995 The Roper Center for Public Opinion
Research. Tous droits réservés.