Sandra Porter Babb et Lydia Faulkner
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L'article ci-dessous est l'abrégé d'un discours qu'a prononcé Mme Sandra Porter Babb en mai 1996 à Bruxelles, à une conférence sur la politique sociale dans le cadre d'un régime fédéral. Mme Babb parle des changements apportés à la politique et aux programmes d'aide sociale des divers États et du gouvernement fédéral des États-Unis, et met l'accent sur les initiatives novatrices prises dans son État, la Caroline du Nord, en vue de réformer le programme de protection sociale. Mme Babb est directrice de la Commission du Gouverneur de la Caroline du Nord sur la formation de la main-d'uvre. Lydia Faulkner fait partie de cette commission en tant que chargée de recherche.
Des pressions croissantes s'exercent aux États-Unis pour que le gouvernement réforme son régime de protection sociale de façon que personne ne trouve qu'il est plus avantageux d'être assisté par l'État que de travailler. Il s'agit de parvenir à un équilibre difficile, qui consiste à veiller à ce que les enfants et familles pauvres reçoivent une aide leur permettant de satisfaire à leurs besoins fondamentaux en nourriture, vêtements, logement et soins médicaux, tout en évitant de rendre ces avantages sociaux plus profitables et plus désirables que le travail.
La perspective des États-Unis
En matière de protection sociale, les États-Unis appliquent une stratégie relativement limitée selon laquelle seuls les éléments les plus démunis de la population reçoivent des allocations, de l'aide en matière de nourriture, de nutrition et de santé, et de l'aide au logement. Pour avoir droit à ces avantages, les demandeurs doivent remplir des conditions bien précises. Des agents sociaux procèdent à des enquêtes approfondies pour s'en assurer. Les conditions diffèrent selon les cas, si bien que tous les individus et toutes les familles n'ont pas droit à toutes les formes d'assistance. Certains ne pourront recevoir que des bons d'alimentation tandis que d'autres bénéficieront de plusieurs autres formes d'assistance.
Le régime de protection sociale comprend les programmes suivants :
Des allocations pour frais de garde d'enfant et une aide au logement (attribution d'un logement social ou allocation de logement) font également partie du programme de protection sociale.
Les Américains font preuve d'une certaine ambivalence à l'égard de l'assistance sociale. Il n'existe pas de consensus national sur l'ampleur que devrait avoir notre filet de protection. Nous sommes partagés entre notre désir d'équité, notre souci de préserver l'intérêt commun et notre profond individualisme. Et les théories divergentes sur la meilleure utilisation des fonds publics s'accompagnent périodiquement d'une demande de réforme du régime de protection sociale.
Tendances actuelles des réformes aux États-Unis
Pour répondre à ces préoccupations, des changements de tendance se manifestent à travers les États-Unis, au niveau national et dans les États. On s'accorde généralement à penser que tout projet de réforme doit exiger que les personnes assistées travaillent, que la durée de l'assistance fournie soit limitée et que l'accent soit mis sur la responsabilité individuelle. On a aussi le sentiment que les gouvernements locaux devraient avoir une plus grande latitude dans la conception et la fourniture des services sociaux et que la contribution du gouvernement fédéral à ces programmes devrait être moins importante qu'elle ne l'est actuellement.
L'élimination de la notion d'avantage acquis est peut-être la plus fondamentale et la plus contestée de toutes les recommandations avancées. Dès leur entrée en vigueur aux États-Unis, les programmes d'aide sociale ont donné à toutes les personnes qui remplissaient certaines conditions le droit de bénéficier d'avantages. Supprimer ce droit éliminerait l'octroi automatique des prestations et déchargerait le gouvernement fédéral de ses responsabilités en tant que principale source de financement de l'aide sociale. En vertu de cette réforme, les États recevraient du gouvernement fédéral, pour la protection sociale, un montant fixe considérablement inférieur à ses niveaux actuels.
Sous le premier mandat du président Clinton, le ministère fédéral de la santé et des affaires sociales (HHS) a donné aux États la possibilité de tenter de nouvelles expériences en matière d'aide sociale. Ce ministère a été autorisé à accorder aux États des dérogations aux lois en vigueur gouvernant l'AFDC et Medicaid, leur donnant ainsi la possibilité de prouver que des solutions de rechange permettraient de mieux satisfaire les besoins de leurs habitants.
Le 22 août 1996, le président Clinton a signé une loi de réforme de la législation sociale. En vertu de cette loi, les États dont les dérogations avaient été approuvées avant l'entrée en vigueur de la réforme étaient généralement libres de continuer à les appliquer, même quand ces dérogations entraient en conflit avec le nouveau texte.
L'expérience de la Caroline du Nord en matière de réforme de l'aide sociale
La Caroline du Nord est l'un des États qui bénéficiaient d'une dérogation avant l'adoption de la nouvelle loi fédérale. En Caroline du Nord comme ailleurs, le gouverneur a été le moteur de la réforme de l'assistance sociale. Devant les pressions accrues dont il était l'objet pour apporter des changements immédiats au programme d'aide sociale de son État, le gouverneur James Hunt estima que la législature de Caroline du Nord devait procéder sans délai à une réforme. En tant que chef de l'exécutif, il élabora et soumit à la législature de l'État, en août 1995, un ensemble de demandes de dérogation à la législation fédérale en vigueur. L'approbation de ces demandes, accordée en février 1996, a permis à la Caroline du Nord de cesser d'appliquer les mesures alors appliquées en matière de protection sociale et d'adopter un programme intitulé « Work First » (Priorité au travail).
La Caroline du Nord se préparait à un tel changement d'orientation depuis 1994, date à laquelle le gouverneur avait chargé un groupe de travail de quarante membres de mettre au point des recommandations en faveur d'une réforme de l'assistance sociale mettant l'accent sur le travail et la formation professionnelle ainsi que la responsabilité individuelle, et exigeant que des mesures rigoureuses assurent le recouvrement de la pension alimentaire due par un parent en cas de séparation ou de divorce. Il demandait également à ce groupe de veiller à ce que l'État continue à fournir des services d'appoint aux personnes assistées pour leur permettre de travailler. Enfin, conformément aux conditions posées par le gouvernement fédéral pour l'obtention d'une dérogation, le gouverneur précisait que le coût de l'ensemble des mesures recommandées par le groupe de travail ne devait pas être supérieur au total des sommes consacrées localement à la protection sociale par le gouvernement fédéral, l'État et les collectivités de Caroline du Nord.
En 1995, l'État et les autorités locales chargèrent les services sociaux locaux d'aider les personnes assistées à identifier et à surmonter les obstacles à leur accès à un emploi, au lieu de s'employer à déterminer leur droit aux prestations. Cette réforme nécessitait un changement fondamental de mentalité de la part des bénéficiaires comme de la part des services sociaux. Au lieu d'établir et de vérifier les droits des intéressés et de leur verser une allocation, le nouveau programme, « Work First », qui met l'accent sur le travail, les aide à accéder au marché du travail et à s'intégrer dans le courant économique et culturel de l'État. « Work First » est entré officiellement en vigueur le 1er juillet 1996.
Avec ses 7,2 millions d'habitants, la Caroline du Nord est le dixième État des États-Unis sur le plan de la population. Située dans le sud-est du pays, elle bénéficie d'une économie diversifiée. Les industries manufacturières, l'agriculture et l'agro-industrie y prospèrent ainsi que les industries de pointe comme l'informatique et les télécommunications, l'industrie pharmaceutique, la micro-électronique et la biotechnologie.
La Caroline du Nord a également l'avantage d'occuper le huitième rang des États de l'Union en matière d'emploi : son taux de chômage n'atteint que 4,4%, contre la moyenne nationale de 5,5%. Paradoxalement, malgré son succès économique, les salaires y sont généralement bas. Bien qu'ayant le pourcentage le plus élevé de personnes employées dans l'industrie manufacturière, elle ne vient qu'au quarante-deuxième rang (sur cinquante États) sur le plan des salaires payés dans l'industrie et au trente-quatrième rang pour ce qui est du revenu par habitant. Ses habitants sont favorables à l'octroi d'avantages sociaux aux gens qui travaillent, mais un grand nombre d'entre eux ne sont plus disposés à voir ceux qui vivent en état de dépendance permanente recevoir une aide inconditionnelle.
La baisse du soutien public au régime actuel d'assistance sociale est à la base du mouvement de réforme, mais les réformateurs ont peu de latitude en matière de réduction des prestations. Les avantages prévus par l'AFDC de la Caroline du Nord sont modestes, ils se situent au quarante-deuxième rang sur le plan national. La compression du budget social ordonnée par le gouvernement fédéral exerce des pressions énormes sur la Caroline du Nord en faveur de l'élaboration de mesures efficaces de réduction du coût de la protection sociale.
Hormis une réduction de ces avantages, le gouvernement local n'a guère d'autre option que d'obliger les gens à travailler et de leur supprimer dès que possible l'aide sociale.
Face à ces réalités économiques et politiques, le gouverneur Hunt a élaboré et mis en vigueur son programme « Work First ». Cette réforme est fondée sur la responsabilité individuelle, l'obligation faite aux prestataires de travailler et l'engagement pris par l'État de Caroline du Nord de continuer à aider ceux qui acceptent d'assumer ces responsabilités. Elle exige des bénéficiaires en bonne santé et ayant des enfants d'âge scolaire qu'ils travaillent, qu'ils acceptent de recevoir une formation professionnelle ou de fournir, trente heures par semaine, des services à la collectivité, et prévoit qu'ils cesseront de recevoir de l'assistance dans un délai maximum de deux ans. De plus, ce programme exige des bénéficiaires qu'ils assument la responsabilité de subvenir aux besoins de leur famille en faisant le maximum d'efforts pour obtenir le versement de la pension alimentaire qui leur est due, il prévoit la suppression des allocations familiales pour les enfants nés après que leurs parents auront bénéficié pendant dix mois du régime d'assistance sociale et exige des familles qu'elles veillent à ce que leurs enfants soient vaccinés et fréquentent régulièrement l'école.
Ceux qui acceptent d'assumer ces responsabilités bénéficient d'une aide financière de l'AFDC, de bons d'alimentation, de Medicaid, d'une formation scolaire et professionnelle, de services de placement, et d'une aide pour la garde de leurs enfants et pour leurs frais de transport. L'État continuera à faire bénéficier de Medicaid et d'une allocation pour frais de garde, pendant une durée maximum d'un an, ceux qui cesseront d'être à l'assistance et qui travailleront. Au fur et à mesure que ses ressources deviendront disponibles, la Caroline du Nord projette de prolonger au-delà de douze mois la durée de ces programmes d'assistance provisoire. Bref, le programme « Work First » demande aux bénéficiaires d'assumer certaines responsabilités et de travailler en vue de leur indépendance en échange d'une aide financière d'appoint et de services de soutien.
Les premières preuves de succès
La Caroline du Nord constate déjà les résultats positifs de cette réforme de ses services sociaux. C'est ainsi que, de juillet 1995 à février 1996, deux fois plus de personnes assistées ont trouvé du travail que pendant la même période de l'année précédente (12.893 au lieu de 6.098), et que 16.155 personnes ont obtenu un emploi leur procurant un salaire suffisant pour ne plus avoir droit à l'AFDC. Dans l'ensemble, le nombre de personnes assistées a diminué de 6%, comparé à une baisse moyenne nationale de 2,6% pendant le même semestre. En outre, le rythme de cette baisse est l'un des plus rapides du pays.
Par le truchement de « Work First », les entreprises, les collectivités et les églises collaborent avec les services sociaux locaux pour remplir les postes vacants et aider les familles assistées à devenir indépendantes. La principale association d'hommes d'affaires de Caroline du Nord, « Carolina Citizens for Business and Industry », s'est engagée à apporter son concours à l'État dans ce domaine. Des groupes d'industriels s'associent à ce mouvement pour aider les assistés à entretenir des liens avec leur personnel. C'est ainsi que l'Association des restaurateurs de Caroline du Nord administre un programme qui donne à ses membres une formation leur permettant de guider les anciens assistés de leurs conseils tandis que ces derniers gravissent les échelons de leur profession.
La Caroline du Nord remporte également du succès dans le recouvrement des pensions alimentaires. Depuis que les autorités de l'État ont commencé à sévir contre les parents débiteurs, les sommes ainsi récupérées dans l'ensemble de l'État ont dépassé de plus de trois millions de dollars les montants prévus pour le premier trimestre.
Tout en étant satisfaits des succès initiaux du programme « Work First », nous reconnaissons que la réforme de l'assistance sociale en est encore à ses débuts en Caroline du Nord. Cesser de mettre l'accent sur le maintien des acquis sociaux pour privilégier une aide permettant aux familles de s'insérer dans la vie active est une tâche énorme. La poursuite de cette insertion et du renforcement de l'éducation, de la formation professionnelle et des programmes de placement est indispensable au succès permanent de ce programme. En même temps, nous devons fournir les services d'appoint nécessaires aux gens qui s'efforcent de devenir financièrement indépendants et continuer à faire bénéficier des programmes d'assistance sociale les personnes souffrant de handicaps ou autres problème graves qui les mettent dans l'impossibilité de travailler.
Il est indispensable que les hommes d'affaires et les collectivités continuent à collaborer avec les gouvernements des États et les autorités locales pour aider les personnes assistées à obtenir un emploi. La Caroline du Nord doit également conserver une économie forte pour financer son programme « Work First » et en assurer le succès à long terme.
L'État va procéder à une évaluation indépendante et approfondie, sur une période de plusieurs années, des résultats obtenus grâce à « Work First ». Nous nous attendons à tirer des enseignements des aspects du programme qui se révéleront efficaces comme de ceux qui ne le seront pas et nous procéderons aux ajustements nécessaires. Conscients de la complexité de notre tâche, nous restons bien décidés à donner aux bénéficiaires de l'aide sociale de la Caroline du Nord une réelle possibilité d'insertion dans la vie économique et culturelle normale de l'État.