LA DIPLOMATIE PARALL¡¦E :
PROMOUVOIR LA PAIX ET
LA
STABILIT?R¡¦IONALES
Ralph Cossa
Directeur ex¡¦utif du ?nbsp;Pacific Forum
CSIS ?
Les initiatives non officielles, dites de diplomatie parall¡¦e, auxquelles se livrent des organisations non gouvernementales en Asie de l'Est, ont pour effet de promouvoir la confiance et la compr¡¦ension dans la r¡¦ion, tout en donnant aux gouvernements l'occasion de sonder l'opinion des penseurs au sujet de nouvelles politiques et strat¡¦ies avant de leur conf¡¦er un caract¡¦e officiel. Divers groupes, tel le ?nbsp;Conseil de la coop¡¦ation en mati¡¦e de s¡¦urit?dans la r¡¦ion Asie-Pacifique ?(CSCAP), s'emploient ?resserrer les liens entre le secteur priv?et le secteur public en vue d'encourager l'¡¦argissement du dialogue nou?sur le th¡¦e de la s¡¦urit? M. Cossa est directeur ex¡¦utif du ?nbsp;Pacific Forum CSIS ??Honolulu, institut sans but lucratif de recherche sur la politique ¡¦rang¡¦e affili?au ?nbsp;Centre d'¡¦udes strat¡¦iques et internationales ? (CSIS) dont le si¡¦e se trouve ?Washington. Membre fondateur du CSCAP, le ?nbsp;Pacific Forum ?assure la gestion du comit?qui repr¡¦ente les ¡¦ats-Unis au sein de ce groupe. Il assure ¡¦alement le coparrainage du ?nbsp;Forum Asie-Pacifique sur la s¡¦urit?nbsp;?et participe aux ateliers de recherche organis¡¦ par les Philippines concernant la mer de Chine m¡¦idionale. M. Cossa est directeur ex¡¦utif de l'USCSCAP et copr¡¦ident du groupe de travail de cet organisme sur les mesures propres ?renforcer la confiance et la s¡¦urit? Il participe r¡¦uli¡¦ement au ?nbsp;Dialogue pour la coop¡¦ation en Asie du Nord-Est ?(NEACD) et aux r¡¦nions tenues dans le cadre du ?nbsp;processus de Katmandou ?
Une coop¡¦ation multilat¡¦ale ?l'¡¦helle r¡¦ionale en mati¡¦e de s¡¦urit?est un ph¡¦om¡¦e relativement nouveau en Asie, puisqu'il co¡¦cide avec la cr¡¦tion du forum r¡¦ional de l'ANASE, en juillet 1994, par l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est. Ce forum regroupe aujourd'hui vingt et un ministres des affaires ¡¦rang¡¦es de la r¡¦ion, qui se r¡¦nissent une fois par an pour discuter des questions li¡¦s ?la s¡¦urit?r¡¦ionale.
D¡¦ leur premi¡¦e r¡¦nion, les ministres se ralli¡¦ent au principe dit de ?nbsp;diplomatie parall¡¦e ? lequel recouvre l'ensemble des d¡¦arches officieuses qu'engagent g¡¦¡¦alement des instituts de recherche ind¡¦endants ou parapublics en marge des actions gouvernementales. Ces derniers s'emploient ?r¡¦nir autour d'une m¡¦e table des ¡¦udits, des sp¡¦ialistes des questions de s¡¦urit?et des ministres des affaires ¡¦rang¡¦es, qu'ils soient encore en fonctions ou non. C'est la pr¡¦ence de repr¡¦entants des pouvoirs publics et de sp¡¦ialistes repr¡¦entant des cellules de r¡¦lexion parrain¡¦s par l'¡¦at, chacun participant ?titre priv? qui diff¡¦encie ces r¡¦nions de celles ?caract¡¦e purement universitaire.
Compl¡¦ent des initiatives officielles, la ?nbsp;diplomatie parall¡¦e ?permet d'examiner des options novatrices ou potentiellement d¡¦icates sans que les participants soient tenus de se retrancher derri¡¦e des positions gouvernementales in¡¦ranlables. Elle remplit un double objectif, ?savoir celui de servir de ballon d'essai pour les initiatives de l'¡¦at et celui d'¡¦re le v¡¦icule par lequel des sp¡¦ialistes des questions de s¡¦urit?et des ¡¦udits n'appartenant pas aux milieux gouvernementaux peuvent proposer de nouvelles id¡¦s, de nouvelles strat¡¦ies.
On note, au sein de la r¡¦ion Asie-Pacifique, un nombre croissant d'initiatives qui rel¡¦ent de la diplomatie parall¡¦e. Beaucoup d'entre elles sont de courte dur¡¦, mais certaines ont un caract¡¦e plus g¡¦¡¦al et rel¡¦ent d'une intervention ?plus long terme. Certaines traitent de questions d'int¡¦¡¦ r¡¦ional, voire mondial, tandis que d'autres s'inscrivent dans une perspective sous-r¡¦ionale.
Le ?nbsp;Dialogue pour la coop¡¦ation en Asie du Nord-Est ? (NEACD) compte assur¡¦ent parmi les initiatives sous-r¡¦ionales les plus ambitieuses. Il a pour objectif de renforcer la compr¡¦ension mutuelle, la confiance et la coop¡¦ation entre la Chine, le Japon, la Russie, les ¡¦ats-Unis, la Cor¡¦ du Sud et la Cor¡¦ du Nord en servant de cadre ?un dialogue constructif, quand bien m¡¦e il serait officieux. Malheureusement, la Cor¡¦ du Nord, qui avait pourtant pris part ?une r¡¦nion pr¡¦aratoire du NEACD en juillet 1993, n'a particip??aucune des sept r¡¦nions officielles qui se sont tenues ? ce jour.
Le NEACD peut n¡¦nmoins se f¡¦iciter des r¡¦ultats qu'il a obtenus en r¡¦nissant autour d'une m¡¦e table de hauts fonctionnaires, d'¡¦inents universitaires et des sp¡¦ialistes des questions de s¡¦urit?venus des cinq autres pays, lesquels ont engag?un dialogue sur les dossiers politiques, ¡¦onomiques et de s¡¦urit? int¡¦essant toutes les parties. Cette initiative donne ?la Russie un r¡¦e constructif ?jouer dans les affaires de s¡¦urit?propres ? l'Asie du Nord-Est, et ?la Chine et au Japon l'occasion d'¡¦hanger leurs id¡¦s sur les questions de s¡¦urit?r¡¦ionale. Le NEACD a effectu?des ¡¦udes qui ont port?sur les mesures propres ?renforcer la confiance mutuelle, sur le partage des informations li¡¦s ?la d¡¦ense et sur la coop¡¦ation r¡¦ionale dans le domaine de l'¡¦ergie.
De cr¡¦tion r¡¦ente, le Forum Asie-Pacifique sur la s¡¦urit? est une autre initiative prometteuse qui s'inscrit dans le droit fil d'un m¡¦anisme de diplomatie parall¡¦e. Parrain?par l'Institut ta¡¦anais de recherche sur la politique nationale, il aborde notamment la question des relations entre Ta¡¦an et la R¡¦ublique populaire de Chine, un th¡¦e qui n'est jamais soulev?au cours des r¡¦nions auxquelles participent officiellement des sp¡¦ialistes des questions de s¡¦urit?repr¡¦entant la Chine continentale. La r¡¦le interdit aux responsables chinois, et d¡¦ourage vivement les sp¡¦ialistes chinois des questions de s¡¦urit? de prendre part ?toute discussion qui ouvrirait le dossier de la s¡¦urit?- ne serait-ce que pour le survoler- en pr¡¦ence de responsables ou d'universitaires ta¡¦anais, ou si des questions li¡¦s ?la ?nbsp;souverainet?de la Chine ? sont abord¡¦s, ?commencer par ses relations vis-?vis de Ta¡¦an. De l'avis de nombreux observateurs, dont je fais moi-m¡¦e partie, cette politique d'auto-exclusion nuit aux int¡¦¡¦s ?long terme de la Chine et elle exacerbe l'incompr¡¦ension et la m¡¦iance entre P¡¦in et Ta¡¦ei.
L'Organisation des Nations unies joue elle aussi un r¡¦e dans la conduite d'une diplomatie parall¡¦e en Asie de l'Est. Chaque ann¡¦, le Centre r¡¦ional de l'ONU pour la paix et le d¡¦armement en Asie et dans le Pacifique parraine une rencontre ?nbsp;officieuse ? ? Katmandou (N¡¦al) entre universitaires et responsables gouvernementaux de la r¡¦ion, lesquels discutent diverses questions ayant une port¡¦ r¡¦ionale et mondiale sur le th¡¦e du d¡¦armement, d'o?le nom de ?nbsp;processus de Katmandou ?qui a ¡¦?donn??cette initiative.
D'autres initiatives dites de ?nbsp;diplomatie parall¡¦e ? m¡¦itent d'¡¦re not¡¦s. C'est le cas notamment d'une s¡¦ie d'ateliers relatifs ?la mer de Chine m¡¦idionale organis¡¦ par l'Indon¡¦ie et qui traitent de questions techniques int¡¦essant les pays revendiquant la possession des ¡¦es Spratley et d'une autre s¡¦ie de r¡¦nions, tenues sous l'¡¦ide des Philippines, qui examinent les r¡¦ercussions de ce d¡¦accord pour la s¡¦urit? Ces deux initiatives visent ? promouvoir la compr¡¦ension et la coop¡¦ation de fa¡¦n ?r¡¦uire le risque de conflit dans cette r¡¦ion n¡¦ralgique.
Mais le m¡¦anisme r¡¦ional le plus notable, sur le plan de la diplomatie parall¡¦e, est assur¡¦ent le Conseil de la coop¡¦ation en mati¡¦e de s¡¦urit?dans la r¡¦ion Asie-Pacifique (CSCAP), qui relie entre eux des instituts r¡¦ionaux ax¡¦ sur la s¡¦urit?et favorise les contacts par l'entremise de comit¡¦ dont les membres se composent d'¡¦udits, de chefs de file des milieux d'affaires, de sp¡¦ialistes des questions de s¡¦urit?et de ministres des affaires ¡¦rang¡¦es et de la d¡¦ense, que ces personnalit¡¦ soient en fonctions ou qu'elles aient occup?ces postes ant¡¦ieurement. Le CSCAP se compose ainsi de dix-huit comit¡¦ o?sont repr¡¦ent¡¦ tous les principaux pays de l'Asie et du Pacifique de m¡¦e que divers bureaux des Nations unies. Des universitaires et des sp¡¦ialistes des questions de s¡¦urit? venus de Ta¡¦an participent aux r¡¦nions des groupes de travail du CSCAP ? titre priv?nbsp;: c'est l'une des rares occasions o?des ressortissants de Ta¡¦an et de la Chine continentale se retrouvent autour d'une m¡¦e table pour discuter des questions de s¡¦urit? (aujourd'hui encore, tout ce qui touche au d¡¦roit de Ta¡¦an est officiellement exclu de l'ordre du jour des r¡¦nions du CSCAP).
De cr¡¦tion ant¡¦ieure au Forum r¡¦ional de l'ANASE, le CSCAP s'emploie actuellement ?fournir un soutien direct ?cet organisme tout en poursuivant d'autres initiatives qui s'ins¡¦ent dans le cadre d'une diplomatie parall¡¦e. ?cet ¡¦ard, le CSCAP a calqu?ses interventions sur la relation de travail qui existe entre l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est et l'ANASE-ISIS (Instituts d'¡¦udes strat¡¦iques et internationales). Tous ces instituts, qui sont plus ou moins reli¡¦ entre eux et dont la mission s'inscrit dans le droit fil d'une diplomatie parall¡¦e, soutiennent l'ANASE depuis longtemps et forment la m¡¦lle ¡¦ini¡¦e du CSCAP.
Plusieurs groupes internationaux de travail ax¡¦ sur les questions propres au CSCAP ont ¡¦?¡¦ablis pour aborder tout un ¡¦entail de questions r¡¦ionales, ?savoir les mesures de nature ?renforcer la confiance et la s¡¦urit? la s¡¦urit?g¡¦¡¦ale gr¡¦e ?la coop¡¦ation, la coop¡¦ation maritime et la criminalit?transnationale. D'autre part, un groupe de travail sur le Pacifique Nord examine les param¡¦res d'une coop¡¦ation sous-r¡¦ionale visant la s¡¦urit?en Asie du Nord-Est. L'on doit d¡¦??ces groupes de travail la formulation de lignes directrices relatives ?la coop¡¦ation maritime r¡¦ionale et la r¡¦action de m¡¦orandums du CSCAP visant ?expliquer en quoi les mesures propres ?renforcer la confiance et la s¡¦urit?et celles qui ont trait ?la s¡¦urit?g¡¦¡¦ale gr¡¦e ?la coop¡¦ation sont applicables ?la r¡¦ion Asie-Pacifique.
Les participants au groupe de travail sur les mesures propres ? renforcer la confiance et la s¡¦urit?ont examin?les principes de base de leur mission ?l'¡¦helon r¡¦ional.Ils ont r¡¦l¡¦hi ? l'utilit? que pr¡¦enterait pour la r¡¦ion Asie-Pacifique le registre de l'ONU des armes classiques et pos?les assises en vue de l'¡¦aboration ¡¦entuelle d'un registre des armes asiatiques ; ils ont arr¡¦? les grandes lignes des documents de politique de d¡¦ense ? l'intention des ¡¦ats de la r¡¦ion qui ont d¡¦id?de r¡¦iger des versions plus pr¡¦ises de cet outil visant ?la transparence, voire d'en produire de nouvelles le cas ¡¦h¡¦nt et ils ont fray?la voie ?l'¡¦aboration de strat¡¦ies multilat¡¦ales en mati¡¦e de s¡¦urit?et de non- prolif¡¦ation nucl¡¦ires, au nombre desquelles pourrait figurer la cr¡¦tion d'un m¡¦anisme de coop¡¦ation sur l'¡¦ergie atomique en Asie et dans le Pacifique (PACATOM).
Par ailleurs, le CSCAP a stimul?la discussion et les d¡¦ats sur le r¡¦e que le Forum r¡¦ional de l'ANASE pourrait jouer ?l'avenir en mati¡¦e de diplomatie pr¡¦entive. Un atelier qui a eu lieu en septembre 1997 pour le compte de ce Forum a ¡¦?l'occasion d'exposer une vision ax¡¦ sur l'avenir et de recommander l'adoption de diverses mesures susceptibles de lui donner corps, ouvrant ainsi la voie ? l'organisation de futures d¡¦ib¡¦ations au niveau gouvernemental.
Une telle action engag¡¦ au nom de la diplomatie pr¡¦entive illustre la fa¡¦n dont les d¡¦arches diplomatiques, qu'elles soient officielles ou parall¡¦es, se compl¡¦ent mutuellement - les ministres membres du Forum identifiant officiellement l'int¡¦¡¦ que pourrait pr¡¦enter la diplomatie pr¡¦entive et recommandant une ¡¦aluation officieuse des moyens capables de promouvoir cet objectif. Les participants aux discussions officieuses, qui ne sont pas assujettis aux positions officielles des divers gouvernements, sont libres d'explorer toutes les solutions novatrices et ax¡¦s sur l'avenir qu'il leur pla¡¦ de consid¡¦er. Certes, leurs recommandations se trouvent g¡¦¡¦alement temp¡¦¡¦s par leur intime connaissance du moule de pens¡¦ de l'¡¦at. Leurs suggestions peuvent d¡¦ lors se r¡¦¡¦er moins audacieuses et moins cr¡¦trices que ce qu'on pourrait attendre d'un exercice purement intellectuel. En contrepartie, il faut reconna¡¦re qu'elles ont davantage de chances d'¡¦re appliqu¡¦s ou tout au moins prises au s¡¦ieux par les d¡¦ideurs r¡¦ionaux.
Bref, les m¡¦anismes multilat¡¦aux non officiels qui portent sur la s¡¦urit?fournissent une enceinte capable de faire na¡¦re et de promouvoir la confiance tout en servant de mesures propres ? renforcer la confiance. Le simple fait qu'ils existent a pour cons¡¦uence de rehausser la confiance et la compr¡¦ension dans la r¡¦ion. D'autre part, les forums multilat¡¦aux offrent aux autres protagonistes r¡¦ionaux l'occasion d'¡¦re entendus sur les questions li¡¦s ?la s¡¦urit?qui les touchent tous. Les organisations qui se livrent ?une diplomatie parall¡¦e donnent donc aux gouvernements l'occasion de sonder l'opinion des penseurs au sujet de leurs politiques et strat¡¦ies nouvelles avant de leur conf¡¦er un caract¡¦e officiel.
De m¡¦e, les organisations non gouvernementales donnent l'occasion de s'exprimer aux pays, aux territoires et aux groupements r¡¦ionaux qui pourraient ¡¦re exclus des r¡¦nions officielles pour diverses raisons. Les rencontres relevant d'une diplomatie parall¡¦e sont les seules o?des sp¡¦ialistes de la R¡¦ublique populaire de Chine acceptent de parler s¡¦urit?avec des intellectuels ta¡¦anais et o? l'on voit aussi des repr¡¦entants de la Cor¡¦ du Sud et de la Cor¡¦ du Nord se joindre ?d'autres pour discuter d'¡¦entuelles nouvelles architectures en ce qui concerne la s¡¦urit?en Asie du Nord-Est. C'est en donnant aux repr¡¦entants de pays divis¡¦ les moyens de mieux se conna¡¦re que l'on ¡¦ablit les bases de la coop¡¦ation dans le monde de demain.
Ajoutons ?cela que les r¡¦nions asiatiques multinationales tenues dans le cadre d'une diplomatie parall¡¦e contribuent au sentiment d'identit?et de coop¡¦ation r¡¦ionales qui peut avoir des r¡¦ercussions positives dans le domaine politique et ¡¦onomique, tout comme le renforcement de la coop¡¦ation politique et ¡¦onomique a ouvert la voie ?l'¡¦argissement du dialogue sur la s¡¦urit? Si l'on souhaite maximiser ces efforts, une ¡¦roite coordination entre les initiatives diplomatiques officielles et celles men¡¦s parall¡¦ement est essentielle. Il en est de m¡¦e en ce qui concerne une int¡¦ration des initiatives r¡¦ionales et sous-r¡¦ionales aux d¡¦arches internationales de plus grande envergure.