Berta Gomez
journaliste de l'USIA
Depuis le début du siècle, les États-Unis ont presque toujours été les plus importants pourvoyeurs mondiaux d'aide alimentaire aux pays sous-alimentés. Mais lorsque le Congrès a récemment effectué une révision complète de la politique agricole américaine, celui-ci a stipulé qu'une part croissante du budget d'aide alimentaire devra être destinée aux pays qui mettent en oeuvre les réformes leur permettant progressivement d'atteindre leur autosuffisance.
Les dirigeants admettent toutefois que l'accroissement de la demande d'assistance alimentaire d'urgence peut porter atteinte à l'utilisation de la nourriture comme outil de développement.
Dans l'immédiat, il n'y aura que de modestes changements aux programmes qui, au cours des années, ont fourni plus de cinquante trois millions de dollars d'assistance alimentaire américaine à des pays aussi divers que le Bangladesh, la Russie, l'Indonésie, le Mexique, l'Angola et la Bosnie.
Vivres pour la paix
L'origine de ces programmes est la Loi publique 480 (LP 480), également surnommée « Vivres pour la paix ». Depuis sa mise en oeuvre en 1954 afin d'écouler les surplus fédéraux de produits alimentaires de base, la LP 480 a considérablement évolué.
Au cours des années soixante, la priorité de la LP 480 est passée de l'écoulement de surplus vers l'amélioration du développement et de la nutrition à l'étranger. L'aide alimentaire en faveur de l'Europe et du Japon a graduellement disparu à mesure que ces pays se rétablissaient de la Seconde Guerre mondiale, et les pays en voie de développement commencèrent à recevoir la plus grosse partie de l'aide alimentaire. À la fin des années soixante-dix, les programmes ont été ajustés afin de se concentrer sur la « sécurité alimentaire », une approche qui comprend l'aide au développement, la recherche agricole et l'aide alimentaire afin d'aider les pays à devenir autosuffisants. Les années quatre-vingt ont vu une aide alimentaire de plus en plus importante mise à la disposition de pays mettant en oeuvre des réformes agricoles et économiques.
Un but du programme de la LP 480 qui n'a pas changé est celui de la création de marchés commerciaux pour les produits alimentaires américains de base. La législation agricole signée par le président Clinton le 4 avril dernier maintient cet objectif et s'appuie sur d'anciennes réformes, principalement en permettant aux organismes privés de mettre plus pleinement la nourriture à la disposition des populations sous-alimentées. Les divers Articles de la LP 480 restent pratiquement inchangés et sont renouvelés pour les sept prochaines années.
L'Article I, administré par le ministère de l'agriculture (USDA), continuera à offrir aux pays en voie de développement, des prêts à taux préférentiel sur trente ans, pour l'achat de produits agricoles américains, qui peuvent ensuite être revendus afin de générer des fonds pour promouvoir la croissance et le développement économique. Mais à présent, les ventes préférentielles au titre de l'Article I peuvent pour la première fois être faites à des particuliers, aussi bien qu'à des gouvernements étrangers. Cette modification rentabilisera les bénéfices de ressources de plus en plus limitées, a dit M. August Schumacher, administrateur du service agricole à l'étranger de l'USDA.
« Un marché de deux à trois millions de dollars entrepris avec un membre du secteur privé peut avoir une forte influence sur le développement du marché, alors que la même somme aurait des répercussions limitées si elle était déboursée au niveau strictement gouvernemental », a annoncé M. Schumacher à une commission du Congrès durant un débat sur la loi agricole.
La nouvelle loi stipule également que la priorité doit être donnée aux pays engagés dans la réforme économique, ainsi que ceux ayant le plus grand besoin alimentaire.
Des dirigeants de l'USDA citent une série de succès au sein de ce programme, notant que les anciens bénéficiaires de ventes au titre de l'Article I comprennent le Japon, la Corée et Taïwan. Plus récemment, l'Egypte, la Turquie, l'Indonésie, le Sri-Lanka et le Maroc, qui furent à une époque largement dépendants de la LP 480 pour leurs importations de produits alimentaires, sont devenus d'importants marchés commerciaux américains, ou des marchés au comptant ou à crédit en progression.
L'Article II, qu'administre l'agence des États-Unis pour le développement international (USAID), permet le don de produits alimentaires de base pour des urgences humanitaires ainsi que pour des besoins de développement à plus long terme. Dans la plupart des cas, les subventions sont faites pour des organismes d'assistance et de développement, tels que le Programme alimentaire mondial, qui distribue des produits alimentaires de base directement aux populations sous-alimentées, ou les vendent afin de générer des ressources monétaires locales.
La nouvelle loi augmente la souplesse de l'Article II en permettant aux organismes privés de bénéficier des ressources de la vente de produits alimentaires de base dans un pays, et de les utiliser pour des projets de développement dans d'autres pays. Le montant minimum de produits alimentaires de base non essentiels destinés à la vente pour devises locales, passe de dix à quinze pour cent. Les niveaux minimum d'assistance jusqu'à l'an 2002 sont maintenus au niveau de 1995 : deux millions vingt-cinq mille tonnes pour l'ensemble des dons alimentaires d'urgence au titre de l'Article II, et un million cinq cent cinquante mille tonnes pour l'assistance alimentaire.
La nouvelle loi augmente également la contribution annuelle des États-Unis en faveur des organismes humanitaires internationaux, afin d'aider à couvrir les frais administratifs de transport et de livraison de l'aide alimentaire. Il est prévu que le montant maximal des dépenses dans ce domaine va plus que doubler, passant de treize millions cinq cent mille dollars à vingt-huit millions de dollars par an.
En 1995, les États-Unis ont donné plus de huit cent soixante millions de dollars de produits alimentaires de base par l'intermédiaire des programmes de l'Article II, fournissant une aide d'urgence aux gens souffrant de la sécheresse et de la guerre civile en Angola, aux réfugiés birmans du Bangladesh, aux victimes de conflits en Bosnie et en Croatie, ainsi qu'aux réfugiés somaliens de Djibouti, entre autres. Les programmes de développement humanitaire en application de l'Article II comprennent des programmes de santé pour « mères et enfants » dans une douzaine de pays tels que Haïti, le Honduras, la Mauritanie, l'Inde et le Népal, des programmes d'alimentation pour écoles primaires au Botswana, ainsi que des programmes forestiers au Panama.
L'Article III, également administré par l'USAID, permet des subventions de gouvernement à gouvernement afin de soutenir le développement économique et la sécurité alimentaire des pays les moins développés. À un moment donné en 1995, un groupe d'experts du Congrès a cherché à éliminer des programmes de l'Article III, mais sans succès. La loi agricole de 1996 maintient l'Article III en place, bien que de hauts fonctionnaires s'accordent à dire qu'il est vulnérable. En 1995, les bénéficiaires des produits alimentaires de base de l'Article III comprenaient la Guyana, l'Ethiopie et le Bangladesh.
Autres programmes renouvelés
En plus des activités découlant des « Vivres pour la paix », la loi agricole prévoit des crédits, sur une période de sept ans, pour deux programmes apparentés d'assistance alimentaire, ainsi que pour les quatre millions de tonnes de la « Réserve de blé pour la sécurité alimentaire ».
Le programme « Vivres pour le progrès » de 1985, par le biais duquel le ministère de l'agriculture a donné des produits alimentaires de base à des pays engagés dans des réformes agricoles orientées vers l'économie de marché, permettra à présent la participation d'agences inter-gouvernementales et d'organisations de commerce agricole. Malgré l'ampleur modeste du programme, qui n'a fourni qu'environ cent treize millions de dollars de produits alimentaires de base en 1994, les dirigeants affirment qu'il a été utile, surtout pour faciliter la transition vers l'ouverture de marchés dans les Républiques de l'ex-Union soviétique.
Le programme « agriculteur à agriculteur » verra son financement en légère hausse. Selon les clauses de ce programme, le ministère de l'agriculture utilise des fonds de la LP 480 afin d'envoyer des agriculteurs américains travailler avec leurs homologues à l'étranger. Les pays classés comme « marchés naissants » sont maintenant habilités à bénéficier de cette assistance, au même titre que les pays en voie de développement.
La nouvelle loi élargit également la gamme de produits d'alimentation de base comprise dans l'ancienne Réserve de blé pour la sécurité alimentaire, à présent rebaptisée Réserve d'aliments de base pour la sécurité alimentaire. Mise en place au début des années quatre-vingt afin de garantir les engagements américains en matière de blé durant les périodes de pénuries, la réserve peut maintenant inclure du maïs, du sorgho et du riz, principalement du fait qu'en Afrique, le besoin de ces produits alimentaires de base est plus grand que celui en blé. La réserve, qu'administre le ministère de l'agriculture, a été utilisée le plus souvent pour l'aide à l'Afrique, bien qu'en 1994, elle fut également utilisée en Arménie et en Géorgie.
Le soutien bipartite pour l'aide alimentaire
En bref, les changements apportés par la loi agricole de 1996 modifient, plutôt qu'ils ne remplacent, la politique d'aide alimentaire américaine et maintiennent ce qui est généralement considéré comme des programmes efficaces et utiles. On n'aura remarqué que peu de désaccords au cours des débats parlementaires, ce qui reflète un large soutien parmi les Démocrates et les Républicains.
« L'aide alimentaire est une voie à double sens permettant d'aider les autres aussi bien que nous-mêmes », a dit Bill Emerson, membre républicain du Congrès et directeur de la Sous-Commission agricole, durant un débat sur la loi agricole l'été dernier.
« Nous fournissons des produits alimentaires de base ainsi qu'une assistance médicale aux affamés et aux gens souffrant de malnutrition à travers le monde (ce que l'âme du peuple américain revendique durant une crise). Nous encourageons aussi le développement de marchés étrangers pour les agriculteurs américains », a ajouté M. Emerson.
Le soutien bipartite pour ces programmes est aussi en partie le résultat de réformes promulguées au cours des trente dernières années. Outre d'autres innovations, ces réformes ont aidé à la création de systèmes de contrôle et d'évaluation afin de minimiser des problèmes possibles, tels que l'interruption de la production alimentaire au sein des pays bénéficiaires.
À l'USAID, les prévisions de projets doivent être accompagnées d'une estimation écrite des besoins au niveau local et régional. Les dirigeants se disent prudents dans l'évaluation des effets à long terme de chaque programme.
« Nous sommes devenus beaucoup plus sophistiqués et sensibles aux besoins de ces pays ainsi qu'aux conséquences que l'aide alimentaire pourrait avoir, aussi bien sur les populations elles-mêmes que sur leur propre intérêt à pouvoir assumer leurs responsabilités... en ce qui concerne leur survie et leur sécurité en général », déclare Jeanne Markunas, directrice adjointe du programme « Vivres pour la paix » au Bureau d'intervention humanitaire de l'USAID.
« Nous sommes constamment en réévaluation afin de nous assurer que nous gardons un objectif à long terme sur la manière dont les bénéficiaires peuvent éventuellement devenir autosuffisants », ajoute Mme Markunas. « J'ai personnellement vu des projets de reboisement et la mise en application du projet « vivres pour l'emploi » en Ethiopie, non seulement pour récupérer des terres, mais aussi pour empêcher l'érosion et pouvoir cultiver des parcelles boisées dont le produit peut être utilisé comme combustible ou pour la vente. »
Dans une période de restriction budgétaire et de besoins accrus, il devient de plus en plus important de pouvoir adapter les programmes d'aide alimentaire afin de rentabiliser les résultats. Le ministère de l'agriculture prévoit que le besoin mondial en matière d'aide alimentaire va doubler d'ici à dix ans, même en supposant avec un optimisme modéré que les pays bénéficiaires pourront produire de la nourriture ou d'en importer commercialement. Dans un même temps, l'opinion générale prévoit qu'il y a peu de chances pour que les États-unis et les autres pays donateurs augmentent leur budget d'aide alimentaire ou autre budget de développement.
Les futures ressources d'aide alimentaire
Alors que les États-unis demeurent les plus importants pourvoyeurs d'aide alimentaire, de récentes restrictions budgétaires impliquent que de telles activités seront probablement limitées au niveau actuel d'un milliard deux cents millions de dollars par an. Les experts en aide et en développement craignent que les contraintes budgétaires, ajoutées à l'augmentation de prétendues « urgences complexes », limiteront d'autant plus la disponibilité de ressources d'aide alimentaire pour le développement.
Jeanne Markunas explique que les urgences complexes ont tendance à se développer à partir d'un événement politique qui conduit à une instabilité générale, et à un exode massif de citoyens au sein de leur pays, ainsi que de réfugiés vers l'étranger. Cela est souvent aggravé par une catastrophe naturelle. Comme exemples de pays ayant eu des urgences complexes, Mme Markunas cite le Rwanda, le Libéria et l'Angola.
Ces événements présentent des défis particuliers à la communauté des donateurs d'aide, car ils sont moins prévisibles et ont tendance à durer plus longtemps que ceux résultant uniquement de catastrophes naturelles. D'après Mary Chambliss, administratrice adjointe du Service agricole extérieur du ministère de l'agriculture, plusieurs organismes privés d'assistance, ainsi que certain membres du Congrès ont exprimé leur inquiétude, car de telles dépenses d'urgence vont épuiser les ressources pour l'alimentation des enfants et autres programmes de développement à long terme.
« Il existe de véritable dilemmes lorsque l'on essaye d'imaginer les ressources que la communauté mondiale peut attribuer à l'aide alimentaire internationale », dit-elle. « Cela est principalement dû au fait que, de nos jours, les besoins urgents à long terme sont presque toujours liés à des problèmes créés par l'homme ».
En général, les organismes américains d'aide résolvent leurs problèmes de contraintes budgétaires en canalisant l'aide avec soin et en donnant priorité aux pays les plus nécessiteux. Les dirigeants éliminent graduellement les programmes d'aide alimentaire en Indonésie et aux Philippines, notamment, et concentrent une plus grande partie des ressources aux pays africains et aux pays à déficit alimentaire tels que Haïti et le Bangladesh.
De plus, les États-Unis et les autres pays donateurs s'attendent de plus en plus à ce que les pays bénéficiaires apportent leur contribution en adoptant une politique visant à éliminer la pauvreté.
Mme Chambliss pense que les pays en voie de développement relèvent ce défi. Elle a indiqué qu'au cours des dernières années, les représentants de ces pays ont commencé non seulement à réaliser les limites en ressources des pays donateurs, mais aussi à reconnaître que ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose et qu'il est en fait temps pour les pays en voie de développement de réévaluer leur politique agricole.
Comme l'a indiqué une étude du ministère de l'agriculture sur les besoins alimentaires mondiaux, les pays ne restent pas constamment en état de dépendance, mais sont reclassé dès lors que leur agriculture et leur économie montrent un progrès. La Corée du Sud est probablement l'« élève prodige » dont on a fait le plus d'éloges récemment ; l'étude a nommé le Brésil et le Zimbabwé comme exemples supplémentaires d'anciens bénéficiaires de l'aide alimentaire devenus importateurs commerciaux de produits agricoles américains.
« Il n'est pas suffisant de fournir une aide alimentaire », explique l'administrateur de l'USAID, M. Brian Atwood. « Les pays doivent adopter une politique économique stable s'ils veulent sortir leurs ressortissants de la pauvreté ».
Comme l'ont clairement indiqué M. Atwood et d'autres dirigeants, l'objectif de l'aide alimentaire n'est pas seulement de nourrir les affamés, mais d'aider les pays à atteindre un seuil à partir duquel ils sont capables de produire ou d'acheter suffisamment pour satisfaire leurs besoins ; et ceci plus rapidement qu'il ne serait autrement possible de le faire.