![]()
Les propos rapportés dans les pages qui suivent ont été tenus par deux sociologues aux convictions politiques contrastées. Leur réflexion avait pour thème la responsabilité sociale, dont ils ont retracé l'évolution avant de la définir dans son contexte actuel. La discussion qu'ils ont engagée reflète le vigoureux débat qui anime de nos jours la société américaine. Deux rédacteurs de l'USIA, Michael Bandler et William Peters, en étaient les modérateurs.
T. Skocpol - Je m'appelle Theda Skocpol. Je suis professeur d'études administratives et de sociologie à l'université Harvard.
D. Kuo - Je m'appelle David Kuo, et je suis directeur exécutif de l'organisme The American Compass, qui s'est donné pour mission de mobiliser le secteur privé en faveur des personnes dans le besoin. Il a tendance à regrouper des conservateurs qui se sont lassés de la rengaine sur la nécessité de réformer l'État providence.
M. Bandler - J'aimerais que nous commencions par explorer la source profonde de la responsabilité sociale aux États-Unis, par remonter aux origines de la compassion américaine, en quelque sorte.
T. Skocpol - L'étude de la politique sociale des États-Unis, du XIXe siècle à nos jours, révèle la multiplicité des racines de la compassion. D'aucuns suggéreront, par exemple, que l'on tienne compte de l'action des Américains en faveur des plus démunis depuis l'époque coloniale. La solidarité à l'échelon local s'inscrit dans le droit fil d'une longue tradition, parfois directement - c'est le cas d'une famille qui en aide une autre - et, par la suite, par le biais de l'établissement d'hospices des pauvres. Le « New Deal », dans les années 1930, a un peu modifié la donne, mais à mon avis pas autant que le croient certains.
Mais je tiens d'emblée à élargir les paramètres de la compassion des Américains. On constate, dès le départ, la conviction des individus selon laquelle chacun a le devoir moral de contribuer à la collectivité et au pays, et que le pays et la collectivité peuvent en retour faire bénéficier l'individu et sa famille d'une aide appropriée pour les aider à assumer leurs responsabilités de citoyens. À mon avis, nous devrions nous garder de circonscrire la discussion à l'assistance publique. Nous devons parler de tout ce que les Américains attendent les uns des autres et de ce qu'ils sont prêts à faire pour se soutenir mutuellement.
D. Kuo - Je ne trouve pas grand-chose à redire à cela. S'il y a un aspect du débat actuel sur l'aide sociale qui m'agace, en particulier quand les conservateurs prennent la parole, c'est bien le manque de connaissances sur la nature du secteur privé, cette croyance - erronée, selon moi - que l'État aurait complètement usurpé le rôle du secteur privé. Je voudrais donc vous poser une question que je me pose moi-même souvent. Jusqu'à quel point l'État a-t-il usurpé le rôle du secteur privé, et jusqu'à quel point le secteur privé a-t-il abdiqué son autorité jusqu'à en arriver à ne pas pouvoir colmater une brèche sans précédent dans la vie américaine ?
T. Skocpol - Vous conviendrez avec moi, j'en suis sûr, que le secteur privé regroupe aussi bien les associations caritatives privées - souvent des mouvements religieux - que les entreprises. Elles forment les unes et les autres ce que nous appelons souvent le secteur privé.
D. Kuo - Je suis entièrement d'accord.
T. Skocpol - Il s'est produit une crise, et je ne parle pas seulement de la crise économique des années 1930. Aux États-Unis, à chaque fois que l'économie plonge dans une phase descendante, les associations de bienfaisance et les entreprises supplient l'État de faire un effort supplémentaire, à l'échelon tant local que national, parce qu'elles se trouvent dépassées par les besoins à satisfaire. Pour ma part, je maintiens cependant que l'État fédéral, même à l'époque du New Deal où il a vu son rôle se développer considérablement - de l'adoption de la loi sur la « sécurité sociale » à la mise en place de divers programmes d'entraide sociale - n'a jamais complètement éclipsé le secteur privé. À de nombreux égards, nous sommes témoins d'un partenariat avec les diverses associations caritatives, tels l'Armée du Salut ou les associations catholiques, ou divers autres mouvements religieux.
D. Kuo - Un certain nombre d'organismes fondés vers la fin des années 1800 et au début des années 1900 avaient en commun plusieurs principes fondamentaux régissant leur mode de fonctionnement. La volonté de ne pas céder à la facilité vient tout de suite à l'esprit : il fut décidé que des obligations morales pèseraient sur celui qui reçoit comme sur celui qui donne. Un deuxième principe concerne la décision de mener une action à travers le contact de personne à personne. Pas question, donc, de se tenir à distance respectueuse des gens dans la détresse. C'était l'incarnation même de la compassion, ce qui est bien l'idée de « souffrir avec ». Ces organismes souhaitaient en outre refléter une réalité spirituelle, être ancrés dans la foi. Ils avaient beau venir d'horizons divers, ils n'ont jamais vraiment perdu de vue la primauté d'une composante spirituelle.
Je ne saurais dire précisément quand cela s'est produit, mais au fil du temps on a vu ces principes se disloquer - en particulier tels qu'ils étaient incarnés par des organismes fondés à une dizaine d'années d'intervalle les uns des autres. Je pense à la Croix-Rouge, à l'Armée du Salut, à la YMCA (Young Men's Christian Association). À bien des égards, ces organismes se sont bureaucratisés et hierarchisés, calquant leur système de prestations sur les modèles de l'ère industrielle. On commence maintenant à ressentir la nécessité de renouer avec la compassion. Quelle attitude l'État doit-il adopter de nos jours pour appréhender la compassion sous un autre jour ? Et comment les organismes qui existent depuis une centaine d'années, et dont vingt à soixante pour cent du budget proviennent de l'État, peuvent-ils retourner aux sources de leur mission originale ?
T. Skocpol - Ces questions méritent effectivement d'être posées. La professionalisation et la bureaucratisation de nombreuses associations privées et de bienfaisance sont indiscutables dans notre pays. On l'a surtout constaté au cours des trente ou quarante dernières années - plus encore, je le crois, qu'au début du XXe siècle. Bien évidemment, il ne faut pas oublier que la conception de la compassion fondée sur le contact personnel a pu se trouver modifiée à cause de l'ampleur même des problèmes. Comme je l'ai dit, certains des mouvements religieux voués à une action locale et personnelle, et si dynamiques avant le New Deal, ont été parmi les premiers à solliciter une participation accrue de l'État lorsque la tâche leur a paru démesurée. Je crois qu'il faut aussi évoquer les graves problèmes d'inéquité et d'exclusion raciale qui sont devenus moralement insoutenables dans notre pays, à partir des années soixante et soixante-dix.
D. Kuo - Parfaitement.
M. Bandler - Il y a donc une soixantaine d'années, lorsque les problèmes ont pris trop d'ampleur, les Américains ont demandé à l'État de réagir, et c'est ainsi qu'est né le New Deal. Que s'est-il passé après cela ? Comment la dépendance vis-à-vis de l'État a-t-elle évolué au point où beaucoup de personnes parlent maintenant d'une crise qu'il faut désamorcer ?
T. Skocpol - À mon avis, il faut se pencher sur les grands programmes d'aide sociale issus du New Deal et qui incarnent cette autre tradition de la compassion américaine. Notre grand programme de protection sociale des retraités - ce que nous appelons la « sécurité sociale » aux États-Unis - est en tous points fidèle à la longue tradition américaine de compassion, à laquelle se greffe la prise de conscience du fait que les gens vont contribuer tout au long de leur vie active, par leur travail aussi bien que par leurs cotisations. Ensuite, à la fin de leur vie, ils auront droit - eux ou leur conjoint survivant - à certaines prestations, à une pension minimum qui leur sera versée par le truchement d'un programme public. C'est bien là l'idée maîtresse mise en place à l'époque du New Deal, et elle conserve toute sa force aujourd'hui encore. D'autre part, le New Deal a prévu le versement de subventions aux administrations des États et des collectivités locales pour leur permettre d'accorder aux plus démunis une aide un peu plus systématique et légèrement plus généreuse. C'est ce qu'on entend par aide sociale.
Je trouve intéressant que la plus petite portion de cette aide, tant sur le plan du nombre des bénéficiaires que sur le volume de l'enveloppe concernée, soit celle qui suscite le plus de controverses. Je pense que cela s'explique par le revirement de notre attitude face aux mères qui restent au foyer pour élever leurs enfants. À l'époque du New Deal, on estimait qu'elles devaient rester à la maison et que c'était du travail. Aujourd'hui, on pense que les mères de famille doivent exercer une activité professionnelle. D'autre part, la composition raciale des bénéficiaires de l'aide sociale a considérablement changé. La plupart d'entre eux ne sont pas blancs. La montée de la controverse au sujet de l'aide sociale me semble étroitement liée à ces grandes mutations sociales, et pas simplement au nombre de dollars que nous y consacrons.
D. Kuo - En ce qui concerne la « sécurité sociale » et la loi adoptée en ce sens, il faut admettre qu'il serait difficile de ne pas y voir un geste véritablement révolutionnaire de la part de l'État fédéral sur le plan de la prise en charge des personnes âgées aux États-Unis. Mais au cours des soixante ou soixante-dix dernières années, le nombre des retraités démunis a nettement diminué.
T. Skocpol - C'est exact.
D. Kuo - C'est la réalité. J'ai l'impression que cela a tendance à échapper aux gens et qu'après coup ils trouvent cela raisonnable. Oui, c'est raisonnable, mais c'est l'exemple d'un programme public raisonnable, qui a porté ses fruits et qui a eu l'effet recherché. Maintenant, nous nous mettons peu à peu à discuter toute la panoplie des programmes qui relèvent de l'aide sociale. À l'origine, l'aide aux familles avec enfants à charge - l'AFDC (Aid to Families with Dependent Children) - était destinée aux veuves, veuves de guerre et les autres, et aux mères divorcées dont le mari les avait quittées. Comme tant d'autres programmes à leurs débuts, il était d'envergure très modeste et donnait de bons résultats. Une vingtaine ou une trentaine d'années plus tard, à partir du milieu des années 1960 et jusqu'à l'heure actuelle, on constate - même si les conservateurs ont tendance à ne pas le voir - que les modifications de l'AFDC par la « Great Society » ont été relativement mineures. Il n'y a pas eu de changements époustouflants qui auraient été inventés du jour au lendemain et qui auraient immédiatement nui à la société. Au contraire, on s'aperçoit que les programmes eux-mêmes ont subi des retouches relativement modestes. Ce qui a beaucoup évolué, ce sont les murs et les réactions des gens à ces programmes.
T. Skocpol - Cela me paraît juste. De surcroît, le nombre des individus qui comptent sur ces programmes a augmenté à un point qu'on n'avait probablement jamais imaginé.
D. Kuo - Absolument. Une fois encore, je ne sais pas jusqu'à quel point cela s'est produit, mais personne ne contestera, je crois, que nombre des programmes censés être de simples filets de sécurité ont fini par offrir des incitations pernicieuses.
T. Skocpol - Oui, en particulier à mesure que s'est modifié le rôle des femmes et des hommes au foyer et sur le lieu de travail. On a eu l'impression que l'aide sociale encourageait les gens à ne pas travailler, quand on a commencé à concevoir différemment la notion de travail de la mère de famille. Et il est vrai que cela a changé.
D. Kuo - En février 1968, dans un discours, Robert Kennedy a fait remarquer que les détracteurs de l'aide sociale reprochaient depuis longtemps à l'assistance publique d'humilier ses bénéficiaires, de les dissuader de travailler, de décourager la création des familles, de favoriser la destruction de la cellule familiale, et à nous qui tentons de leur venir en aide, de faire trop souvent la sourde oreille à ces critiques. Pour sa part, il s'est déclaré convaincu que la société américaine devait prendre conscience de la part de vérité contenue dans ces reproches. Il a même cité le président de la NAACP (Association nationale pour l'avancement des personnes de couleur), et d'autres avec lui, qui plaidaient déjà à cette époque pour la refonte du programme d'aide sociale, parce qu'il ne produisait pas les résultats escomptés.
M. Bandler - Vous semblez dire tous les deux que le programme n'était pas nécessairement défectueux en soi, avant d'avoir été modifié ou après, mais que la société et les mentalités ont évolué.
T. Skocpol - Je dirais quand même que ce programme avait des vices. L'aide aux familles avec des enfants à charge remonte aux années 1910, à l'époque où la plupart des États ont créé des « retraites pour mères de famille ». En réalité, elles n'étaient pas destinées aux veuves de guerre, parce qu'il y avait un autre programme en place à cette fin. Elles étaient destinées aux veuves mères de famille. Ce programme marchait cahin-caha ; il n'a jamais vraiment bien fonctionné. Pendant des dizaines d'années, nous pouvions supposer que la plupart des femmes étaient des mères de famille mariées - un petit nombre seulement étant célibataires - et qu'elles seraient capables de vivre des revenus professionnels du mari. Mais la société a changé. Elle compte de plus en plus de familles avec un seul parent - et la plupart d'entre elles, je dois le dire, ne touchent pas de prestations sociales et n'en ont jamais touché.
D. Kuo - N'est-ce pas le cas de la majorité d'entre elles ?
T. Skocpol - Il me semble que oui. On accuse parfois l'aide sociale d'avoir radicalement changé le comportement des Américains face au mariage et à la procréation, mais à la vérité il me paraît plus juste de dire que le programme d'aide sociale, fondé à l'origine sur d'autres hypothèses, s'est trouvé dépassé par l'ampleur de ces mutations.
D. Kuo - C'est la vieille question de l'uf et de la poule, mais il n'y a guère de doute, je crois, que l'aide sociale a contribué à accroître le nombre des marginaux, autrement dit qu'elle a eu un effet particulièrement pernicieux.
T. Skocpol - Elle n'a probablement réglé aucun problème, c'est vrai. Rien ne prouve, je pense, qu'elle en a été la cause, mais je ne vois pas l'intérêt de se chicaner sur ce point.
D. Kuo - Je ne dis pas qu'elle a causé ces problèmes, mais simplement qu'elle y a contribué.
T. Skocpol - Je voudrais qu'on parle des lacunes de la compassion apparentes depuis plusieurs dizaines d'années dans le secteur tant privé que public, parce qu'on a parfois tendance à ne considérer que ce que l'on voit et les échecs des programmes. Nous devons nous demander pourquoi nous n'avons pas consenti un surcroît d'effort pour veiller à ce que tous les gens prêts à travailler aient effectivement un emploi et pour aider les ménages à concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales dans notre société. Les travailleurs qui sont dans la gêne se heurtent à toutes sortes de problèmes, et on a parfois tendance à réagir en voulant pousser un nombre croissant de pauvres vers des activités rémunérées alors qu'ils ne gagneront peut-être pas suffisamment pour toucher le minimum vital ou une assurance-maladie qui couvrira leurs enfants. Cela ne me paraît pas très réaliste. La plupart des autres démocraties industrielles récompensent les gens qui travaillent et les parents qui élèvent leurs enfants, et à mon avis c'est ce que nous devrions faire aux États-Unis au lieu de traficoter l'aide sociale.
D. Kuo - Peu de gens vous contrediront sur ce point. Comment proposez-vous d'appliquer ces changements ?
T. Skocpol - À vrai dire, je crois que beaucoup ne seront pas d'accord avec moi si cela signifie qu'il faut faire intervenir l'État.
D. Kuo - Qu'est-ce que vous recommanderiez ?
T. Skocpol - Je recommanderais d'octroyer des prestations de « sécurité sociale » aux adultes en âge de travailler, mais en les soutenant un peu pour qu'ils se préparent à entrer dans la vie active. Je voudrais aussi que les familles aient de quoi vivre avec un parent qui travaille à plein temps et l'autre à mi-temps et que ceux-ci puissent s'occuper de leurs enfants, soit en les mettant en garderie si c'est ce qu'ils veulent faire, soit en les gardant chez eux s'ils préfèrent et qu'un parent reste à la maison à plein temps ou en partie.
D. Kuo - C'est là que le ton monte dans le débat. Comment pouvons-nous, en tant que société, encourager ces changements ? Que faire pour voir aboutir ces résultats escomptés ? Beaucoup de conservateurs - pour ne pas dire la plupart - vont demander qu'on leur montre des programmes publics qui ont vraiment et incontestablement atteint leurs objectifs.
T. Skocpol - Je leur citerais l'exemple de la « sécurité sociale », qui est le programme anti-pauvreté le plus efficace des États-Unis, comme vous l'avez vous-même fait remarquer.
D. Kuo - Je n'en disconviens pas. La position des inconditionnels du sentiment anti-secteur public est intenable, en particulier lorsqu'ils rabâchent qu'il n'y a qu'à réorganiser le marché, à diminuer les impôts et que tout sera pour le mieux.
T. Skocpol - On dirait que vous et moi nous sommes d'accord sur plus de points qu'on ne pourrait le croire.
D. Kuo - À vous de critiquer le point de vue « libéral », alors.
T. Skocpol - Les « libéraux » représentent plusieurs points de vue, comme c'est le cas chez les conservateurs. D'aucuns, dans la gauche, estiment qu'on devrait se remettre à consacrer davantage de fonds à l'AFDC et aux autres programmes sociaux qui n'obligent pas les gens à travailler. Nombreux sont les gens de gauche qui hésitent beaucoup à soulever la question de la responsabilité parentale, à dire par exemple qu'il vaudrait mieux que les parents soient mariés. Je ne suis pas d'accord avec eux. On peut continuer à venir en aide à une mère qui se retrouve seule avec ses enfants, mais on n'a pas besoin de prétendre que c'est une situation idéale.
D. Kuo - Comment peut-on mettre en place des programmes visant à secourir les gens qui ont besoin d'aide lorsque, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ils se retrouvent dans la misère, tout en évitant qu'ils ne décident de faire telle chose plutôt qu'une autre tout simplement en fonction des prestations offertes ?
T. Skocpol - C'est une excellente question. C'est dans cette ornière que nous nous sommes mis. Depuis une quarantaine d'années, nous disons aux gens peu qualifiés, sans grande chance sur le marché du travail, qu'ils bénéficieront d'une assurance-maladie et qu'ils pourront emmener leurs enfants chez le médecin s'ils restent chez eux et qu'ils font une demande de prestations sociales, mais que s'ils s'escriment à travailler à un salaire de smicard, leur patron ne leur paiera probablement pas l'assurance-maladie. Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond ; nous devrions nous efforcer de mettre en place les aides de base qui permettront à tous les individus de travailler, de s'occuper de leur famille et de s'en sortir. Cela ne veut pas dire qu'ils deviendront riches ni même qu'ils rejoindront la classe moyenne. Mais si nous faisions cela, je ne pense pas que nous aurions le problème moral que vous décrivez.
D. Kuo - Tout cela, c'est bien en théorie, mais que se passe-t-il dans la pratique ? Ma femme, qui a enseigné dans des écoles de Washington pendant six ans, pouvait repérer parmi ses élèves celles qui auraient un autre enfant à cause des diverses modifications apportées à un système qu'elles connaissaient bien.
T. Skocpol - En fait, le nombre de mères célibataires parmi les pauvres est en train de baisser. Je sais que ce n'est pas nécessairement l'impression qu'on peut avoir quand on examine la question sous un certain angle, mais c'est un fait.
M. Bandler - Changeons un peu le courant de la conversation. Pourrait-on creuser la question de la garde des enfants, du logement et des soins médicaux ? Voulez-vous préciser la nature du débat actuel sur ces sujets ?
D. Kuo - Je peux la présenter du point de vue conservateur. L'argument des conservateurs, auquel je trouve évidemment beaucoup de mérite, c'est que les programmes publics ont fait plus de mal que de bien. Exception faite de la « sécurité sociale », il est presque impossible de trouver un grand programme d'aide sociale créé au cours des trente dernières années qui ait produit les résultats escomptés. Le plus gros problème qui se pose ne se calcule pas en dollars et en centimes. Le plus gros problème, c'est celui de la facture humaine. Le coût le plus lourd de ces programmes, c'est l'effet nuisible qu'ils ont eu sur les gens, délibérément et surtout involontairement. Quand vous parlez de la réforme de l'enseignement, de la garde des enfants et de tous ces sujets, qu'est-ce qui nous fait croire qu'une nouvelle tentative de solution de la part de l'État produira de meilleurs résultats que les anciennes méthodes aujourd'hui discréditées ?
T. Skocpol - Nous devons envisager de nouvelles formules. Je me sens parfois gagnée par le découragement quand je suis ce débat - certainement pas avec vous, David, mais dans le débat en général -, et qu'on essaie de caricaturer la situation en opposant l'État au marché.
D. Kuo - Absolument.
T. Skocpol - C'est tellement naïf. La vraie question, c'est de définir les axes d'action de l'État et de réfléchir aux moyens de les intégrer dans la vie de la société et dans les initiatives du marché. Nous pouvons nous targuer d'une tradition de succès aux États-Unis, qui remonte à la fondation des écoles publiques au XIXe siècle et qui s'est poursuivie avec l'expansion du régime des pensions de guerre, en rapport avec la guerre de Sécession, les programmes en faveur des mères de famille et des enfants - je parle non seulement des programmes d'aide sociale, mais aussi d'autres adoptés au début du XXe siècle - et la création de la « sécurité sociale ». Ajoutons à cela le régime d'assurance-maladie en faveur des pauvres, la caisse Medicare, créée au cours des trente dernières années. Indépendamment de ses problèmes, qui sont liés au système global des soins autant que je puisse en juger, elle a eu un effet spectaculaire sur la santé des personnes âgées dans notre pays. On peut donc bel et bien citer de grands programmes publics qui ont été couronnés de succès. La vraie question, c'est de mesurer les réussites vis-à-vis des échecs. Si, en tant que société, nous avions pris il y a longtemps, comme nous aurions dû le faire, la décision que tout emploi confère automatiquement un niveau minimum d'assurance-maladie aux travailleurs et à leur famille, nous constaterions aujourd'hui que le dossier de l'aide sociale serait très différent. C'est l'État qui énoncerait les règles du jeu - et on en aurait fini une fois pour toutes avec les emplois sans assurance-maladie. Rien que cette mesure aurait suffi pour que l'on voie probablement beaucoup moins de gens faire appel à l'aide sociale.
D. Kuo - Depuis la Deuxième Guerre mondiale, il n'y a pas eu un seul grand programme d'aide sociale qui n'ait pas été privatisé à vingt-cinq pour cent au moins. Prenez le programme que vous voulez, s'il a un tant soit peu d'envergure il sera administré au moins à vingt-cinq pour cent par le secteur privé. On ne peut donc pas dire que tous les programmes publics sont nuls ni que tous les programmes privés sont de qualité.
T. Skocpol - Et il faut se rendre compte que certaines activités mixtes, associant le secteur privé et le secteur public, ne sont pas fameuses.
D. Kuo - Ce qui serait intéressant, ce serait de voir si l'État pouvait envisager la gestion de ses programmes dans une optique différente. Par exemple, au lieu d'exiger la présence d'un certain nombre d'employés titulaires d'un doctorat et d'un certain nombre d'assistantes sociales dans un type donné d'établissement, il pourrait se concentrer davantage sur les résultats produits. Il pourrait ainsi imposer la mise en place d'un programme ou d'un plan de travail capable de produire un taux d'efficacité préalablement déterminé. Nous voulons pouvoir mesurer les taux de succès des programmes de désintoxication, de formation professionnelle et de tous les autres. Peu importe les modalités des programmes, qu'ils soient privés et laïques ou privés et religieux ou un mélange de tout cela.
T. Skocpol - Je crois qu'un consensus commence à se dégager sur ce point. On dirait que les mentalités ont évolué et qu'on s'attache plus aux résultats qu'aux moyens employés pour y parvenir. Des raisons historiques expliquent que nous nous soyons concentrés jusqu'à présent sur les moyens. Nous cherchions à établir dans notre société une fonction publique qualifiée, et il y du mérite à cela. Mais ce n'est peut-être pas un principe pour lequel il faille se battre à l'heure actuelle.
D. Kuo - C'est pour les résultats qu'on se bat aujourd'hui. On comprend tout de suite l'avantage considérable qui en découle dans le cas des programmes publics, parce qu'ils sont suivis. Nous savons qu'ils n'aboutissent pas, en partie parce qu'on a vu les résultats de leur auto-évaluation. C'est un mécanisme qui n'existe pas dans le secteur privé.
T. Skocpol - Il y a beaucoup de programmes privés qui ne marchent pas.
D. Kuo - Oh, absolument.
M. Bandler - Jusqu'à présent, nous avons parlé de l'État en termes généraux. Il semblerait que l'idée de transférer la responsabilité des programmes du niveau fédéral, ou national, à l'échelon des États ou des collectivités locales ait considérablement gagné du terrain.
T. Skocpol - C'est effectivement ce que l'on observe dans le cas des programmes en faveur des personnes démunies. Mais je ne pense pas qu'il y ait un consensus - et d'ailleurs je ne m'y attends pas- lorsqu'il est question de la « sécurité sociale » et de la caisse Medicare et je ne compte pas voir cette responsabilité confiée aux États et aux collectivités locales. David pourra donner son point de vue, mais il me semble que l'avantage de la participation accrue des États et des collectivités locales, c'est précisément de favoriser une conception axée sur les résultats. Du coup, on verrait peut-être les gens assumer la responsabilité des problèmes qui se font jour dans leurs collectivités et dans leur État. L'inconvénient, c'est qu'on risque de créer un climat dans lequel on cherche à faire de moins en moins d'efforts pour une catégorie de la population sans grand pouvoir politique - je veux parler des pauvres.
D. Kuo - Je ne pense pas que l'administration des États soit nécessairement moins bureaucratique et plus intelligente que le gouvernement fédéral. Mais il est possible que les États et les collectivités locales, ayant récupéré leurs programmes, soient mieux placés pour les adapter à leurs besoins particuliers. C'est ce qu'on peut espérer.
M. Bandler - Mais est-ce qu'ils ne craignent pas d'être perdants dans l'affaire ?
T. Skocpol - On s'imagine souvent dans notre pays que nous pourrons revenir aux jours où il n'y avait qu'un petit nombre de familles pauvres dans chaque collectivité et que tout le monde pouvait y mettre un peu du sien pour les aider à se tirer d'embarras - on leur donne un petit coup de pouce, on les remet dans la bonne voie et tout va très bien. Je veux pas décrier cette façon de procéder. C'est un modèle splendide, et nous devrions faire de notre mieux pour en appliquer certaines composantes. Mais il faut aussi se rendre à l'évidence : les individus très pauvres, en particulier chez les gens de couleur, se concentrent souvent en nombres imposants dans certaines régions rurales ou grandes villes. Alors les maires et les élus locaux de ces régions, et les députés au Congrès avec eux, ont peur de devoir affronter ces problèmes seuls, pendant que le reste du pays s'en lave les mains.
D. Kuo - Je vais vous dire ce que j'espère pour l'avenir. Je ne suis normalement pas porté aux rêveries utopiques, même si ce que je vais dire donne l'impression du contraire. Mon vu serait que les Américains comprennent que la détérioration continue du groupe des marginaux fait courir en ce moment un danger indiscutable à notre pays, que ce soit sur le plan de la criminalité ou de la facture sociale. Ils peuvent mesurer l'ampleur de ces problèmes à l'aune de leur choix. Mais c'est une réalité, et il faut qu'ils le comprennent. Il faudra alors que les citoyens se mobilisent pour répondre à ces besoins. Ils devront sacrifier de leur temps et de leurs ressources, financières et matérielles. Je ne sais pas comment on pourra en arriver là. Je ne dis pas que cela doit se faire sans l'intervention de l'État. En fait, je crois bien qu'il a un rôle à jouer. Que ce soit par le truchement de crédits d'impôts ou de bons, il faut mettre en place un dispositif pour permettre à l'État de faire ce qu'il fait de mieux : collecter des fonds et les redistribuer, superviser, agir dans cet esprit, mais aux fins que je viens de décrire. Il faudrait ensuite organiser une campagne massive pour convaincre les Américains de la nécessité de se mobiliser, de s'installer dans les centre-villes, de s'implanter en milieu rural et de donner d'eux-mêmes - de mettre en pratique les principes de ce qu'on pourrait appeler la compassion efficace.
M. Bandler - Mais les gens qui se soucient des divers problèmes sociaux - tels qu'ils se présentent à l'échelon national- n'ont-ils pas l'habitude de se tourner vers l'État en lui demandant de les résoudre, parce qu'ils estiment qu'il en a la responsabilité ?
T. Skocpol - L'État, c'est nous, et il faudra bien qu'on le comprenne un jour ou l'autre. Je suis très découragée d'entendre comment on en parle, parce que cela donne foi à l'idée que l'État, c'est quelqu'un d'autre. J'aime bien l'avenir tel que David Kuo le voit. Malgré tout, un aspect m'inquiète. La classe des marginaux - les gens plongés dans une détresse extrême, qui mènent une existence désorganisée et dont les enfants risquent de passer complètement à côté de « l'idéal américain » - ne représente environ que dix pour cent des pauvres de notre pays. Une partie du problème, c'est que les rangs des pauvres ou des presque-pauvres sont en train de grossir. Il n'en faut pas plus pour créer une usure de la compassion, parce qu'on voit de plus en plus de familles où le père et la mère travaillent de longues heures tous les deux, qu'ils s'inquiètent de leur avenir et de celui de leurs enfants, et de plus en plus de mères seules qui s'en sortent à peine. Il faut donc aussi voir le problème dans une optique plus vaste, qui dépasse le cadre des programmes publics d'aide sociale en faveur des pauvres ou de la charité pour les plus démunis. On devrait peut-être s'interroger sur les moyens que nous pourrions mettre en uvre, en tant que société, pour veiller à ce que tout le monde reçoive un coup de pouce en même temps.
D. Kuo - Mais comment s'y prendre ? L'un des aspects encourageants de la loi portant aménagement de l'aide sociale - pour prendre un exemple précis-, c'est la disposition dite du « choix des associations caritatives », mise en place par le sénateur Ashcroft. Elle autorise l'administration des États à confier à des associations de bienfaisance privées et religieuses la responsabilité d'assurer la prestation des services financés par les fonds fédéraux remis en bloc aux États sans obliger ces organismes - en particulier les mouvements religieux - à abdiquer leurs convictions fondamentales. Le prosélytisme est rigoureusement interdit, mais cette loi réussit à équilibrer les forces en présence et à encourager la participation des mouvements privés et religieux, ces petits groupes qui savent particulièrement bien amener les gens à transformer leur existence, mais qui n'ont actuellement pas le droit de recevoir des fonds destinés à l'aide sociale.
T. Skocpol - J'aimerais étudier la question de plus près, mais je reconnais que nous pourrions être plus réalistes vis-à-vis des forces des mouvements religieux. L'idée n'est pas nouvelle ; des mouvements religieux mettent déjà en application depuis longtemps nombre de programmes publics à tous les niveaux.
D. Kuo - Ce que change la nouvelle disposition, c'est que ces groupes n'ont pas à renoncer à leur caractère religieux fondamental. On ne leur demande plus de retirer les crucifix accrochés au mur. On ne leur demande plus d'oublier leur nature religieuse fondamentale.
T. Skocpol - Si c'est une question de symboles, c'est peut-être une bonne chose, à condition de veiller à l'absence de discrimination. Mais des conservateurs ont lancé d'autres idées, en proposant par exemple de remettre à des associations de bienfaisance privées des fonds publics destinés à l'aide sociale qu'elles seraient libres de distribuer directement à des personnes nécessiteuses. À mon avis, ce serait catastrophique.
Lorsque je discute avec des conservateurs, je leur dis souvent que la meilleure façon de procéder consiste parfois à agir dans le cadre d'un programme public judicieusement conçu et à même de faire bénéficier les personnes les plus nécessiteuses des services et des fonds dont elles ont besoin en réduisant au maximum les frais généraux. Il ne s'agit pas d'un jeu de somme nulle, parce qu'on pourrait concevoir que les mouvements religieux et les autres groupes privés soucieux d'apporter une aide très personnalisée aux individus dans la détresse feront un bien meilleur travail s'ils peuvent compter sur certains principes de base.
J'en reviens à l'exemple des soins. Nous avons débattu cette question en tant que société et nous nous sommes engagés dans un très mauvais chemin. Si on pouvait compter sur la présence, à tout moment, d'une structure sanitaire aussi réduite soit-elle, on pourrait toujours y greffer des programmes administrés par des associations privées et des groupes locaux, lesquels sauraient au prix d'un petit effort supplémentaire exiger des pauvres un comportement responsable et leur faire parvenir l'aide dont ils ont besoin.
W. Peters - C'est une idée que notre conversation a renforcée à un certain égard. Un certain courant de pensée veut que la structure de la responsabilité sociale aux États-Unis mise en place au cours des soixante dernières années remonte à l'époque de la grande dépression, comme s'il s'agissait d'une aberration économique. Je me demande s'il ne faut pas y voir non plus, tout au moins en partie, la conséquence de l'évolution du style de vie des gens. On est passé d'une société principalement agraire à une société beaucoup plus citadine. Le fossé des générations a commencé à séparer les familles. Le monde n'a-t-il pas changé à certains égards ? Est-ce que cela n'a pas contribué à la nécessité d'adopter d'autres mécanismes d'action en matière de responsabilité sociale ?
T. Skocpol - Je crois qu'il y a plus de continuité que ne le disent certaines personnes convaincues que le New Deal était une aberration. Mais je veux attirer votre attention sur la modification de la cellule familiale et sur le fait que l'économie, depuis une trentaine d'années, ne se comporte plus de la même façon vis-à-vis des familles mal adaptées au marché du travail. Des transformations considérables se sont répercutées à tous les échelons du sytème de compassion sociale tant public que privé, au point de le submerger dans certains cas. Je crois en outre que certains éléments de la compassion américaine étaient présents dès le départ et qu'ils n'ont pas été radicalement transformés par le New Deal ; ils sont toujours là. Les Américains, j'en suis persuadée, veulent aider les gens à se débrouiller par eux-mêmes. C'est un thème constant, et ils sont prêts à consentir beaucoup d'efforts, y compris en payant leurs impôts et en faisant confiance à l'État, s'ils sont convaincus que les programmes récompenseront la responsabilité de l'individu et les contributions à la collectivité au lieu de s'y substituer.
D. Kuo - Ils ne veulent pas qu'on gaspille leur argent durement gagné ni leur temps qui leur est précieux. Ils sont animés d'un bon sentiment, mais ils exigent des résultats.
T. Skocpol - D'ailleurs, aux États-Unis, c'est un avis que les pauvres eux-mêmes ont toujours partagé. Si vous leur parlez - tout au moins au niveau des valeurs qu'ils sont prêts à discuter -, ils vous diront la même chose.
M. Bandler - Vous êtes d'accord l'un et l'autre pour mettre en relief le lien entre la compassion et la responsabilité des citoyens. À cet égard, pensez-vous que la Maison-Blanche et le Congrès soient dans la bonne voie ?
D. Kuo - Je suis très critique à l'égard des Républicains en général lorsqu'ils discutent ces questions. Il me semble politiquement insensé et moralement discutable de parler des problèmes auxquels nous nous heurtons en n'en considérant que les implications budgétaires, d'une part parce que le coût financier est particulièrement minime et, d'autre part, parce que la vraie question n'est pas là. L'histoire nous confirme que les États-Unis ne regardent pas de très près à la dépense lorsqu'ils essaient de résoudre des crises. La question fondamentale, c'est de cerner les résultats que ces programmes ont produits - ou contribué à produire - chez les individus qui en ont bénéficié. Voilà la question à laquelle il faut répondre. Ce ne sont pas les coûts qui comptent, ce sont les répercussions - et ce que nous pouvons faire pour les améliorer.
M. Bandler - Autrement dit, si les programmes sont fructueux, les fonds auront été bien dépensés. S'ils ne le sont pas, l'argent aura été perdu.
D. Kuo - Exactement.
T. Skocpol - C'est ce que pensent la plupart des Américains. Je suis d'accord avec David. Cela ne m'empêche pas d'être un peu inquiète. À mon avis, les démocrates et les républicains sont obnubilés par l'équilibre budgétaire et, dans la pratique, les pauvres sont les plus faciles à saigner. À voir l'évolution des événements ces quelques dernières années, je ne suis pas très optimiste quant à l'avenir proche.
D. Kuo - Très peu de gens, dans un parti comme dans l'autre, ont eu le mérite de soulever ces sujets.
M. Bandler - Il faut donc impérativement dépasser les questions financières et s'attaquer au cur du problème : quels sont les programmes qui produiront de bons résultats, comment fonctionneront-ils et quelles sont les responsabilités morales.
T. Skocpol - Et quelle sorte de partenariats entre les divers groupes de la société, y compris entre tous les échelons de l'administration, souhaitons-nous vraiment.
M. Bandler - La responsabilité sociale est-elle un sujet de politique politicienne ?
T. Skocpol - Dans la pratique, oui. Cela ne fait aucun doute.
D. Kuo - Il ne devrait pas en être ainsi.
T. Skocpol - Peut-être pas, mais c'est comme ça.
D. Kuo - Cela ne devrait certainement pas être le cas, mais ça l'est. Ce qui déterminera le succès de notre action, c'est le degré auquel nous aurons réussi à changer cette dynamique.