MANFRED W・NER,
LA FORCE MOTRICE DE L'OTAN APR・ LA GUERRE
FROIDE
Ambassadeur William Taft
Membre du cabinet Fried, Frank,
Harris, Shriver et Jacobson
Repr・entant des ・ats-Unis ?l'OTAN de 1989 ?1992
Je suis arriv??Bruxelles en ao・ 1989 pour y diriger la mission des ・ats-Unis ?l'OTAN. Plusieurs mois auparavant, l'Alliance avait c・・r?son quaranti・e anniversaire. Pendant quarante ans, les Alli・ avaient oppos?un front commun ?la menace ・anant du Pacte de Varsovie et de l'Union sovi・ique. Si l'importance des r・ormes mises en place par Mikha・ Gorbatchev ・ait assur・ent per・e ?sa juste valeur et que l'OTAN n'avait jamais eu aussi beau jeu sur le plan politique et militaire face au Pacte de Varsovie, rares pourtant ・aient ceux qui allaient jusqu'?sonner le glas de la guerre froide dans laquelle nous ・ions engag・ depuis quatre d・ennies. Lorsque je regagnai les ・ats-Unis, trois ans plus tard, le souvenir m・e de cette guerre s'estompait d・?rapidement.
?l'OTAN, je m'employai principalement ?faire en sorte que l'Alliance soit en mesure d'ex・uter ses fonctions dans l'environnement de l'apr・-guerre froide. Cet objectif n'・ait pas atteint au moment de mon d・art, en 1992 ; mais nous avions beaucoup progress?dans cette voie, en particulier sur la question de l'identification des futures t・hes essentielles de l'Alliance et des offres faites ?nos anciens adversaires pour les amener ?coop・er avec nous dans le cadre institutionnel de l'OTAN de fa・n ?assurer la s・urit?et l'ind・endance de tous les ・ats europ・ns.
Bien des gens apport・ent un concours pr・ieux en ce sens. Nous n'aurions pu progresser sans les uns et les autres. Parmi toutes ces ・inentes personnalit・, celle qui se distingue le plus est assur・ent Manfred W・ner, secr・aire g・・al de l'OTAN de 1988 jusqu'?sa disparition pr・atur・ six ans plus tard. J'ai grand plaisir ? retracer son ・uvre.
Avant d'・re nomm?secr・aire g・・al, Manfred ・ait ministre de la d・ense de l'Allemagne, poste qu'il occupa de 1982 ?1988. Il comprenait parfaitement que la capacit?militaire constituait un ・・ent essentiel du maintien de la paix et de la libert?face ?la menace sovi・ique, et les efforts inlassables qu'il d・loya pour veiller ?ce que le parlement d・age・ les fonds n・essaires ?cet objectif contribu・ent de mani・e fondamentale ?faire douter l'Union sovi・ique du bien-fond?de sa politique d'affrontement ?l'・ard de l'Occident, au point qu'elle finit m・e par y renoncer. Tout en ex・utant ses fonctions essentielles, qui ・aient parfois impopulaires, Manfred ne se d・artait jamais de son sens de l'humour. Il savait ce qu'il pensait, et il savait qu'il avait raison. Il se connaissait lui-m・e, au sens grec du terme - ses forces, ses faiblesses, la complexit?de sa personnalit? Il ・ait ?la fois souabe, allemand, europ・n et un ami in・ranlable des ・ats-Unis. Il assumait pleinement chacune de ces facettes, sans ressentir le besoin de les hi・archiser ni celui de transiger.
Je parlerai de Manfred le Souabe en dernier. Un mot d'abord ?propos de Manfred l'Allemand.
Premier Allemand ?・re promu secr・aire g・・al de l'OTAN, en 1988, sa nomination ・ait lourde de sens. Elle traduisait la prise de conscience et l'appr・iation par les Alli・ des contributions politiques vitales de l'Allemagne ?l'Alliance. Pendant de nombreuses ann・s, la participation politique de l'Allemagne s'・ait r・・・ plus timor・ que ses activit・ ・onomiques et militaires. Mais Manfred W・ner n'avait, lui, rien de timor? et sa politique n'avait rien de purement symbolique non plus. C'・ait un homme de substance. Les Alli・ savaient que leur nouveau secr・aire g・・al allait affermir la r・utation d'une Allemagne qui se montrait de plus en plus capable d'influencer de fa・n importante la politique des institutions multilat・ales dont elle ・ait membre, ?commencer par l'OTAN. Ce qu'ils ne pouvaient pas savoir, c'est que l'unification de l'Allemagne au sein de l'Alliance allait ・re le dossier le plus important que l'OTAN aurait ?traiter en 1990 et en 1991. ?l'・oque, la pr・ence d'un Allemand ?la t・e du secr・ariat g・・al fut un avantage inestimable compte tenu de la t・he ?accomplir. Le peuple de l'Allemagne de l'Est et les autres ?nbsp;alli・ ?sovi・iques se rendaient bien compte qu'un Allemand n'aurait jamais ・?choisi pour diriger le Pacte de Varsovie.
Personne au si・e de l'OTAN n'eut l'id・ de demander o?se trouvait Manfred W・ner le lendemain de la chute du mur de Berlin, en novembre 1989. D・ qu'il apprit la nouvelle, il se pr・ipita ?Berlin, car il ne pouvait ・re ailleurs. Plus tard, bien apr・ son retour ? Bruxelles, la fiert?et le plaisir que lui inspiraient les ・・ements ?la r・lisation desquels il avait consacr?toute une vie se lisaient sur son visage. Mais ind・endamment de sa passion, personne n'・ait plus lucide ni plus s・ieux que lui quant aux mesures qu'il convenait de prendre dans la foul・ de l'effondrement de l'Europe de l'Est. Pour lui, la question de la r・nification ne se posait pas. Il ne doutait pas de voir le jour o?les L・nder de l'Est feraient partie de l'OTAN au m・e titre que la Bavi・e. Manfred W・ner lui-m・e, le chef supr・e de l'Alliance, rassurait jour apr・ jour - par son int・rit? et son honn・et?vis-?vis des petits pays comme des grands- ceux qui craignaient qu'une Allemagne unifi・ ne soit tent・ de d・asser les bornes ; il ・ait clair qu'il n'en serait pas ainsi. Il avait ses id・s, bien s・, et il ne s'en cachait pas. Mais il avait pour t・he de forger un consensus, et jamais il ne faillit ?son devoir ni ne laissa ses pr・・ences personnelles le d・ourner de sa mission.
La r・nification de l'Allemagne, Manfred ne pouvait la concevoir qu'en tant qu'Allemand - il ne pouvait en ・re autrement. Ses arguments tiraient toujours leur force de la sinc・it?manifeste de ses sentiments ; son ・oquence ・ait ?son comble lorsqu'il ma・risait ses sentiments sans les masquer. Devant l'effondrement du Pacte de Varsovie et de l'Union sovi・ique, il manifesta un autre aspect de sa personnalit?nbsp;: celle de Manfred W・ner l'Europ・n. C'est en tant qu'Europ・n qu'il tendit la main de l'amiti?aux pays de l'Est et qu'il les invita ?s'associer aux Alli・ ・uvrant au maintien de la paix et de la s・urit?en Europe. Il ・ait infatigable dans cette mission, un partisan convaincu d'une ?nbsp;Europe libre et compl・e ?
Au d・ut de l'ann・ 1990 et pendant les deux ann・s qui suivirent, le secr・aire g・・al multiplia les d・lacements dans les pays anciennement membres du Pacte de Varsovie. Cons・uence directe de ses invitations personnelles, l'OTAN re・t une succession constante de ministres des affaires ・rang・es et de chefs de gouvernement de ces pays. Il ne revint jamais sur le pass?nbsp;; il cr・ des contextes institutionnels en vue de la participation de ces anciens adversaires ?tous les aspects des activit・ de l'Alliance. Inclusion et souplesse, tels ・aient ses mots d'ordre : que la porte soit ouverte ?tous pour que chacun puisse entrer d'une fa・n ou d'une autre. Sa conception de l'Europe ne se borna jamais ?l'Occident, aux riches, aux chr・iens ou ?quelque groupe que ce f・ qui n'incarnait pas toute l'Europe. Quand il accueillait chaque nouveau venu ?l'OTAN de sa voix retentissante et avec un grand sourire aux l・res, ses souhaits de bienvenue venaient droit du c・ur et personne ne pouvait se m・rendre sur le plaisir qu'il ・rouvait ?voir l'Europe se former.
Mais m・e tout enti・e, l'Europe ・ait trop petite pour Manfred W・ner. L'Am・ique du nord - Canada et ・ats-Unis r・nis - ・ait toujours pr・ente ?son esprit en tant qu'・・ent indispensable ?la r・lisation de ses r・es souabe, allemand et europ・n. Bien ・idemment, il n'aurait jamais pu ・re am・icain, mais il ・udia aux ・ats-Unis comme peu d'Europ・ns l'ont fait et, tout ?fait ind・endamment de sa conviction selon laquelle les ・ats-Unis devaient rester engag・ en Europe, il ・rouvait une affection et une admiration sinc・es pour notre pays. Il connaissait notre litt・ature, voyagea dans tout le pays, fit des discours un peu partout et il passait r・uli・ement ses vacances chez nous. Il suivait m・e nos sports nationaux. Il se r・ouissait de nos succ・ et partageait nos d・eptions. Jamais il ne lui vint ?l'esprit que les Europ・ns ?nbsp;devaient ?・re des alli・ des ・ats-Unis ; il voulait ・re un alli? Plus encore, Manfred ne voulait pas que les ・ats-Unis se contentent de faire partie de l'Alliance ; il voulait les voir diriger l'Alliance. Chaque fois qu'il rencontrait le pr・ident ou le secr・aire d'・at, il ne manquait pas de leur rappeler que nous devions r・ler l'allure. Bien s・, c'est ce que nous faisions la plupart du temps, mais plus d'une fois j'eus le sentiment que nous dirigions l'Alliance ?l'image du cheval qui tire une cal・he - Manfred ・ant le cocher qui nous incitait ?avancer.
J'en viens maintenant ?Manfred W・ner le Souabe. La r・ion souabe ・ait sa terre natale et il ne l'oublia jamais. Souvent, il quittait Bruxelles pour y passer le week-end. Et quand il en ・ait ・oign? il gardait toujours son pass?en m・oire. Je me souviens d'un voyage que nous f・es ensemble ?Palerme et de son enthousiasme si caract・istique. Nous avions admir?les mosa・ues normandes, bien s・, et Manfred avait exult?toute la matin・ sous la chaleur du soleil sicilien, au point de n・liger le discours qu'il devait travailler. Mais il est une chose qu'il ne n・ligea pas. Nous nous rend・es sur la tombe de son compatriote souabe, Fr・・ic II de Hohenstaufen, chef du Saint Empire romain germanique au XIIIe si・le. Manfred y d・osa une gerbe de fleurs et se fit un point d'honneur ?nous rappeler les hauts faits de son compatriote. Ils ・aient nombreux, et certains plus m・orables que d'autres. Celui qui impressionnait le plus Manfred, c'・ait que Fr・・ic II avait r・ssi non seulement ?reprendre J・usalem en menant une croisade, comme le pape le lui avait demand? mais aussi ?en devenir le roi - le tout par le biais de la diplomatie. Voil? nous dit Manfred, comment les Souabes aiment proc・er.
La disparition pr・atur・ de Manfred W・ner, qui succomba ?un cancer en 1994, priva l'Allemagne, l'Europe et les ・ats-Unis d'un grand homme politique et d'un ami sinc・e. C'est en grande partie ? son d・ouement que l'OTAN doit d'・re aujourd'hui encore le principal garant de la paix, de la libert?et de la s・urit?en Europe.
USIS revues ・ectroniques | USIS Les Objectifs de politique ・rang・e des ・ats-Unis, Mars 1999 | Page d'acqueil de l'USIS