M. Charles Hanrahan, agronome de formation, a fait des exposés sur la politique alimentaire et agricole dans le cadre de programmes parrainés par l'USIA en France, en Allemagne, en Italie, au Kénya, à Madagascar, en Mauritanie, au Rwanda, au Sénégal, en Tanzanie, au Zaïre, en Zambie et au Zimbabwé. Comme son nom l'indique, le centre de documentation fait des recherches et des analyses objectives et apolitiques pour le compte du Congrès des États-Unis.
Le 26 juin 1996, les États-Unis ont porté plainte devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contre la décision prise par l'Union européenne d'interdire l'importation de viande provenant d'animaux traités à des hormones de croissance. Entrée en vigueur au 1er janvier 1989, cette interdiction a considérablement freiné les exportations de viande rouge des États-Unis dans l'Union européenne. Selon le ministère de l'Agriculture des États-Unis (USDA), cette interdiction fait perdre cent millions de dollars par an aux producteurs américains. Les États-Unis s'insurgent contre l'interdiction de la viande aux hormones, qu'ils jugent dénuée de fondement, sans compter qu'elle ferait du tort aux éleveurs de bétail des États-Unis et qu'elle enfreindrait à ce titre l'accord conclu en 1994 dans le cadre du cycle d'Uruguay sur les mesures sanitaires et d'hygiène à l'appui de la restriction des importations (le fameux accord sanitaire et phytosanitaire). La plainte déposée par les États-Unis permettra de déterminer la valeur non seulement de cet accord sur le renforcement des règles et des procédures relatives à l'hygiène alimentaire et sur les mesures sanitaires qui entravent les échanges, mais aussi la procédure même de règlement des litiges de l'OMC.
Cette affaire est le premier dossier important relevant de l'accord sanitaire et phytosanitaire qui soit porté devant le comité de règlement des litiges de l'OMC. À ce titre, le précédent qui sera établi sera lourd de conséquences pour les autres mesures couvertes par cet accord et qui pourraient être contestées à l'avenir. D'aucuns attirent d'ailleurs l'attention sur la prolifération rapide des mesures prises à cet égard, parallèlement à la réduction, voire à l'élimination, des barrières tarifaires et autres dispositions commerciales. Un certain nombre de différends portant sur l'inspection et les essais auxquels sont soumis les produits agricoles, sur la réglementation relative à la durée de conservation avant vente des produits alimentaires et sur les mesures affectant l'importation de poissons font déjà l'objet de consultations, conformément à la procédure de règlement des litiges de l'OMC. D'autres questions d'actualité, par exemple le recours aux hormones de synthèse dans la production de lait et les conditions sanitaires dans les usines de transformation de la viande, notamment de volaille, pourraient être soulevées dans le cadre de cette procédure.
À l'avenir, il n'est pas dit non plus que la réglementation relative aux innovations biotechnologiques, telle la modification du patrimoine génétique des végétaux et des animaux, ne sera pas contestée devant l'OMC. La résolution de la question de la viande traitée aux hormones et des autres dossiers relevant de l'accord sanitaire et phytosanitaire sera la pierre de touche de la durabilité des règles et procédures internationales qui semblent contraires aux politiques nationales concernant la salubrité des produits alimentaires.
Recours aux hormones dans la production de viande
À l'instar d'autres pays exportateurs de viande, tels le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Argentine, l'Uruguay et le Mexique, les États-Unis n'hésitent pas à recourir aux hormones pour pousser leur production à la hausse.
Les éleveurs de bétail utilisent des hormones parce qu'elles accélèrent le taux de croissance des animaux et qu'elles produisent une viande plus maigre, ce qui convient tout à fait aux consommateurs soucieux de réduire l'apport de matières grasses et de cholestérol dans leur régime alimentaire. D'autre part, elles permettent aux éleveurs de réduire leurs coûts de production dans la mesure où les animaux traités consomment moins de nourriture pour donner de la viande et que leur carcasse est nettement plus lourde. Les hormones de croissance dont l'usage est autorisé aux États-Unis sont des composés sécrétés naturellement par l'organisme des animaux ou des substances très proches de ces hormones naturelles. En règle générale, les éleveurs font appel à l'oestrogène, à la testostérone ou à d'autres composés naturels du même genre. Tous ces produits utilisés aux États-Unis se présentent sous forme d'implants sous-cutanés insérés derrière l'oreille. La production, la commercialisation et l'utilisation de ces implants sont réglementées par le ministère de l'Agriculture des États-Unis, qui maintient que les hormones contenues dans la viande bovine provenant d'animaux ainsi traités sont dépourvues d'effet physiologique chez l'homme.
Interdiction de la viande aux hormones dans l'Union européenne
C'est en 1985 que la Commission de l'Union européenne a pris la décision d'interdire la production et l'importation de viande provenant d'animaux traités aux hormones de croissance à des fins non thérapeutiques ; cette interdiction est entrée en vigueur au 1er janvier 1989.
La Commission a justifié sa décision en faisant valoir la nécessité de protéger la santé des consommateurs. L'usage illicite d'hormones dans la production de viande de plusieurs pays européens, en particulier en Italie dans les années 1970, a certes pesé lourd dans la balance. La presse avait ainsi fait grand cas d'une affaire concernant l'utilisation d'hormones de croissance (dérivées de stilbènes ou de substances thyrostatiques) qui auraient été injectées dans la croupe de veaux juste avant l'abattage et ainsi concentrées dans une petite partie de la viande. Un jeune garçon qui en aurait mangé aurait ensuite vu ses seins grossir. Les hormones mises en question dans cette affaire sont interdites d'emploi aux État-Unis.
Cela dit, des considérations politiques et économiques ont aussi contribué à la décision de la Commission. La viande de boeuf est un produit couvert par la politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne et elle bénéficie, à ce titre, de généreuses subventions intérieures et d'un certain niveau de protection contre les importations concurrentielles, lesquelles sont frappées de droits de douane variables et élevés. On comprend, dès lors, que l'Union européenne se soit retrouvée avec d'importants excédents de viande bovine, dont le stockage coûte cher. Qui plus est, les généreuses subventions à l'exportation ont favorisé l'écoulement de ces excédents sur les marchés mondiaux. En 1985, ces excédents étaient si considérables que les décideurs de l'Union européenne ont sauté à pieds joints sur toutes les mesures susceptibles de freiner les importations de viande bovine.
L'attitude de l'Union européenne n'a pas beaucoup évolué depuis 1985. Les organismes européens de défense des consommateurs sont toujours en faveur de l'interdiction de la viande aux hormones, tout comme un grand nombre d'éleveurs européens de bétail, alors même que les excédents de viande bovine se sont pratiquement résorbés. Les éleveurs continuent de redouter la concurrence du boeuf importé, qui pourrait coûter moins cher. De surcroît, les responsables de la politique agricole de l'Union européenne sont hostiles aux mesures qui pourraient accélérer la contraction du secteur agricole et favoriser l'exode rural, ce qui risquerait d'aggraver le chômage, déjà élevé, en milieu urbain.
Les éleveurs de bétail ont un autre souci, celui de maintenir la demande de viande bovine dans les marchés de l'Europe. Il faut bien dire que le goût des consommateurs pour les aliments peu riches en matières grasses et d'autres circonstances plus spectaculaires, par exemple les cas d'encéphalopathie bovine spongéiforme (EBS) à l'évolution mortelle qui sont apparus au cours des années 1980 dans les troupeaux de bétail d'éleveurs britanniques et connus du public sous le sobriquet de « maladie de la vache folle », ont porté un coup dur à la demande de viande de boeuf. Les spécialistes européens du cheptel attribuent en partie la baisse de la consommation de cette viande en Europe à la crainte qu'ont les consommateurs de contracter l'EBS. Or la plupart des scientifiques s'accordent à dire que le risque encouru est vraiment faible. L'EBS serait une maladie d'origine virale, mais il n'empêche : les producteurs européens de viande bovine sont nombreux à craindre de faire quoi que ce soit qui puisse dissuader les consommateurs de manger du boeuf.
L'interdiction de la viande traitée aux hormones jouit encore du soutien politique de l'Union européenne. Le 18 janvier 1996, le parlement européen a voté son maintien à l'unanimité, en citant les inquiétudes des consommateurs, les questions soulevées au sujet du bien-être des animaux, la qualité de la viande et les effets sur le secteur de la viande bovine et de l'industrie laitière de l'Union européenne. Face aux États-Unis qui menaçaient de porter plainte devant l'OMC, les ministres européens de l'Agriculture ont décidé le 22 janvier 1996, à quatorze voix contre une, de maintenir l'interdiction. Seul le Royaume-Uni était prêt à en accepter la levée.
Réaction des États-Unis
Au cours de la période 1986-88, les États-Unis ont contesté, sans succès, l'interdiction des importations de viande décrétée par l'Union européenne devant le comité sur les barrières techniques au commerce, conformément au Code des normes de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). L'Union européenne s'est opposée à la résolution de cette question pendant les délibérations du comité. Lorsque l'interdiction est entrée en vigueur, le 1er janvier 1989, les États-Unis ont imposé des droits de douane, par mesure de rétorsion, sur un certain nombre de produits agricoles provenant de l'Union européenne en mettant la barre à un niveau suffisamment élevé pour interdire l'équivalent de cent millions de dollars d'exportations européennes aux États-Unis.
Selon un « accord provisoire » conclu le 3 mai 1989, l'Union européenne a accepté d'établir un mécanisme de certification qui permettrait aux éleveurs habilités de viande bovine des États-Unis non traitée aux hormones d'écouler une partie de leur production en Europe. Les éleveurs s'engagent à envoyer les animaux à l'abattoir aux États-Unis munis d'une déclaration écrite sous serment attestant que leur viande ne contient pas d'hormones. Le service d'inspection alimentaire du ministère de l'Agriculture des États-Unis doit veiller à ce que ces animaux soient ceux d'éleveurs agréés par l'Union européenne. En contrepartie, les États-Unis s'engagent à assouplir leurs mesures de rétorsion à l'égard des produits européens en acceptant de déduire de leur coût l'équivalent, sur une base annuelle, de la somme rapportée par l'écoulement dans l'Union européenne de viande bovine ou de produits à base de viande bovine.
Même sans donner entière satisfaction aux éleveurs des États-Unis, cet arrangement temporaire a eu le mérite d'éviter une guerre commerciale et de permettre aux deux parties d'agir avec mesure. Au cours des années 1990, celles-ci ont compté sur les négociations du cycle d'Uruguay relatives à l'accord sanitaire et phytosanitaire pour dégager une nouvelle base à partir de laquelle la question pourrait être tranchée. Les éleveurs et les exportateurs de bétail et de viande des États-Unis font pression sur le gouvernement Clinton pour l'amener à contester l'interdiction décrétée par l'Union européenne en vertu du fait qu'elle est contraire à l'accord conclu en 1994 dans le cadre des négociations d'Uruguay.
Accord du cycle d'Uruguay
La difficulté qu'il y a à résoudre ce genre de litiges est l'une des raisons pour lesquelles les États-Unis n'ont ménagé aucun effort en faveur de l'adoption, dans le cadre des négociations d'Uruguay, de règles plus rigoureuses en ce qui concerne le recours aux mesures prévues par l'accord sanitaire et phytosanitaire en vue de restreindre les échanges. Les États appliquent souvent des mesures de cette nature à l'encontre d'importations en invoquant des considérations relatives à l'hygiène alimentaire ou à la santé des consommateurs, des animaux ou des végétaux ; à la vérité, leurs actions sont souvent motivées aussi par des sentiments protectionnistes. Non seulement les États-Unis, et d'autres participants aux négociations, demandent que soit clarifié le recours aux mesures prévues par l'accord sanitaire et phytosanitaire dans les échanges, mais ils souhaitent aussi l'adoption de mécanismes de règlement des litiges qui soient plus expéditifs, plus efficaces et applicables à tous les différends commerciaux.
L'Acte final du cycle d'Uruguay Rund comprend un accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires qui stipule que toutes les mesures de nature à restreindre les importations pour des raisons de santé ou d'hygiène doivent avoir un fondement scientifique. Chaque pays est libre de fixer les normes qui lui plaisent en matière d'hygiène alimentaire ou de santé des animaux et des plantes sur la base de l'évaluation des risques et de la part de risques qu'il juge acceptable, ou alors de se plier aux normes internationales. Les pays sont autorisés à appliquer des normes plus rigoureuses que celles qui prévalent à l'échelon international, à condition qu'elles se justifient du point de vue scientifique ou qu'elles correspondent à un niveau minimum de risques acceptables qui ne visent pas des importations spécifiques et qui n'aient donc pas d'intention discriminatoire.
L'accord sanitaire et phytosanitaire stipule que la nouvelle procédure de règlement des litiges de l'OMC s'applique aussi aux mesures concernant l'hygiène alimentaire. Comme du temps du GATT, la première étape est celle de consultations entre les parties affectées, un groupe d'experts n'intervenant qu'en cas de besoin. En vertu de la nouvelle procédure, aucune partie n'est autorisée à s'opposer à la constitution d'un groupe d'experts, et des délais très stricts doivent être respectés à chaque étape de la procédure. Quand le groupe d'experts rend public son rapport, les parties au litige n'ont pas le droit d'en bloquer l'adoption. Elles peuvent toutefois faire appel de la décision prise si elles contestent certains points du droit ou l'interprétation juridique qui en est faite. Une grande nouveauté, c'est que la partie plaignante a automatiquement le droit d'appliquer des mesures de rétorsion si la partie contrevenante n'applique pas les recommandations du groupe d'experts dans les délais convenus ou prescrits. La partie contrevenante a toujours le loisir de compenser la partie lésée au cas où elle refuserait de lever ses mesures de restriction des échanges, mais si elles n'arrivent pas l'une et l'autre à se mettre d'accord sur une forme satisfaisante de compensation, la partie victorieuse peut recourir aux mesures de rétorsion. Du stade de la mise en route des consultations à la mise en application du rapport du groupe d'experts, la procédure pourrait s'étaler sur douze à dix-huit mois.
Trancher la question de la viande aux hormones
Les spécialistes du commerce international sont nombreux à penser que les États-Unis ont de solides arguments contre l'interdiction de la viande traitée aux hormones maintenant que les règles de l'OMC exigent que toute mesure de restriction ait un fondement scientifique. De fait, une conférence de l'Union européenne tenue à Bruxelles du 29 novembre au 1er décembre 1995 a conclu, sur la base de l'expérience et de données publiées, à l'absence d'éléments qui prouveraient la nocivité pour l'homme de l'emploi contrôlé de cinq hormones, à savoir l'oestradiol-beta-17, la progestérone, la testostérone, le zéranol et la trenbolone. La conférence a tiré la sonnette d'alarme : le recours illicite aux hormones est un problème à l'échelle mondiale, et des mesures plus strictes de réglementation s'imposent. En outre, les scientifiques ont fait ressortir la nécessité de mieux coordonner les mécanismes nationaux de réglementation, de cibler les systèmes de surveillance et d'améliorer l'efficacité des méthodes de détection des substances à même d'accélérer la croissance, qu'elles soient utilisées à titre licite ou non. La décision prise lors d'un vote par la commission du Codex Alimentarius (l'organisation internationale chargée de recommander des normes en matière d'hygiène alimentaire) d'approuver l'utilisation d'hormones naturelles dans la production de viande de boucherie a certes apporté de l'eau au moulin des États-Unis.
Si l'affaire est portée devant un groupe d'experts de l'OMC dans le cadre de la procédure de règlement du litige, et que ceux-ci tranchent en faveur des États-Unis, l'Union européenne pourrait décider de maintenir ses restrictions et les États-Unis de continuer à limiter leurs importations agricoles en provenance de l'Union européenne. Au cas où l'Union européenne et les États-Unis n'arriveraient pas à se mettre d'accord sur une forme quelconque de compensation, et que l'Union européenne s'obstine à rejeter les conclusions du groupe d'experts, les États-Unis pourraient solliciter la permission d'appliquer des mesures de rétorsion, demande qui serait en toute probabilité systématiquement accordée, conformément aux nouvelles règles sur le règlement des litiges. D'aucuns pensent toutefois que le maintien de l'interdiction dans de telles circonstances serait une mesure d'intérêt douteux pour la politique commerciale de l'Union européenne ; celle-ci se trouverait en effet en porte-à-faux vis-à-vis d'un accord international qu'elle vient tout juste de signer et elle risquerait de se trouver elle-même en butte à des restrictions commerciales analogues dans d'autres situations. Les responsables américains ont suggéré une formule de compromis : l'Union européenne pourrait accepter un dispositif qui autoriserait l'importation de viande traitée aux hormones en provenance des États-Unis, étant entendu que l'origine de cette viande serait clairement indiquée au point de vente. La question de la production de « certificats d'origine » a été soulevée par le ministre adjoint de l'Agriculture des États-Unis, M. Richard Rominger, lors d'une réunion tenue à Berlin le 18 janvier 1996. Cette façon de procéder a l'avantage d'ouvrir le marché de l'Union européenne aux producteurs de viande des États-Unis tout en donnant aux consommateurs européens la possibilité de rejeter la viande traitée aux hormones. Les associations américaines d'éleveurs et d'exportateurs se sont déclarées prêtes à discuter cette éventualité.