UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE FONDÉE SUR LES VALEURS AMÉRICAINES


    Interview de M. Peter Tarnoff
    sous-secrétaire d'État chargé des affaires politiques


    (La sécurité économique et militaire demeure l'un des domaines prioritaires de la politique étrangère des États-Unis, mais l'expansion de la démocratie et de l'économie de marché en est une autre parce que cela encourage le respect des valeurs chères à la société américaine, indique l'auteur du présent article. La lutte contre les nouvelles menaces que font peser le terrorisme, le trafic illicite des stupéfiants, la prolifération nucléaire et la dégradation de l'environnement est également l'un des principaux objectifs de cette politique.)


    Question - En cette période d'après-guerre froide, la politique étrangère des États-Unis n'a plus comme objectif primordial l'endiguement du communisme soviétique, mais elle doit néanmoins faire face à toute une série de problèmes politiques, économiques et de sécurité. Quelles sont actuellement les principales préoccupations de notre pays ?

    M. Tarnoff - Il est certain que nous avons dû réorienter complètement notre politique étrangère du fait de la dissolution de l'Union soviétique et de la fin de la guerre froide.

    Il est apparu clairement, dès le début du gouvernement Clinton, que nous devions définir un nouvel ordre de priorité et de nouveaux objectifs.

    Premièrement, le président Clinton a précisé d'emblée que la défense de la sécurité économique des États-Unis le préoccupait au plus haut point, ce qui s'applique manifestement à l'ensemble du monde où se trouvent un grand nombre de nos marchés et où le commerce est en expansion.

    Deuxièmement, il a veillé à ce que, dès le début, notre ministère de la défense étudie de très près les besoins de nos forces pour la période d'après-guerre afin que les États-Unis soient absolument certains de pouvoir non seulement se défendre, mais aussi entreprendre des missions dans le monde entier. Ce qui fut fait.

    Troisièmement, nous partons du principe que l'existence de pays dotés d'une société ouverte et d'une économie de marché à travers le monde est conforme aux intérêts des États-Unis. C'est pourquoi nous avons tant fait dans des pays comme la Russie et la Bosnie ainsi que dans des pays de notre continent comme Haïti, pour coopérer avec la communauté internationale afin de favoriser la démocratisation et l'économie de marché, non seulement parce que les gouvernements représentatifs ont moins tendance à se faire la guerre et sont davantage enclins à faire du commerce les uns avec les autres, mais aussi parce que de tels gouvernements incarnent les valeurs chères à notre société.

    Enfin, ce que l'on considère généralement comme les nouvelles menaces à la sécurité des États-Unis, des problèmes internationaux qui n'étaient probablement pas très apparents il y a encore quelques années comme le terrorisme international ou la prolifération des armes, le trafic illicite des stupéfiants, certains problèmes internationaux liés à l'environnement, toute une série de nouvelles menaces à la sécurité sous une forme ou sous une autre, occupent une place très importante dans notre politique étrangère.


    Question - Comment faisons-nous face à ces « nouvelles menaces » ?

    M. Tarnoff - Permettez-moi de prendre un exemple, celui de la prolifération des armes nucléaires. Les États-Unis ont pris, depuis plusieurs années, des initiatives visant à obtenir un régime international qui découragerait cette prolifération et qui, en cas de nécessité, permettrait de prendre des sanctions internationales à l'encontre des contrevenants.

    C'est pourquoi notre pays a dirigé les efforts déployés pour remplacer le COCOM, comité chargé de limiter, du temps de la guerre froide, le transfert de techniques stratégiques à l'Union soviétique et aux pays du pacte de Varsovie, par des mesures grâce auxquelles les pays hors-la-loi, ceux sur les intentions desquels nous avons des doutes réels comme l'Iran, l'Irak, la Libye et la Corée du Nord, pourraient se voir refuser un accès international aux techniques qui les aideraient à fabriquer des armes nucléaires, chimiques ou biologiques et autres armes de destruction massive. C'est un domaine dans lequel nous avons été particulièrement actifs. On peut en dire autant de l'environnement et de la lutte contre le trafic des stupéfiants, parce qu'au fond il s'agit de problèmes impossibles à résoudre à l'intérieur de frontières nationales.


    Question - Les conflits d'origine religieuse ou ethnique semblent abonder sur la scène internationale, des conflits qui ne menacent pas nécessairement directement nos frontières, mais qui peuvent créer de l'instabilité parmi les pays avec lesquels nous avons des alliances ou dont nous dépendons. Que font les États-Unis pour réagir à de telles situations ? Avez-vous une nouvelle politique pour faire face aux conflits d'origine ethnique ou religieuse ?

    M. Tarnoff - Oui, je le pense. Et vous avez tout à fait raison de dire que les conflits ethniques et religieux sont devenus beaucoup plus courants à travers le monde. Paradoxalement, la disparition des régimes dictatoriaux a fait resurgir des haines séculaires. Nous en avons un grand nombre d'exemples sous les yeux à travers le monde, que ce soit à l'intérieur de certains pays ou entre États.

    Les États-Unis ont des moyens de collaborer avec d'autres pays pour prévenir de tels conflits et pour les contenir. Assurément, il est bien préférable de les prévenir et, à ce propos, nous avons travaillé avec acharnement, principalement avec des organisations régionales du monde entier, pour voir si on ne pourrait pas mettre en place, sur une base régionale, des organismes capables d'anticiper les conflits en puissance, à l'intérieur des pays ou entre États.

    Un grand nombre des mesures adoptées pour résoudre les différends sont efficaces. Ainsi les États-Unis ont pu, en collaboration avec trois autres pays, l'Argentine, le Brésil et le Chili, tenter très activement de contenir et de résoudre un différend qui couvait depuis longtemps entre l'Equateur et le Pérou et qui avait de nouveau éclaté l'an dernier.

    Toutefois, lorsque les différends dégénèrent en conflit, les États-Unis montrent une fois de plus qu'ils sont prêts à collaborer avec d'autres pays. Après tout, c'est pour cela que nous sommes en Bosnie, non seulement parce que la reprise du conflit représenterait un drame humain, mais aussi parce qu'elle pourrait causer de l'instabilité ailleurs dans les Balkans et aussi parce que nous jugeons nécessaire la présence sur place d'institutions internationales qui peuvent travailler avec ces pays à des fins préventives si possible ou, une fois qu'un conflit a éclaté, pour en limiter l'ampleur et encourager vraiment les chefs des mouvements politiques opposés à tenter de parvenir à une solution pacifique du conflit.


    Question - À votre avis, la fin de la guerre froide a-t-elle amélioré le respect des droits de l'homme à travers le monde ?

    M. Tarnoff - Oui, je pense que, dans l'ensemble, la fin de la guerre froide a été suivie d'une amélioration mondiale du respect des droits de l'homme, des droits civiques des populations. Quand on songe aux centaines de millions d'hommes et de femmes qui vivaient en Union soviétique et dans les pays qu'elle dominait et qu'on voit ce qui s'est passé dans leur société en termes d'ouverture et de libéralisation économique, l'évolution est absolument remarquable.

    Et je constate à travers le monde, en particulier en Europe de l'Est et en Europe centrale, dans l'ex-Union soviétique ainsi qu'en Amérique latine et en Asie, l'existence de sociétés de plus en plus représentatives, qui répondent davantage aux besoins et aux désirs de leur population, même si elles le font sous une forme qui ne correspond pas toujours à ce que nous faisons.


    Question - Que font les États-Unis pour encourager cette tendance ?

    M. Tarnoff - Notre politique est très claire : nous appuyerons les pays qui s'efforcent d'améliorer le caractère représentatif de leurs institutions politiques et le respect des droits de l'homme de leurs citoyens, et au besoin nous parlerons ouvertement en leur faveur. En revanche, si certains pays portent atteinte aux droits de leurs citoyens et prennent des mesures de répression, ils entendront parler de nous, et nos relations bilatérales en subiront les conséquences.

    Nous sommes également de plus en plus actifs dans ce domaine au sein des organisations internationales. Ainsi, à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, les États-Unis attirent l'attention sur les États qui continuent de ne tenir compte ni des accords internationaux ni des pressions de la communauté internationale en faveur de la réduction des violations des droits et de l'accroissement du pouvoir qu'ont leurs populations de déterminer elles-mêmes leur avenir politique.


    Question - Quelles sont nos relations avec les autres grandes puissances ? Comment ont-elles évolué maintenant que les affrontements avec l'Union soviétique font partie de l'histoire ?

    M. Tarnoff - Certes, il est important pour les États-Unis d'entretenir des relations étroites et bonnes avec les grandes puissances mondiales. Toutefois, contrairement à ce qui se passait du temps de la guerre froide, nous devons forger ces relations presque au cas par cas. Lorsqu'on aborde une question politique ou économique revêtant une importance primordiale pour les États-Unis, on s'aperçoit que ce ne sont pas toujours les mêmes pays qui sont de notre côté ou qui s'opposent à nous, que cela varie selon les cas.

    Pendant la guerre froide, où nous étions entièrement absorbés par la menace très réelle de l'agression et de l'expansionnisme soviétiques, il était plus facile à un groupe de pays qui pensaient généralement de la même façon, principalement en Occident, d'avoir des points de vues identiques sur toute une série de questions. C'est moins automatique maintenant, et cela exige donc que nous formions cette coalition au cas par cas. Nous sommes satisfaits, dans l'ensemble, des résultats que nous avons obtenus, mais c'est certainement plus compliqué que cela ne l'était autrefois.


    Question - Vous avez mentionné les Nations unies dans un contexte précis, mais comment les États-Unis conçoivent-ils, en général, le rôle des institutions internationales, à l'heure actuelle ?

    M. Tarnoff - Nous sommes très partisans des Nations unies et des organisations régionales. Nous estimons que les États-Unis ont intérêt à voir les organisations internationales assumer un plus grand rôle non seulement dans le maintien de la paix, sur lequel l'ONU a principalement dirigé son attention, mais aussi pour résoudre les problèmes dans le domaine de la santé, de la sous-alimentation, de la démographie et de l'environnement. Ce genre de problèmes doit être résolu sur une base internationale. Les organisations mondiales ont donc un rôle très net à jouer dans ces domaines.

    En même temps, un grand nombre de ces organisations ont besoin d'être réformées. La plupart d'entre elles ont été conçues il y a une cinquantaine d'années, à une époque très différente de la nôtre. À dire vrai, certaines n'ont pas accordé suffisamment d'attention à la nécessité d'appliquer à leurs activités des règles financières rigoureuses et des contrôles quantitatifs. S'il est possible à de telles organisations internationales, y compris les Nations unies elles-mêmes, de s'adapter aux circonstances actuelles et d'être sensibles aux intérêts des États-Unis, il est important, à mon avis, que nous continuions à les soutenir.


    Question - Les milieux officiels américains soulignent constamment la nécessité pour les États-Unis de rester engagés dans le monde et d'accepter d'y jouer un rôle prédominant, et leur volonté de le faire. Pouvez-vous citer certains des facteurs qui entrent en jeu dans cette position et dire comment vous pouvez être sûr que le pays est disposé à jouer un tel rôle ?

    M. Tarnoff - La question du rôle des États-Unis dans le monde est manifestement très importante, et je soupçonne qu'elle fera l'objet de débats animés non seulement en cette année d'élections, mais pendant de nombreuses années à venir. La position du gouvernement à cet égard est très nette. Nous pensons que les intérêts de nos concitoyens, sur le plan économique comme sur le plan de la sécurité, sont défendus au mieux si les États-Unis assument un rôle de premier plan dans le monde. Et c'est pourquoi nous sommes en faveur d'un internationalisme actif. Nous ne sommes pas guidés par des raisons théoriques. C'est parce que nous devons défendre les intérêts du peuple américain de toutes sortes de façons et que cela exige de nous un engagement actif sur le plan international.

    Certains de nos concitoyens ne partagent pas cet avis. Ils voudraient que nous nous retirions du monde, que nous renoncions à nos responsabilités internationales, que nous fermions nos frontières, dans une certaine mesure, non seulement aux personnes, mais au commerce et aux idées. À ces gens, je dirais : « Comment peut-on résoudre certains de ces problèmes internationaux ? Comment peut-on combattre la criminalité internationale ou le terrorisme si on n'entretient pas de relations ouvertes, fondées sur la coopération, avec un grand nombre de pays ?

    Il y a également chez nous des gens qui voudraient que les États-Unis agissent unilatéralement sur la scène mondiale. Certes, le président doit pouvoir utiliser unilatéralement nos forces militaires, s'il en décide ainsi. Toutefois, quand on songe aux mesures que nous avons prises pour défendre nos intérêts à travers le monde, on voit que nous avons certainement eu intérêt à coopérer avec les autres pays, avec l'OTAN en particulier, en vue d'un partage du fardeau et des responsabilités, pour ne pas avoir à tout supporter nous-mêmes. Un internationalisme actif revêt la plus haute importance pour le président Clinton et le secrétaire d'État, M. Christopher, et ils vont continuer à défendre très énergiquement cette position.


    Question - Vous avez exposé la politique étrangère qu'appliquent les États-Unis. A-t-elle réussi à atteindre ses objectifs ? Quelles sont ses principales réalisations ?

    M. Tarnoff - Je pense, et j'exprime évidemment le point de vue de quelqu'un qui est dans la place, que nous avons remporté des succès dans des domaines très importants. Primo, nous avons commencé à définir de façon nouvelle les intérêts des États-Unis en politique étrangère. Secundo, nous avons établi un certain ordre de priorité et certains objectifs à long terme, des objectifs qui ne pourront probablement pas être atteints en l'espace d'un an ou même durant un mandat présidentiel.

    Dans le domaine économique, par exemple, nous avons conclu près de vingt accords avec le Japon, et notre balance commerciale avec ce pays, bien qu'elle continue à nous préoccuper à bien des titres, s'est néanmoins améliorée à notre avantage grâce au travail énorme réalisé sous la direction du président Clinton, mais avec la participation de beaucoup de gens.

    Dans le domaine de la gestion des crises et de la réaction à certaines des situations inquiétantes qui ont surgi sous notre gouvernement ou dont nous avions hérité, qu'il s'agisse de la Bosnie ou d'Haïti, les États-Unis ont montré qu'ils pouvaient collaborer avec d'autres pays pour stabiliser la situation politique tout en réduisant l'ampleur de la tragédie humanitaire, ce qui reflète nos valeurs et nos intérêts.

    Il est certain qu'il reste encore beaucoup à faire. Il y a, tout autour du monde, des pays qui font peser une menace, qu'il s'agisse du terrorisme ou des armes de destruction massive. Et ces pays sont surveillés et endigués. Le risque d'une tragédie humanitaire demeure, qu'elle soit provoquée par des dirigeants politiques ou qu'il s'agisse d'une catastrophe naturelle, mais je pense que nous avons défini les grandes lignes de notre politique. Nous savons où nous devons intervenir. Nous ne devons pas oublier, bien sûr, qu'il nous faut tenir compte du fait que nous ne pouvons rien entreprendre d'important sans l'appui du peuple américain, mais celui-ci montre qu'il comprend de plus en plus que son intérêt est lié au rôle international des États-Unis, et c'est la raison pour laquelle je pense que nous pouvons plaider de plus en plus efficacement notre cause.


    Question - Quels sont les problèmes les plus importants et les plus graves auxquels nous allons devoir faire face ?

    M. Tarnoff - Je pense que ces plus gros problèmes sont le terrorisme international et la prolifération des armes de destruction massive, que nous pouvons commencer à endiguer avec une importante coopération internationale. Il y a encore des États récalcitrants qui, à notre avis, sont bien décidés à conserver les moyens qu'ils possèdent de se livrer à des actes de violence extrême à travers le monde. Il faut les surveiller. Et, dans certains cas, du fait des progrès de la technologie, de très petits groupes de gens, et même des individus isolés, ont le pouvoir de faire exploser des engins et de déclencher des crises politiques et humanitaires d'une grande ampleur. Il ne nous faut pas l'oublier.

    En outre, nous devons améliorer les structures internationales dont je parlais, veiller à ce que l'ONU et les organisations régionales, mais aussi les institutions économiques internationales comme l'Accord nord-américain de libre échange ou la zone de coopération économique Asie-Pacifique, s'emploient de façon constructive à favoriser l'ouverture des sociétés et l'économie de marché. C'est un domaine dans lequel les États-Unis ont toujours joué un rôle prépondérant, et j'espère qu'ils continueront à le faire.

    Propos recueillis par Dian McDonald, journaliste de l'USIA

    Les objectifs de politique étrangère des États-Unis,
    Revues électroniques de l'USIA, volume 1, numéro 4, mai 1996